Quand Ernest Hemingway "libère" Rambouillet
Tout le monde connaît Ernest Hemingway. L’écrivain américain, couronné par le prix Nobel de littérature en 1954, est l’un des plus grands totems de la vie culturelle et intellectuelle du XXe siècle.
Un géant à l’imagination sans limite, qui a signé quelques-uns des plus grands romans de son époque : L’adieu aux armes, Pour qui sonne le glas, Le Vieil homme et la mer, etc...
Hemingway, ce n’est pas seulement une plume exceptionnelle, c’est aussi un personnage “larger than life”, comme disent les Anglo-saxons. Plus grand que la vie. Et qui, parmi ses nombreux défauts, avait parfois tendance à prendre ses désirs pour des réalités. Mégalo, Hemingway ? Juste un peu…
Le séjour de l’écrivain à Rambouillet en août 1944 reste flou mais suffisamment édifiant
L’un des épisodes les plus commentés de sa tumultueuse existence montre sa propension à exagérer ou à réécrire l’histoire. Comme un romancier, en fait.Entre mai 1944 et mars 1945, l’écrivain est envoyé en Europe en tant que correspondant de guerre, notamment pour le magazine d’investigation Collier’s. Il prétend, entre autres, avoir assisté au Débarquement de Normandie, alors que la plupart des journalistes étaient tenus à l’écart des combats.
Au moment où les troupes américaines commencent leur avancée vers Paris pour la libérer, Ernest Hemingway se met en tête d’être le premier journaliste à entrer dans la capitale pour libérer… le Ritz. Le célèbre palace, situé place Vendôme, est l’un des lieux les plus prestigieux de la Ville-lumière, et Hemingway y a très souvent séjourné. C’est aussi le décor de l’un de ses romans les plus célèbres : Le Soleil se lève aussi.
Mais avant cela, il faut progresser, et ce n’est pas simple. La libération de Chartres, en Eure-et-Loir, se fait en quatre jours, jusqu’au 19 août 1944.Le même jour, Ernest Hemingway est à 50 kilomètres de là, à Rambouillet, une petite ville des Yvelines qui ouvre aux Alliés une voie royale vers Paris. Mais les combats sont acharnés. Quelques jours auparavant, les Alliés tentent une incursion mais se font repousser par les Allemands. Bilan pour les libérateurs : sept morts. Pour ne rien arranger, les troupes d’Occupation prennent un groupe d’otages pendant deux jours.
C’est dans ce contexte explosif qu’Hemingway se met à suivre la progression de la 4e Division blindée, à partir d’Epernon, dernier village d’Eure-et-Loir avant d’atteindre les Yvelines.
La deuxième division blindée du général Leclerc a libéré Rambouillet le 23 août 1944. Photos d’archives.
Il arrive avec les soldats par la petite Départementale 906, à l’endroit exact où les combattants américains se sont fait tuer quelques jours auparavant. Mais il sait que les Allemands sont partis, puisqu’il a été averti par un petit groupe de résistants locaux.
"Le 19, entré en contact avec un groupe de résistants qui s’est placé sous mes ordres."
L’un d’eux a témoigné, bien plus tard, de leur brève rencontre : « Il ne parlait que de cela : être le premier Américain à Paris et libérer le Ritz ». C’est ce qu’on appelle une idée fixe…À Rambouillet, l’Histoire s’efface pour faire place à la légende. À son nouvel amour et future épouse, Mary Welch, il écrit : « Le 19 (Ndlr : août 1944), entré en contact avec un groupe de résistants qui s’est placé sous mes ordres. Parce que vieux et moche, je suppose. Je les ai habillés avec des uniformes d’une unité de reconnaissance, tués à l’entrée de Rambouillet ».
Dans un autre de ses écrits, il livre ses souvenirs : « Quoi qu’il en soit, c’était une belle journée. Alors que nous avancions vers Rambouillet sur la route noire et lisse bordée de grands platanes, le mur du château sur notre gauche, nous aperçûmes la barricade allemande ».Il faut prendre ces affirmations avec de grosses pincettes. Si Hemingway est bien venu à Rambouillet - c’est attesté par des photos et témoignages - il s’est installé à l’hôtel du Grand Veneur où, d’après les mauvaises langues, il a passé son temps à vider le bar.
Il a réussi à attirer l’attention sur luiLe chercheur américain Robert Fuller a consacré à cet épisode un petit livre, logiquement intitulé Hemingway in Rambouillet. Il explique : « Il a prétendu avoir pris la tête d’un groupe hétéroclite de combattants de la Résistance française […] pour empêcher les Allemands d’occuper à nouveau cette ville de 7.300 habitants laissée sans défense ».
Le romancier aurait pris le maquis à la recherche d’ennemis. Il prend en tout cas son rôle au sérieux. Selon un article de la BBC, il ressemblait à « un mini-chef de guerre. Sa chambre est pleine de grenades et d’uniformes ».
"Hemingway s’est mis dans le pétrin en jouant au capitaine d’infanterie."
S’il n’a pas forcément été responsable de hauts faits d’armes, il a réussi à attirer l’attention sur lui. C’était même peut-être le but. C’est ce que révèle l’historien américain Paul Fussel.« Hemingway s’est mis dans le pétrin en jouant au capitaine d’infanterie […] Un correspondant de guerre n’est pas censé mener des troupes ».
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L’affaire est grave, tellement sérieuse que le général Patton lui-même, pourtant déjà très occupé, ordonne une enquête, car Hemingway, même s’il est un écrivain respecté et célèbre, ne peut tout simplement pas défier la Convention de Genève. Il est finalement acquitté de toute charge sérieuse après avoir révélé qu’il ne faisait que donner des conseils.
Aujourd’hui, les chercheurs s’accordent pour dire que le romancier n’a participé directement à aucune bataille. Mais le mythe persiste. Lors de la dernière cérémonie de commémoration de la ville de Rambouillet, le 23 août 2020, la mémoire d’Ernest Hemingway a été évoquée, « en sa qualité de responsable de la défense militaire de Rambouillet ». Certains mythes ont la vie dure !
Rémi Bonnet