Amra-cadabra
Voir le visage souriant du criminel Mohamed Amra en une de tous les journaux et partout sur les télévisions a quelque chose de déplaisant, voire d’indécent.
On dirait un remake du retour de l’enfant prodigue. On en est quasiment à tuer le veau gras. Le veau médiatique en l’occurrence.
Une forêt de micros, de caméras, d’appareils photo, un escadron de motards de presse, une noria de bagnoles de chaînes radio-tv, bref l’effervescence qui accompagne d’ordinaire les déambulations programmées des rock stars ou d’altesses royales en visite d’État. Ne manque que le tapis rouge et l’escalier qui grimpe vers les sommets de la renommée.
Odieux sourire
Et surtout il y a ce sourire si complaisamment relayé, exposé. Grand format. Odieux sourire. Le sourire de la petite ordure qui triomphe, défie, provoque une fois encore. Et on en redemande, apparemment ! On lui tend le micro, on lui donne la parole. On s’inquiète de savoir comment il apprécie ce retour un rien forcé au pays, s’il est content d’y revenir. Il consent à répondre, bien sûr. Laconique, en star accomplie qu’un rien indisposerait.
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Le monde pourri de la drogue attendait son héros, l’indignité médiatique vient de le lui pondre tout chaud. Il s’appelle Amra. Avant trois ou quatre jours, de sa tronche et de son sourire indécent, dans les quartiers, les caves, les sous-sols, les parkings, ils feront des posters pour décorer leurs murs, comme il y eut ceux, en d’autres temps, du Che, le révolutionnaire sanguinaire prisé de la jeunesse des beaux quartiers. Amra-cadabra ! Vous êtes en mal d’idole ? Notre société confite en décadence vous en fabrique ! Elle vous en sort une du chapeau comme on en extirpe un lapin blanc ou une colombe idiote.
France détestée
L’arrestation de cet étron n’aurait dû générer que quelques lignes, et encore, exclusivement à la gloire des policiers dont le remarquable travail a permis la capture. Quant au transfèrement de Roumanie en France, voilà qui ne valait pas plus qu’un entrefilet pour signaler qu’il avait eu lieu. Mais non, on en fait l’événement du jour ! On mobilise, on claironne !
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Et pourquoi une telle gloire, pourquoi tant d’honneur ? Parce que l’évasion de cette ordure s’est faite dans le sang, parce qu’elle a été acquise au prix de l’assassinat, de l’exécution de sang-froid d’innocents abattus dans l’exercice de leur mission. Car c’est bien cela, c’est bien le sang versé qui fait aujourd’hui la cote de ce type, qu’on n’aille pas nous raconter d’histoire ! L’évidence est là : évadé avec trois bouts de ficelle, il ne vaudrait pas plus de trois bouts de lignes en page quatre. Cela ne fait pas l’ombre d’un doute. Ainsi fonctionne notre société malade, névrosée jusqu’à la moelle, infestée de la détestation d’elle-même, adonnée aux voluptés délétères de l’autoflagellation. Amra est un chef de guerre, la guerre que nous livre le narco-trafic. Il devrait être traité comme tel, en ennemi. Or l’abjecte ambiguïté du traitement médiatique qui lui est accordé fait qu’il l’est quasiment en héros. Dans le camp d’en face, on ne s’y trompe pas. On pavoise !
Et si, écœuré devant un tel spectacle, on en vient à changer de chaîne, on a toute chance ces jours-ci de tomber sur un décérébré de première qui ne craint pas de nous expliquer que, dans l’effroyable litanie des villages martyrs qu’on a eu à déplorer depuis les temps antédiluviens sous toutes les latitudes et toutes les civilisations, c’est bien sûr la France – la France honnie, détestée – qui aura été – elle et elle seule – l’inspiratrice de la barbarie nazie en ce domaine. Là, ce n’est pas en poster décoratif que le personnage mérite de terminer, mais au pavillon de Sèvres en mètre étalon de la bêtise humaine. Une bêtise noble, s’empresseront de faire valoir nos beaux esprits, puisque tout entière vouée au dénigrement, à la haine de la France. Cela vaut absolution, il est vrai.
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