Typologie simplifiée des tueurs multiples
Les tueurs multiples appartiennent à trois catégories : les tueurs en série, les tueurs de masse et les tueurs à la chaîne. Trois catégories de criminels qui se distinguent par les motivations ou les pulsions, les modes d’action et la temporalité des crimes…
LES TUEURS DE MASSE
Chacun a, présent à l’esprit, des exemples de tueries de masse commises en France ou à l’étranger. Perpétrées par un ou plusieurs individus, ces tueries sont caractérisées par un grand nombre de victimes*, toutes abattues dans un laps de temps court, généralement compris entre quelques minutes et quelques heures, sans rupture de la séquence meurtrière. Le plus souvent ces tueries de masse ont pour motivation le racisme ou le terrorisme, ce dernier pouvant être, soit de nature politique, soit de nature religieuse, parfois un mix des deux, à l’image des attentats commis par les djihadistes fanatisés d’Al-Qaïda ou de Daech, ou par des individus radicalisés qui s’en réclament.
Lorsqu’il agit en solitaire, le meurtrier de masse peut également tuer sous l’influence d’un dérèglement psychiatrique, souvent de nature paranoïaque, sans la moindre référence à une quelconque idéologie, à l’image de la plupart des tueries commises dans les écoles et les universités, notamment américaines**. Les cas de Xavier Dupont de Ligonnès qui, en 2011, a tué les 5 membres de sa famille, et celui, plus lointain, de Jean-Baptiste Troppmann, auteur en 1849 de ce que l’on a nommé le « massacre de Pantin » (6 morts dont 5 enfants atrocement mutilés), illustrent également d’autres formes de tueries de masse qui relèvent elles aussi de la psychiatrie.
À noter qu’il est parfois difficile de faire la part des choses entre la schizophrénie paranoïde et la motivation idéologique qui en est le moteur. À cet égard, les experts se sont montrés partagés sur le cas du terroriste d’extrême-droite Anders Behring Breivik qui, pour mémoire, a froidement assassiné 69 jeunes travaillistes sur Utøya, une île proche d’Oslo, après avoir tué 8 personnes dans l’explosion d’un véhicule piégé dans la capitale norvégienne. S’il ne s’était pas donné la mort avant toute expertise psychiatrique, nul doute que le cas de Richard Durn, auteur d’une tuerie ayant coûté la vie à 8 membres du Conseil municipal de Nanterre en 2002 aurait probablement donné lieux au même type de questionnement sur la dualité des motivations.
Les tueries de masse commises en groupe relèvent, quant à elles, le plus souvent d’actions terroristes concertées. L’attentat de janvier 2015 contre Charlie Hebdo (12 morts) et les attentats du 13 novembre 2015 (130 personnes tuées au Bataclan et aux terrasses de cafés parisiens) en ont été les plus spectaculaires et les plus tragiques illustrations en termes de bilan humain, mais hélas pas les seules dans la longue litanie des attaques subies par la France depuis les années 80.
Les tueurs de masse sont quasiment toujours des hommes équipés d’armes à feu, en général des fusils d’assaut pouvant occasionner un maximum de dégâts dans les populations ciblées. Il peut cependant arriver que, dans le cadre des actions terroristes, l’on ait affaire à un tueur de masse isolé agissant sur commandite directe ou indirecte au moyen d’une « arme par destination » – à opposer au qualificatif d’« arme par nature » –, le plus souvent une voiture ou un camion-bélier. L’exemple le plus dramatique de ce type d’attaque que la France ait connu a été l’attentat commis à Nice le 14 juillet 2016 (86 morts) par un criminel agissant au nom de l’État islamique.
Aucun acte terroriste commis avec des « armes par destination » n’a toutefois dépassé, en termes d’ampleur et de retentissement planétaire, les attaques du 11 septembre 2001 qui, rappelons-le, ont fait 2 977 morts aux États-Unis. Ce jour-là, les armes – ô combien redoutables ! – ont été des avions de ligne détournés puis lancés par des pilotes-suicide sur les cibles visées, notamment les tours jumelles du World Trade Center de New York.
LES TUEURS EN SERIE
Ils sont de loin les plus connus du public, et probablement les plus proches de l’imaginaire morbide dont la plupart d’entre nous sont peu ou prou porteurs. Les tueurs en série fascinent. Et ce n’est pas un hasard si ceux que les anglosaxons dénomment serial killers ont été, sont et seront les personnages centraux d’innombrables fictions littéraires, théâtrales et cinématographiques. Les tueurs en série agissent dans la durée – durant des mois, des années, voire des décennies –, le plus souvent poussés par leurs pulsions assassines lorsqu’elles atteignent des phases paroxystiques. Mais contrairement aux tueurs de masse qui aspirent à être abattus en cours d’action ou qui se suicident leur « mission » accomplie, les tueurs en série mettent tout en œuvre pour ne pas se faire prendre. Autre différence notable avec les tueurs de masse, les tueurs en série ont recours, chacun selon ses fantasmes, à des procédés de mise à mort très diversifiés : arme à feu, couteau, outil, poison, étranglement, étouffement, noyade (liste non exhaustive).
En France, l’archétype du tueur en série – un rôle tenu pendant des siècles par le « Barbe bleue » de Vendée Gilles de Rais –, a longtemps été l’assassin des veuves Henri Désiré Landru, lui-même qualifié de « Barbe bleue de Gambais » en référence au village des Yvelines où il dépeçait ses victimes avant de les brûler dans une chaudière. Toutefois, ni Landru (11 victimes) ni le sinistre Dr Marcel Petiot (27 victimes « officielles », probablement beaucoup plus) ne répondent aux caractéristiques dominantes des crimes en série. Et pour cause : contrairement au profil-type du tueur en série, principalement poussé par une volonté de domination le plus souvent d’origine sexuelle, Landru et Petiot ont avant tout été des assassins crapuleux en quête d’enrichissement, même si le second nommé a, de fait, pris un réel plaisir à l’agonie de certaines de ses victimes.
