Affaire SNC-Lavalin : blâme pour le premier ministre Trudeau qui aurait contrevenu à la loi sur les conflits d’intérêt
Mario Dion, le commissaire à l’éthique a blâmé Justin Trudeau, soutenant qu’il a usé de sa position d’autorité pour tenter d’influencer l’ex-procureure générale du Canada, Jody Wilson-Raybould, dans le cadre de l’affaire SNC-Lavalin.
Un contexte préélectoral sensible pour les libéraux
Ce blâme arrive dans un contexte où différents partis en lice dans le cadre des prochaines élections fédérales sont en quasi-campagne électorale.
« Le commissaire estime dans son rapport que Justin Trudeau a usé de ses pouvoirs pour tenter d’influencer, tant directement que par le biais de personnes sous son autorité, l’ex-procureure générale du Canada, et qu’il a par conséquent contrevenu à l’article 9 de la loi sur les conflits d’intérêt ».
Bien qu’il n’y ait pas de conséquences pénales à la suite de ce rapport, ce qu’on pourrait redouter, c’est l’incidence du blâme sur la campagne électorale et l’orientation du vote pour les libéraux de Justin Trudeau. Ces derniers semblaient reprendre du poil de la bête, après avoir connu des moments de plongeon dans les sondages, lorsque l’affaire SNC-Lavalin a éclaté en début d’année.
En résumé, il s’agit d’une affaire de corruption impliquant la compagnie SNC-Lavalin dans ses interactions avec le gouvernement libyen en Afrique, en vue d’obtenir des contrats. Alors qu’une menace de procès plane sur la multinationale québécoise, avec un risque de suspension de tout contrat pendant une dizaine d’années de la part du gouvernement fédéral, elle se serait rapprochée des services du premier ministre du Canada pour tenter d’obtenir un arrangement à l’amiable. En clair, la compagnie aurait voulu un accord de réparation qui se serait traduit par une annulation du procès.
Cette approche a été au centre de l’affaire dite SNC-Lavalin qui a créé tout un chamboulement au sein de l’équipe libérale, entraînant une vague de démissions, y compris parmi les plus proches de Justin Trudeau.
En raison d’un soupçon de trafic d’influence sur la personne de l’ex-procureure générale Jody Wilson-Raybould alors ministre de la Justice fédérale, pour qu’elle use de ses pouvoirs pour mettre un terme aux poursuites judiciaires contre SNC-Lavalin et « sauver des milliers d’emplois », certains des démissionnaires ont eu à témoigner devant le comité de justice.
Parmi eux, Gerald Butts, l’ex-conseiller et ami de longue date du premier ministre, et Mme Wilson-Raybould elle-même. Cette dernière a claqué la porte du gouvernement, où elle avait été nommée par la suite au poste de ministre des anciens Combattants. Une mutation que d’aucuns avaient considéré comme une rétrogradation, en d’autres termes, une façon pour le premier ministre de punir la concernée pour son entêtement dans l’affaire SNC.
S’étant saisi de l’affaire, le commissaire à l’éthique relance ce dossier avec un rapport qui vient en quelque sorte jeter une ombre d’embarras sur les libéraux et nourrir les arguments critiques de leurs adversaires.
Justin Trudeau. © THE CANADIAN PRESS IMAGES/Graham Hughes
En direct de Niagara on the Lake, en Ontario, où il était en visite mercredi pour souligner les investissements dans les infrastructures, Justin Trudeau a réagi aux conclusions du rapport.
