La France franchit à son tour la barre des 100.000 morts du Covid-19, un chiffre symbolique
La grippette à laquelle d’aucuns avaient comparé le coronavirus, depuis devenu Covid-19, a passé l’été puis l’hiver et semble durablement installée. En témoignent les quelque 100.000 morts, au bas mot, recensés jeudi en France.
« Les chiffres ont une portée symbolique, relève le médecin légiste et anthropologue Philippe Charlier*. Ronds, ils donnent le sentiment qu’un cap a été franchi. Et avec ce décompte quotidien des morts du Covid-19, ce dernier chiffre effraie d’autant plus qu’il projette déjà dans les suivants : 150.000, puis 200.000 décès... Ce qui a bien évidemment un effet anxiogène. »
Que les jeunes, au-delà des chiffres, paient un tribut de plus en plus lourd à la pandémie paraît donner plus de chair à ces morts. « Dans l’Antiquité, rappelle Philippe Charlier, on parlait de mors immatura. Les sépultures de ces trop jeunes défunts étaient les plus richement dotées pour se protéger des mauvais présages. Ces morts prématurées, comme on les appelle plus prosaïquement aujourd’hui, bouleversent l’ordre des choses. Les enfants ne devraient jamais mourir avant leurs parents. Ces “mauvaises morts” sont caractéristiques des guerres et des épidémies. »
Saint SébastienInvisible, sournois, insatiable, le Covid-19 a aussi quelque chose d’injuste, frappant aveuglément au hasard du relâchement des gestes barrière : « Je viens de conduire une enquête auprès de 4.000 catholiques pour savoir vers quels saints ils se tournaient en ces moments difficiles. Les trois qui ressortent sont sainte Rita, la patronne des causes perdues, saint Roch et saint Sébastien, invoqués eux pour lutter contre la peste. Il y a aussi sainte Corona, pour l’homonymie, et, dans le Sud, saint Raoul parce que son nom fait écho à celui d’un professeur bien connu... »
« Saint Sébastien, insiste-t-il, donne à voir par son martyr une maladie qui frappe “comme une pluie de flèches”. C’est ainsi qu’on qualifiait la peste au Moyen Âge. On peut échapper à un, voire à deux ou trois projectiles, mais il est illusoire de penser survivre à ce déluge qui s’abat... L’accumulation des morts en atteste tragiquement. »
Un gant en latex rempli d’eau tièdeCe long cortège qui n’en finit pas de s’étirer a de lourdes conséquences. « Les morgues des hôpitaux débordent, déplore Philippe Charlier. Et la mort survient sans l’étape de l’accompagnement, sans que les proches puissent assister aux derniers instants du parent ou de l’ami dans ce qu’on appelle une “bonne mort”. Il est particulièrement difficile de débuter son deuil sans avoir pris conscience de la mort : celle-ci passe par la vue et le contact avec le défunt, mais aussi par l’extériorisation de ses sentiments (la sidération, la peine, les pleurs, etc.) et les funérailles dont les délais d’attente s’allongent et l’assemblée se raréfie. Ces rituels ont une véritable utilité : ils apportent la paix aux vivants et assurent le repos aux défunts. On a besoin de ces rituels pour acter la mort. Avec la pandémie, trop peu de gens assistent au départ de leurs proches. Certains soignants en sont réduits à déposer sur la main des mourants un gant en latex rempli d’eau tiède pour leur donner la sensation d’un accompagnement. »
(*) Dernier livre : Autopsie des fantômes. Une histoire du surnaturel, Éditions Tallandier, 20,50 €.
Jérôme Pilleyre
Un nombre probablement supérieur. Trois cents personnes sont décédées du Covid-19 à l’hôpital ces dernières 24 heures, a indiqué jeudi Santé publique France, faisant ainsi franchir la barre des 100.000 morts (100.105) en France depuis le début de l’épidémie, à l’hôpital et dans les Ehpad. La veille, le bilan était de 99.805 décès. Selon les données du centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès de l’Inserm (CépiDc) qui s’appuie sur l’ensemble des certificats de décès remplis par les médecins, ce cap aurait été dépassé depuis plusieurs semaines. En franchissant cette barre symbolique des 100.000 décès, la France rejoint, en Europe, la Grande-Bretagne (127.000 morts) et l’Italie (115.000 morts). D’autres pays (Belgique, Portugal) ont une mortalité plus élevée par habitants.