Cette dimension sexuelle dominante chez les tueurs en série, souvent alliée à des actes de torture physique ou psychologique, est présente notamment chez Joseph Vacher (probablement 11 meurtres), le « tueur de bergers » du film Le Juge et l’Assassin, Guy Georges (21 victimes) et Michel Fourniret (au moins 12 victimes présumées), pour ne citer que ces criminels-là en France. Au plan international, parmi d’innombrables cas, notons ceux, emblématiques, de Pedro Alonso Lopez (au moins 310 meurtres d’enfants avoués en Amérique du Sud), Daniel Camargo Barbosa (au moins 150 jeunes filles tuées en Colombie et en Equateur), Andreï Tchikatilo, le « boucher de Rostov » (52 victimes, principalement des enfants en partie cannibalisés) et son alter ego Joachim Kroll, dit « le cannibale de la Ruhr » (8 assassinats de femmes et d’enfants avérés, 14 avoués). Sans oublier Samuel Little : qualifié par le FBI de « pire tueur en série des États-Unis, ce tueur, décédé le mercredi 30 décembre, aurait commis entre 50 et 93 meurtres de femmes.
Beaucoup plus minoritaires (7,5 %), les tueuses en série ne sont pas absentes du macabre palmarès de la mort administrée à autrui. Toutefois, contrairement à ce que l’on constate chez leurs homologues masculins, très peu de cas trouvent leur origine dans l’assouvissement de pulsions sexuelles. Et quand cela arrive, c’est souvent dans le cadre d’un couple de psychopathes, à l’image des Britanniques Fred et Rosemary West (au moins 10 victimes communes, la plupart arrivées sans méfiance dans leur B&B). En réalité, les femmes tuent plus souvent poussées par de graves dérèglements psychiatriques qui, en milieu hospitalier, les conduisent à tuer des patients, parfois des nourrissons ou de jeunes enfants, telles l’Américaine Genene Jones (probablement plusieurs dizaines de victimes) ou la Britannique Beverly Allitt. Pas de meurtres d’enfants en revanche pour la Française Ludivine Chambet, aide-soignante en EHPAD, mais des soins mortels prodigués sur des personnes âgées (10 victimes) qu’elle prétendait « soulager ». Plus complexe est le cas d’Hèlene Jégado, exécutée au 19e siècle pour 5 meurtres par empoisonnement, mais probablement responsable de la mort de plusieurs dizaines de personnes sur la base d’un imaginaire mystique mêlé de petits intérêts personnels.
LES TUEURS A LA CHAINE
Souvent confondus avec les tueurs de masse du fait de leur action dans une même séquence criminelle, les tueurs à la chaîne (en anglais spree killers) s’en distinguent par une errance meurtrière qui, en quelques heures, les conduit à tuer, le plus souvent sans discernement de l’âge, du sexe et de la qualité des victimes, en général sous l’emprise d’un dérèglement de nature paranoïaque.
Tel a été le cas de Guy Martel qui, dans la journée du 19 mai 1944, a tiré sur 15 personnes et tué 7 d’entre elles – dont plusieurs membres de sa famille – répartis dans 8 villages de la région de Dol-de-Bretagne. Encore plus emblématique a été le cas du jeune Éric Borel (16 ans) : le 23 septembre 1995, après avoir tué sa famille à Solliès-Pont (Var), il a continué de tuer en se rendant à Cuers, faisant au total 15 morts avant de se suicider à l’arrivée des gendarmes. Christian Dornier, meurtrier de 14 personnes le 12 juillet 1989 dans son village de Luxiol (Doubs) et sur la route du village voisin d’Autechaux, a également illustré cette catégorie de meurtriers.
Le tueur à la chaîne le plus connu reste à ce jour un policier sud-coréen nommé Woo Bum-Kon. Le 26 avril 1982, armé d’un fusil et de grenades, il s’est présenté es-fonctions au domicile de nombreuses familles résidant dans 5 villages différents et a tenté d’abattre toutes les personnes présentes. Au total, il a tué 56 personnes et en a blessé 35 autres avant de se suicider à la grenade. Un autre tueur à la chaîne a laissé une trace indélébile dans la paisible Tasmanie : le 28 avril 1996, Martin Bryant, motivé par une sorte de délire mégalomaniaque, se lançait, en divers lieux de Port-Arthur, dans une mortelle randonnée qui, en quelques heures, a fait 35 morts et blessé 37 autres personnes.
Disons-le sans ambages, la littérature juridique criminelle, notamment anglo-saxonne, peine à établir des frontières claires entre les tueurs de masse et les tueurs à la chaîne en prise à des pathologies psychiatriques. Dès lors, il appartient à chacun de se faire son opinion. Ou d’y renoncer. Ce type de controverse intellectuelle ne ramènera en effet pas à la vie les personnes décédées, ni à une existence normale les victimes qui ont survécu, parfois atrocement mutilées, aux actes de ces criminels.
* Le FBI considère qu’il a affaire à un « tueur en série » dès la 4e victime d’un même criminel.
** Le massacre de Colombine (Colorado) a été commis non par un, mais par deux élèves. À ce titre, il constitue une exception. La médiatisation planétaire de cette tuerie est liée à la diffusion du documentaire Bowling for Columbine de Michael Moore et du film Elephant de Gus Van Sant.
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