« Tout d’abord, j’aimerais remercier le commissaire pour son rapport, même si je suis en désaccord avec certaines de ses conclusions. J’accepte le rapport et j’assume la responsabilité totale de ce qui s’est passé dans mon cabinet. Je suis en désaccord avec le fait qu’il dise que tout contact avec la procureure générale était inapproprié. Je ne peux pas m’excuser pour m’être tenu debout pour défendre les emplois des Canadiens. Nous devons pouvoir défendre l’intérêt public tout en respectant l’intégrité de nos institutions. C’est pourquoi j’ai demandé à Mme McLellan de produire un rapport en rassemblant plusieurs experts, pour étudier le rôle du procureur général et faire en sorte qu’il n’ y ait plus de conflit d’intérêt. Je vais m’efforcer de mettre en œuvre les recommandations qu’elle a faites. Je reconnais que c’est une situation qui n’aurait jamais dû arriver. J’ai le désir de protéger les Canadiens et notre système judiciaire. Nous prendrons des mesures pour que de telles situations ne se reproduisent plus », a affirmé Justin Trudeau.
Un rapport accueilli par l’opposition comme du pain béni
Soulignant tous les scandales passés du parti libéral, depuis les anciennes générations jusqu’aux générations actuelles, Andrew Sheer, le chef du parti conservateur, a soutenu que c’est une tradition qui s’inscrit dans l’ADN de ce parti. Peu avant, il a mentionné sur Twitter que Justin Trudeau a usé de ses pouvoirs pour « servir ses amis et punir ses critiques ».
« Justin Trudeau est le tout 1er premier ministre à avoir été trouvé coupable de conflit d’intérêt par deux fois. Aujourd’hui, il a été trouvé coupable d’interférence dans le cadre de l’affaire SNC-Lavalin. Avant, il avait été coupable de conflit d’intérêt, dans le cadre de l’affaire l’Aga Khan au sujet de vacances luxueuses payées sur une île par un riche homme d’affaires controversé. Trudeau n’est pas la personne qu’il a promis qu’il serait. Comme l’a noté le commissaire, l’autorité du premier ministre et de son bureau a été utilisée pour outrepasser la loi », a relevé le chef conservateur dans une entrevue à Radio-Canada.
M. Scheer a aussi remis en cause le rapport à la vérité du premier ministre, souligant qu’il avait nié toute tentative d’influence de la part de son cabinet pour tenter de donner une orientation à l’ex-procureure générale dans ce dossier.
« Justin Trudeau a totalement renié cette histoire. Il a dit qu’il n’avait jamais mis de pression sur Wilson-Raybould, et nous savons aujourd’hui que c’est faux. M. Trudeau n’est pas celui qu’il prétend être. Il a tellement menti que personne ne peut croire ce qu’il dit. À la veille des élections, je pense que le choix est clair pour les Canadiens. M. Trudeau ne va jamais faire face au tribunal pour sa responsabilité dans cette affaire, mais il va faire face aux Canadiens au cours des prochaines semaines. Entre un gouvernement qui ne respecte pas les lois et un gouvernement conservateur qui observera les règles d’éthique, le choix est clair pour les Canadiens. Je pense qu’il y a assez de preuves pour qu’une enquête soit ouverte par la GRC », a-t-il ajouté.
Trudeau a dit qu’il serait éthique, mais il a utilisé le pouvoir de son bureau pour récompenser ses amis et punir ses critiques. Il est le seul PM de l’histoire reconnu coupable d’infraction aux lois sur l’éthique, pas une, mais deux fois. Il n’est pas celui qu’il prétendait. pic.twitter.com/mn9qzTnF8A
— Andrew Scheer (@AndrewScheer) August 14, 2019
Allant dans le même sens, le chef du Nouveau parti démocratique (NPD) Jagmeet Singh a remis en cause le favoritisme de Justin Trudeau vis-à-vis de ses amis et des puissants.
« […] M. Trudeau ne peut pas être à nouveau premier minstre du Canada […] Il faut choisir de voter pour le NPD qui met les intérêts du public avant tout […] », a affirmé M. Singh.
Il est encore plus clair maintenant que Justin Trudeau est plus intéressé à aider ses ami·es riches au détriment des Canadien·nes. Les gens s'attendent à ce que le gouvernement travaille réellement pour eux, et non pour les riches et les puissants. https://t.co/urctm5im9o
— Jagmeet Singh (@theJagmeetSingh) August 14, 2019
Avec Radio-Canada et Twitter
