"Venir Après" de Danièle Laufer : les paroles d'enfants de déportés

« On trimballe la culpabilité d’exister ». Celle héritée de leurs survivants de parents, surtout, qui ont voulu, ou pour certains se sont sentis obligés, de donner la vie en réponse à l’extermination. Ce court extrait de la riche collecte de témoignages réalisée par Danièle Laufer, résume la plaie mémorielle toujours ouverte de la Shoah, près de 80 ans après.

La journaliste et écrivaine spécialiste des questions de santé et de psychologie a finalement, après une vie de questions et doutes sur cette histoire familiale, décidé de verbaliser, avec l’aide d’autres. En forme, aussi, d’analyse sur la relation tourmentée qu’elle a nourrie avec sa mère, allemande et juive, dont la marque des camps au-delà d’un simple tatouage a surtout été le silence et la distance. L’incapacité de partager des souvenirs et une rigidité parfois démesurée, « un dialogue impossible autour d’une souffrance indicible » comme le résume un autre « enfant de », à l’enterrement de son père.

Beaucoup de ces enfants des victimes de la Shoah témoignent de ce silence de plomb, alors même que leurs parents muets devant eux, témoignaient parfois auprès de collégiens, pour le devoir de mémoire. « Les autres ne peuvent pas comprendre que l’horreur que nous n’avons pas connue nous colle à la peau. Nous la portons en nous car elle nous a été transmise sans parole ».

Et beaucoup de ces enfants devenus adultes ont connu ou vivent encore la dépression, car le devoir héréditaire supposé a autant pesé lourd qu’il a pu, paradoxalement, donner une force, celle d’encaisser. Ce que les psychanalystes appellent le complexe de l’enfant survivant : « On s’interdit, en tant que fils de déporté, de penser avoir souffert ». Déni de fragilité révélé par des stigmates comme pour Danièle Laufer, cette ancienne ado anorexique, dont la maigreur sautait aux yeux d’une mère qui, elle, aurait pu, des années auparavant, mourir de faim.

Cette analyse fine de la « mémoire cellulaire » passe d’un souvenir à l’autre, avec fluidité et minutie, sensibilité et analyse, au gré de 300 pages d’une humanité touchante, face à l’inhumanité de la déportation. Dont la mémoire échoit désormais aux « générations d’après ». 

"Venir Après". Danièle Laufer, éditions du faubourg. 21 euros.

Sandrine Thomas sandrine.thomas@centrefrance.com