Présidentielle : « Aujourd’hui, l’impensable devient pensable », selon Jérôme Sainte-Marie
Les candidats se multiplient à droite mais aucun leadership naturel ne semble émerger…
La droite a un mal fou à se remettre de 2017, après avoir longtemps persisté à croire que le clivage gauche-droite existait toujours et que l’alternance allait mécaniquement lui profiter, au regard du discrédit de la gauche et de François Hollande.
Une conviction tellement ancrée à droite que plus de 4 millions de personnes sont allées voter à la primaire et ont choisi un candidat selon leur cœur, c’est-à-dire avec une image très libérale sur le plan économique et assez dure sur le plan des valeurs morales.
Un produit que la droite croyait parfait. Malheureusement pour elle, en dehors même des affaires liées au Canard enchaîné, ce candidat était assez éloigné du point d’équilibre de l’opinion publique française. Une partie des retraités, ainsi que les cadres supérieurs et patrons qui constituaient jusqu’ici l’alliage de la droite, sont partis vers Emmanuel Macron. Et ça, c’est terrible pour ce parti qui reposait sur l’alliance entre le dynamisme économique et une certaine forme de conservatisme moral. Emmanuel Macron, lui, considère que le libéralisme moral et le libéralisme économique ne font qu’un.
Il aurait pu se tromper. Qu’est-ce qui fait que des électeurs ne sont pas revenus chez LR ?
Il existe des tendances de fond, telle qu’une forte déchristianisation. En France, le vote de droite est amplement corrélé à la pratique catholique. En 2007, le score de Sarkozy chez les catholiques pratiquants est impressionnant. Par ailleurs, au fil des différentes crises, s’est opéré une dissociation vertigineuse entre les perdants et les gagnants de la mondialisation. La perte de sens du clivage gauche-droite, présente depuis longtemps, a donc fini par s’imposer en 2017. La droite, finalement, est très embarrassée, entre des idées économiques proches de Macron et une approche de l’immigration et de la sécurité qui est celle du RN.
Si on vous suit, il n’y a plus d’espace pour la droite.
C’est la thèse que je défends dans « Bloc contre bloc ». Je pense qu’Emmanuel Macron a raison de théoriser cette opposition entre progressistes et populistes et que sa victoire en 2017 n’est pas un accident. Le sondage Elabe sorti jeudi dernier, en écho à celui de l’Ifop, montre une incroyable reconstitution du vote Macron du premier tour de 2017 dans les intentions de vote pour 2022. Il en va de même pour celui de Marine Le Pen, alors que du côté de Mélenchon ou de la droite, ce vote se reconstitue beaucoup moins bien. Cela veut dire qu’un électorat s’est solidifié autour de Macron et de Marine Le Pen à la faveur d’une cohérence très forte. Ce sont des milieux sociaux totalement antagonistes. Personne ne passe de Macron à Le Pen et personne, de Le Pen à Macron, comme on ne passait que très rarement autrefois de la gauche à la droite, ou vice versa. Mais, entre ces deux blocs stables, les électorats sont divisés et font des va-et-vient.
La force de Macron a été d’avoir opéré la réunification de la bourgeoisie qui, de droite ou de gauche, a voté “oui” en 1992 puis en 2005 et assume l’alignement avec les directives européennes.
Intellectuellement, Macron est cohérent tandis que le problème de la droite est son incohérence idéologique et morale. Elle promeut le drapeau tricolore, tout en votant “oui” à l’Europe, elle promeut les valeurs traditionnelles mais en acceptant le coût sociétal imposé par le capitalisme…
Peut-on s’attendre à ce que la crise du Covid bouleverse les équilibres politiques actuels ?
Pour l’instant, les sondages montrent une très grande stabilité. Cela tient sans doute au fait qu’on a eu la crise sanitaire, mais pas totalement encore la crise économique, en raison des aides. La vie politique française est encore suspendue.
L’analyse que vous faisiez en 2019 d’un bloc élitaire contre un bloc populaire est-elle toujours d’actualité ?
Oui, quand je vois la permanence de la sociologie de l’électorat macroniste et de l’électorat lepéniste. La France d’en haut d’un côté, la France d’en bas de l’autre, comme jamais. Deux électorats qui ne se croisent pas. Ce clivage de classes s’accentue. À lui tout seul, le RN attire 48 % des ouvriers et employés, tandis que les cadres et les patrons vont vers Macron.
Ces deux blocs sont les principes actifs de la vie politique française, mais une bonne partie de la population, autour de 45 %, ne se reconnaît ni dans l’un ni dans l’autre, ce qui se traduit dans les élections locales et dans les chiffres du premier tour de la présidentielle.
Toutefois, si le bloc élitaire autour de Macron est vigoureux avec un tiers des Français qui lui restent fidèles _ce n’est pas rien au regard des difficultés rencontrées_ pour le bloc populaire, c’est plus compliqué, pas toujours cohérent idéologiquement et moins bien maçonné.
Et quelle grille d’analyse en tirer pour 2022 ?
Je pense que le dynamisme électoral va vers ces deux blocs, que nous allons vers un second tour Macron-Le Pen, et que Marine Le Pen peut l’emporter, à regarder le rapprochement des scores. Tout comme avant 1981 certains disaient impensable une victoire de la gauche, qui leur faisait peur, aujourd’hui, il y a une telle idée du déclin dans la société française que l’impensable devient pensable. Sans compter l’effet performatif de sondages qui finissent par normaliser Marine Le Pen. Déjà, en 2017, il n’y a pas eu de manifestations dans les rues du fait de sa présence au second tour. L’autre conséquence est un effet de marginalisation des options alternatives.
Inconvénient : ce clivage actuel est beaucoup plus porteur de violences et de détestations réciproques que le clivage gauche-droite, peu à peu domestiqué, chacun comprenant que la victoire de la gauche ou de la droite, ce n’était pas la fin du monde.
La droite pourrait tenter la synthèse entre l’esprit de responsabilité de Macron et les préoccupations nationales de Marine Le Pen afin de faire baisser la température sociale. Ce pari, celui de Xavier Bertrand, paraît séduisant sur le papier, mais la politique a davantage tendance à se situer dans un rapport conflictuel.
Le conflit idéologique actuel a une telle profondeur sociologique qu’il ne peut que structurer la prochaine élection présidentielle.
Quid d’Édouard Philippe qui manie l’art de l’esquive ?
Il est une synthèse parfaite sur le papier tant qu’il n’est pas candidat ni opposé à Emmanuel Macron. Une partie de l’opinion juge qu’il a le sens de l’État, mais s’il devait être candidat, son image changerait. On reparlerait de son rôle dans la gestion du Covid et des réformes par exemple alors qu’aujourd’hui on le ménage pour mieux pouvoir accabler Macron.
Son excellente image ne résisterait pas longtemps à son entrée dans l’atmosphère.
Sa candidature présupposerait aussi que Macron ne se représente pas, ce qui n’est pas une évidence aujourd’hui.
Propos recueillis par Florence Chédotal
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