A découvrir : “Tea Rooms” de l’Espagnole Luisa Carnés, écrivaine engagée des années 1930
Dans l’effervescence qui secoue l’Espagne des années 1920, on connaît en littérature les noms de Federico García Lorca ou de Pedro Salinas. On sait moins, ou pas du tout, que des femmes, écrivaines ou journalistes, y furent tout aussi actives et talentueuses. Pour preuve, Tea Rooms de Luisa Carnés, roman publié à Madrid en 1934. Luisa Carnés, ouvrière et autodidacte, fut une femme engagée, notamment au parti communiste, autrice d’une palanquée de romans, essais et articles. A la fin de la guerre civile, menacée par les franquistes, elle ne doit son salut qu’à un exil au Mexique où elle meurt accidentellement en 1964. Tea Rooms est un précipité romanesque de toutes ses vies.
Matilde, personnage principal, est une jeune chômeuse qui vient d’être embauchée comme serveuse dans une pâtisserie chic. Dans ce microcosme madrilène où se jouent moult débats qui agitent la société espagnole, le sort et le rôle des femmes semblent hors sujet. Sauf pour Matilde. Par exemple, quand elle observe deux gosses de nanti·es mangeant des glaces : “Quand ils ont fini, ils se mettent à lire rigoureusement à tour de rôle, une de ces revues idiotes pour enfants avec lesquelles on plonge les hommes dans le plus profond abîme de stupidité et ce depuis leur plus jeune âge.”
Surgit un “être étrange”
Mais Matilde tait ce genre de réflexion, même auprès de ses compagnes de dèche qui ne sont pas toutes des “camarades”. Tea Rooms met en effet en place une typologie contrastée des travailleuses : la résignée, la frivole, la révoltée, l’idiote et la chef, dite “la responsable”, mais qui n’est pas la moindre des aliénées. Par-delà la singularité de ces portraits se dessine une commune condition féminine, soumise et humiliée par le patriarcat, la religion et les lois du capitalisme où une prolétaire vaut toujours moins qu’un prolétaire.
Le style de Luisa Carnés est un bonheur de concision, un art délicat de la description “objective” qui détaille tou·tes les “acteur·trices” de la pâtisserie, petit théâtre de la cruauté sociale et de l’enfermement politique. Ainsi du jour où surgit un “être étrange”. C’est une femme, mais quand elle parle, elle se révèle être un homme. Passé la sidération, Matilde se réveille : “D’un coup tout acquiert un aspect différent. La quiétude s’est muée en une vivacité de mouvement surprenante.” Une vivacité qui est l’aurore d’une rébellion.
Tea Rooms (La Contre Allée), traduit de l’espagnol par Michelle Ortuno, 256 p., 21€