Menaces de mort et insultes, le prix du combat contre les armes des rescapés de Parkland
ÉTATS-UNIS - Depuis le 14 février, un petit groupe de lycéens rescapés de la tuerie de Parkland est omniprésent sur les chaînes de télévision américaines et les réseaux sociaux avec un mot d'ordre: "enough", "ça suffit" en français. Du haut de leurs 17 et 18 ans, ces jeunes Américains nés peu après le drame de Columbine promettent en boucle de mettre la pression sur les élus jusqu'à ce que des mesures soient enfin prises afin qu'il n'y ait plus une seule fusillade en milieu scolaire.
Et leur mobilisation, qui était au départ spontanée, commence à porter ses fruits. Les survivants ont notamment reçu plusieurs millions de dollars de dons pour organiser ce samedi 24 mars la "March For Our Lives", manifestation dans les rues de Washington et d'autres grandes villes du pays où des centaines de milliers de personnes sont attendues pour montrer leur ras-le-bol face à l'inaction des politiques.
Une ferveur qui fait bouillir de colère une partie de la population américaine férocement opposée à toute restriction autour des pistolets et fusils. Théories du complot, insultes, voire menaces de mort: les adolescents qui ont été érigés comme les nouvelles figures de proue du mouvement anti-armes ont aussi découvert la violence à laquelle certains n'hésitaient pas recourir pour défendre le sacro-saint deuxième amendement de la Constitution américaine.
La droite dure crie à la manipulation
Outre-Atlantique, les attaques pleuvent systématiquement contre quiconque veut s'en prendre aux armes à feu. Dans les starting blocks: la droite de la droite américaine, médias comme élus. Les semaines qui ont suivi la fusillade et ce nouveau front contre les fusils semi-automatiques -très souvent utilisés dans les tueries de masse- le journal d'extrême droite The Gateway Pundit s'est désespéré que les lycéens étaient "utilisés comme outils politiques par l'extrême gauche pour faire avancer sa rhétorique anti-conservatrice et anti-armes" et étaient prêts à empêcher "systématiquement" les élèves pro-Donald Trump de s'exprimer devant les médias.
Suivi par plus de 2,6 millions de personnes sur Twitter, le présentateur conservateur Bill O'Reilly -renvoyé de Fox News en avril dernier après des accusations de harcèlement sexuel- a lui aussi mis en doute les motivations des lycéens. Les médias veulent "détruire l'administration Trump par tous les moyens nécessaires. S'ils doivent utiliser des enfants pour y arriver, ils les utiliseront", a-t-on pu l'entendre dire.
The national press believes it is their job to destroy the Trump administration by any means necessary. So if the media has to use kids to do that, they'll use kids. https://t.co/6U8Hurbxmm
— Bill O'Reilly (@BillOReilly) February 20, 2018
Même le fils aîné du président, Donald Trump Junior, prend part aux attaques et relaie les accusations. Comme le rapporte le compte "Trump Alert", ce dernier a notamment "liké" à deux reprises des tweets s'en prenant à David Hogg, l'une des figures principales de ce mouvement anti-armes.
DonaldJTrumpJr liked this tweet: https://t.co/7ubzRmP6kh
— Trump Alert (@TrumpsAlert) February 20, 2018
"Skinhead lesbienne"
Les accusations se sont aussi rapidement transformées, chez certains, en véritables insultes. Le 12 mars, le candidat républicain du Maine à la Chambre des représentants s'en est pris au groupe de jeunes sur Twitter.
En parlant d'Emma Gonzalez, lycéenne devenue un symbole après son discours du 17 février, le conservateur a lancé: "il n'y a rien chez cette skinhead lesbienne qui m'impressionne, elle n'a rien à dire sauf pour les gauchistes enragés". Selon le Press Herald, Gibson aurait aussi mis en doute que Gonzalez était une rescapée car "elle était dans un coin complètement différent de l'école'" lors de la fusillade. Il a en a profité pour qualifier David Hogg de "menteur éhonté".
