Congé paternité : « Sur un mois, le père peut vraiment piloter l'organisation de la vie du bébé »
S’il ne prétend pas rivaliser directement avec George Clooney, Tristan, cadre chez Nespresso a lui aussi un fan-club féminin conséquent. Tristan est un « nouveau père » de compétition et de niveau international : il a pris cinq mois de congé paternité pour le deuxième, conformément à la loi… norvégienne. Tristan Champion a fait un enfant en France, le deuxième en Norvège et le troisième en Suisse (précision pour les âmes sensibles : avec la même femme).
La petite dernière de la famille Champion est née un an avant que les Hélvètes ne se décident à voter pour la première fois en faveur d’un congé paternité (de 15 jours).
L’approche scandinave de l’égalité hommes-femmes a définitivement convaincu celui qui n’avait pris que 11 jours de congé paternité en France pour son aîné : « En Norvège, j’ai pris 5 mois et ce qui ma plu, au-delà de la durée, c’est que s’instaure une véritable alternance. Le père prend le relais quand la mère retourne au travail. Il change de statut. En France, durant les premiers mois, il aide mais tout reste dirigé par la mère durant les premiers mois ».
«En Norvège, le père est responsabilisé sur l’éducation et l’organisation : les rendez-vous médicaux, la nourriture, le planning, les couches, c’est lui ! »
Tristan a partagé son expérience dans un blog et dans un livre (La barbe et le biberon) et, consécration, il est invité à le faire ce vendredi au « Forum génération égalité » de Paris organisé par l’ONU. S’il est conscient que les avancées nordiques ne sont pas transposables de but en blanc en France, Tristan estime que « le nouveau congé français offre de la flexibilité avec la possibilité de ne pas prendre ces 28 jours dans la foulée dans la naissance et donc de prendre le relais : même sur un mois, le père peut acquérir cette autonomie ».
Alexandre Marcel, alias Papa Plume, appartient avec Tristan Champion à un petit collectif de « papas blogueurs » qui peuvent revendiquer une forme de… paternité sur ce nouveau congé français de 28 jours. Leur tribune de la fête des pères 2020, relayée par trente médias, leur avait valu d’être reçus par le secrétaire d’État en charge de l’enfance et de la famille, Adrien Taquet.
Des entreprises plus souples et parfois mieux-disante sur le congé paternitéAlexandre Marcel, qui attend le deuxième pour le mois d’août, a lui aussi écrit un livre Je ne m’attendais pas à ça !.
Ce trentenaire parisien a pu conjuguer une carrière de manager chez Guerlain et un engagement pour l’égalité qui n’a rien de cosmétique : « Il y a des pères qui disent, je n’ai pas le temps de m’occuper des enfants, j’ai un boulot. Je leur dis : vous croyez que votre femme elle a eu envie d’accoucher pendant 10 heures, qu’elle veut s’occuper du bébé toute seule et faire tourner les machines ? ». « Je ne finis jamais au-delà de 18 heures. J’ai modulé mes horaires, je travaille tôt le matin » assume Alexandre, qui juge le « présentéisme très français » complètement obsolète.
Après le congé paternité, les pères doivent... finit tôt. Évidemment, le contexte est très différent que l’on travaille dans un groupe du CAC 40, une entreprise de la « tech » ou dans une petite entreprise du bâtiment. Les salariés de Netflix bénéficient ainsi d’un an de congé maternité ou maternité. A l’échelle française, les entreprises les plus généreuses ont souvent leur siège dans la Silicon Valley ( Facebook, Airbnb…) mais on trouve aussi dans ce palmarès Aviva.
L’assureur, qui compte 4.5000 collaborateurs entre la maison mère et les filiales propose 10 semaines à prendre dans les six mois suivant la naissance par l’autre parent. Le congé maternité, lui, est de 20 semaines. L’intitulé de la fonction de Sylvie Chartier-Gueudet, directrice de l’inclusion et du bien-être au travail chez Aviva, est déjà tout un programme : « Nous nous sommes adaptés aux évolutions de la société. Les salariés recherchent aujourd’hui un équilibre entre vie professionnelle et vie privée », justifie Sylvie Chartier-Gueudet. Aviva est mieux-disant au niveau social, avec un intérêt bien compris.
