Tunisie : Les intellectuels en congrès contre le terrorisme
Le manifeste publié par les intellectuels tunisiens suite à leur congrès, tenu à Tunis le 12 août, présente le terrorisme comme «un phénomène total, fruit d’une idéologie (…) mobilisant des moyens matériels énormes.
Pour le neutraliser, il est impératif de l’appréhender dans toutes ses dimensions».
Bouleversés par les drames du Bardo et de Sousse, les intellectuels tunisiens, à leur tête le doyen de la faculté des lettres de la Manouba, Habib Kazdaghli, ont lancé cette initiative, deux mois avant le congrès national contre le terrorisme prévu l’automne prochain, afin de dégager une sorte de manuel de lutte contre le terrorisme.
Il s’agit d’un document en quatre langues, élaboré par un collectif d’intellectuels, qui comporte des pistes de réflexion sur les moyens à adopter pour combattre le phénomène terroriste.
Pour une fois, les intellectuels tunisiens ne se sont pas limités à réfléchir à des solutions, ils ont procédé à leur autocritique, reconnaissant des carences dans leurs actions et promettant de revoir leurs méthodes de communication.
«Il est temps de nous remettre en question et de rompre avec l’image de l’intellectuel qui se contente d’observer et de donner des jugements. Il faut sortir de cet immobilisme», a souligné l’universitaire Raja Ben Slama, qui a proposé de ranimer la vie estudiantine.
«Il est impératif d’instaurer des activités culturelles et associatives qui attirent les étudiants vers la vie sociale à l’université et les éloignent du terrorisme. Les établissements universitaires ressemblent à des villes-fantômes chaque après-midi», a-t-elle remarqué.
Symboliques
Des personnalités se sont succédé sur la scène de ce congrès pour exprimer leur attachement au combat contre le terrorisme. Ainsi, le poète Sghaïer Ouled Ahmed, pourtant en traitement intensif contre le cancer, a tenu à se présenter.
«Ce congrès me remonte le moral (…) Garder le moral, c’est toute la guérison», a-t-il indiqué, en rappelant que le totalitarisme commence par le texte et le verbe. «Le terrorisme existe dans les textes qu’ils soient littéraires, religieux ou de loi depuis la nuit des temps», a-t-il précisé.
Pour sa part, le doyen Kazdaghli, président du congrès, a développé une analyse sur le mode de recrutement appliqué par les groupes terroristes : «L’appartenance aux groupes djihadistes transforme le jeune de ‘personne inutile’ en ‘héros’.
Elle lui permet également de combler ses besoins spirituels et de satisfaire ses désirs sexuels. Cela se réalise à travers les ‘fantasmes du paradis promis’ et le ‘djihad sexuel’ qu’ils s’autorisent.
Il est donc impératif de poser la question sur les alternatives à présenter aux jeunes pour répondre à ces besoins, pour que ces mêmes jeunes ne se sentent pas inutiles ni isolés.» Le manifeste élaboré par le congrès présente le terrorisme comme «l’expression idéologique d’une minorité violente qui se base sur une interprétation littérale et extrémiste de la religion et de ses textes fondateurs. Cette idéologie aliène particulièrement les femmes, dont la libération a constitué le principal opérateur de modernité dans notre société».
Portée idéologique
Pour le terrorisme islamiste, le manifeste précise qu’il puise l’essentiel de sa vision, de ses principes et conceptions des traditions de l’islam salafiste wahhabite et des idéologies politiques qui s’en inspirent, notamment celle des Frères musulmans.
Il n’est pas un phénomène proprement tunisien. Il est transfrontalier et constitue un maillon d’une chaîne mondialisée du terrorisme international actif dans la région, en Orient et en Occident. Il est nourri par des réseaux où se mêlent des intérêts complexes et multiples, géopolitiques et idéologiques, économiques et militaires.
Le manifeste poursuit que les fractures économiques, sociales et culturelles profondes à l’intérieur du pays et dans le monde font croire à la jeunesse contestataire que le terrorisme peut constituer l’alternative salutaire et crée, auprès d’elle, l’illusion que ce «djihadisme» constitue une «réponse légitime et juste» aux injustices du monde.
Pour vaincre le terrorisme, il faut, précise le manifeste, construire un projet d’avenir, à même de convaincre la jeunesse de la possibilité d’agir, de s’exprimer et de s’épanouir dans la société et non contre elle, de façon pacifique et organisée et non par la violence et l’auto-exclusion.
Il faut également, lit-on dans le rapport, que «L’Etat continue à tenir à l’œil les mosquées pour qu’elles ne se transforment pas en espace de recrutement ou d’entraînement pour les terroristes ou en lieu de stockage de munitions».
En conclusion, les intellectuels tunisiens attirent l’attention sur le fait que «toutes ces mesures ne suffiront pas tant que les hommes de foi ne prendront pas en considération les réflexions de Tahar Haddad, Fadhel Ben Achour, Mohamed Talbi et autres oulémas sur le mariage entre la foi, l’égalité et la liberté».