You said it was @gibson_house that said that?
— Darth Mueller (@TrumanChapman27) March 12, 2018
Like, LESLIE GIBSON, the Tresurer of @AndroGOP? The guy running for District 57 State House seat? He called @Emma4Change what???
A "skin head lesbian"? #ParklandShooting#mepoliticspic.twitter.com/0q0YEZMCvL
Condamné par républicains et démocrates, le candidat a soulevé un tollé et a fini par se retirer des élections en s'excusant. "Emma, je m'appelle Les Gibson, j'habite dans le Maine. Je voudrais te présenter mes excuses les plus sincères pour la manière dont je me suis adressé à toi. Ce n'était pas correct et inacceptable", a-t-il écrit à l'attention de la jeune femme qui s'est abstenue de tout commentaire.
Des ados accusés d'être acteurs
Des sites extrémistes n'hésitent pas à aller encore plus loin. Infowars, dont le fondateur Alex Jones a déclaré que les attentats du 11-Septembre et la fusillade de l'école primaire de Sandy Hook étaient fabriqués de toutes pièces, ne reculent pas devant la publication de théories du complot. David Hogg semble d'autant plus dans le collimateur du média que son père est un agent retraité du FBI.
Il est l'une des cibles préférées des conspirationnistes sur Twitter avec le mot-clé #ParklandHoax ("le canular Parkland") mais aussi sur YouTube. À tel point qu'une vidéo présentant le jeune homme comme "un acteur de crise" s'est même placée en tête des vidéos les plus partagées sur la plateforme fin février, avec quelque 200.000 vues, avant d'être rapidement retirée par YouTube.
Invités sur la plateau d'Ellen DeGeneres le 23 février (ci-dessous), les adolescents ont ri de ces théories qui racontent qu'ils ne sont pas de vrais étudiants mais des comédiens engagés pour faire du mal à l'administration Trump ou le lobby des armes. "Si vous aviez vu les pièces dans lesquelles j'ai pu jouer à l'école, vous sauriez que je ne mérite pas d'être payé pour être acteur", s'est amusé Cameron Kasky.
Une parenthèse humoristique qui contraste avec la violence subie par ces jeunes, toujours sur YouTube. Quand elle n'est pas désactivée, la section commentaires sous chaque interview mise en ligne se remplit d'insultes sexistes ou homophobes, de théories du complot et mêmes de menaces de mort. Un exemple de propos particulièrement choquant ci-dessous, sous un entretien publié par la chaîne CBS.
"J'ai peur que quelqu'un nous lance une bombe par la fenêtre"
Les menaces de mort ne se limitent d'ailleurs pas aux internautes anonymes dans les commentaires d'articles ou de vidéos. Lors d'une interview pour l'émission "60 Minutes" le 18 mars, les lycéens ont expliqué qu'ils avaient accepté de recevoir les journalistes dans le nouveau local qui leur a été offert pour organiser leur fronde, mais que sa localisation devait restée secrète.
"Pourquoi devons-nous faire autant de mystères?", s'est demandée la reporter avant qu'Emma Gonzalez ne lui réponde: "Nous avons reçu de nombreuses menaces de mort. Et personnellement, je suis parano, j'ai vraiment peur que quelqu'un nous lance une bombe par la fenêtre".
"J'ai reçu des menaces de mort, Emma a reçu des menaces de mort, Cameron a reçu des menaces de mort. Cela montre bien à quel point l'Amérique est divisée", a continué David Hogg. Cameron Kasky, à l'origine du cri de ralliement #NeverAgain (#PlusJamais) sur Twitter, a lui expliqué fin février qu'il avait dû suspendre temporairement son compte Facebook après avoir reçu des "menaces de mort" de militants de la NRA.
Un quotidien difficile à gérer que les rescapés de Parkland pourront, on l'espère, brièvement oublier grâce aux soutiens de personnalités de premier plan et ce samedi 24 mars lorsqu'ils seront entourés et acclamés par environ un demi-million de jeunes et adultes dans les rues de tout le pays.
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