« Un collaborateur qui se sent bien dans son travail est plus performant »
Les managers ne sont pas exclus de ce congé paternité XL. : « Depuis son instauration en 2017, 85 % des collaborateurs éligibles ont pris les dix semaines. Et la proportion monte : on est à 95 % en 2020 ».
"Aujourd’hui, on sent que les pères investis sont décomplexés. On les présente un peu comme des héros".photo François-Xavier Gutton Dans son entreprise, Tristan Champion a vu aussi les mentalités évoluer très vite « depuis trois-quatre ans » : « Au début j’avais un peu honte de m’engager publiquement sur la promotion de la paternité. Aujourd’hui, on sent que les pères investis sont décomplexés. On les présente un peu comme des héros. En Norvège, si on ne prend pas son congé paternité on est ringard, c’est la honte. Ca traduit un manque de sens des responsabilités, voire de virilité... »
Des salariés coachés avant de reprendre le travailAvant le décret instaurant le congé de 28 jours, près de 400 entreprises françaises avaient en quelque sorte devancé l’appel en proposant un mois de congé paternité à leurs salariés et l’avaient revendiqué par le parentalact. S’ils ne sont pas encore sur un pied d’égalité, pères et mères partagent désormais davantage les questionnements que provoque la pause professionnelle liée à l’arrivée de l’enfant.
« Plus de 70 % des femmes ont une appréhension à la reprise du travail après le congé maternité », relève Marie-Charlotte Parfait, créatrice d’Aparentière, une entreprise qui se propose d’accompagner les entreprises dans ces évolutions sociétales. Ce qui passe en partie par un coaching individuel ou collectif.
Une fois que le moment délicat du retour au boulot est passé, de nouvelles questions se posent : « Comment je fais pour être plus efficace au travail avec un cadre horaire plus restreint : comment gérer mon temps, mon énergie, mes priorités , voire retrouver du sens à mon travail », détaille Marie-Charlotte Parfait. La crise sanitaire a renforcé la tendance et « suscité une prise de conscience » pour la créatrice d’Aparentière : « la conciliation des temps de vie est devenu un sujet. Le télétravail a suscité une porosité de la vie pro et de la vie perso ». Pour Alexandre Marcel, la partie n’est pas gagnée pour autant.
Tous les managers ne sont pas encore des promoteurs de la vie de familleSi la France a fait un pas significatif vers l’égalité hommes femmes et un meilleur équilibre de vie, tous les salariés ne sont pas logés à même enseigne. Le jeune cadre de Guerlain, qui travaille dans un « milieu très féminisé », est conscient qu’il faudra encore un peu de temps pour que l’arrivée d’un enfant soit fêtée par tous les chefs d’entreprise.
« Dans une grosse boîte, lorsqu’un salarié part un mois ou plus, on peut le remplacer. Dans une petite boite, c’est plus compliqué »
Tous les managers ne se sont pas transformés non plus du jour au lendemain en promoteurs de la vie de famille : « Sans caricaturer, quand on discute avec des plus de cinquante ans, ils sont dans une optique où le père n’a pas donné la vie, donc ce n’est pas à lui de s’occuper de son enfant », déplore Alexandre.
Pour les start-ups et certaines grandes entreprises, un congé paternité généreux fait partie de la panoplie d’avantages sociaux déployée pour attirer des « talents » très disputés.
Les maçons de la Creuse manquent déjà de brasDans le Limousin, tout le monde n’a pas les moyens de surenchérir : « Ces 28 jours, c’est un bon point. C’est plus sympa d’assister la mère au départ », salue Bruno Trullen, président de la fédération du bâtiment et des travaux publics de la Creuse. Pour aussitôt moduler cet élan spontané : « nous sommes déjà en pénurie de main-d’œuvre et on ne trouve pas d’intérimaires qualifiés pour les remplaçants. Ce que je trouve dommageable, c’est que l’État n’a pas cherché à communiquer avec nous pour évaluer l’impact de cette mesure ». Bruno Trullen l’assure, avec un peu de « flexibilité », ça devrait quand même passer : « On pourra peut-être voir avec le salarié le meilleur moment pour prendre ce congé […] Et si on a des congés paternité, c’est déjà qu’on a des jeunes ! ».