Oxmo Puccino : “Ce livre m’a apporté une immense liberté”
Dans un pays imaginaire, le jour ne se lève plus et tout dépérit. Rosie, une petite fille, promet à son grand-père d’aller réveiller le soleil. Elle prend son sac et part à la recherche de gens qui pourront l’aider. Elle croise ainsi Crépuscule, qui l’accompagne dans son périple, Aube, l’esprit de la forêt, Ilra la sorcière, mais aussi Famos la célébrité médiatique. Rosie apprend de chaque rencontre mais découvre qu’elle peut réussir seule, et revenir vers son grand-père riche de son expérience.
Avec ce récit initiatique, le rappeur Oxmo Puccino surprend. Ce quadra, né au Mali avant une enfance passée à Paris, mêle les références et les genres et son texte relève autant de la littérature chevaleresque que du conte pour enfants, d’Afrique ou d’Europe. On retrouve ici son style, une aptitude à jouer avec les mots et les sonorités qui caractérisent les textes de ses chansons, de L’Arme de paix à La Peau de l’ours.
Rencontre dans un calme jardin public du XIXème arrondissement, le quartier de son enfance.
Dans une chanson, Le Droit de chanter, vous évoquez “ces pères qui rêvaient d’enfants diplômés”, et en interview vous aviez parlé de la déception de votre propre père quand vous vous êtes lancé dans le rap. Ecrire un livre, c’est une façon de se rattraper ?
Oxmo Puccino – Parfois, dans une vie, les raisons pour lesquelles vous faites certaines choses disparaissent avant que vous finissiez votre travail. Très longtemps en effet, mon père n’a pas compris mes choix. Comme il a toujours été un grand lecteur, j’aurais beaucoup aimé qu’il voie mon livre. Il aurait été très fier.
Racontez-nous l’origine de ce livre…
Il traîne depuis des années dans ma tête, comme nombre d’autres qui attendent de trouver leur forme. J’ai toujours écrit. Pendant le confinement, j’ai fait un peu de rangement et j’ai retrouvé ce texte, une courte nouvelle que j’ai eue envie de développer.
Si vous avez toujours écrit, pourquoi ne pas avoir publié plus tôt ?
Pour une raison simple : un jour, j’entre dans une librairie pour acheter un livre de Rachid Santaki. Je cherche dans le rayon littérature, je ne trouve pas. Je demande à un vendeur, il me montre un coin du magasin. J’y vais et à côté des sports et de la cuisine, je vois : “littérature de banlieue”. C’était il y a une quinzaine d’années. J’étais horrifié, je ne voulais pas qu’un de mes livres se retrouve dans ce rayon. Mais ça ne m’a pas empêché d’écrire.
Vous pensez que la littérature en France est trop fermée, trop uniforme ?
Elle l’a été. Incontestablement.
C’est pour sortir des clichés que vous publiez un conte ?
C’est une des raisons. Quand je parlais d’un projet de livre, je me suis rendu compte que plusieurs personnes pensaient que j’allais forcément écrire une autobiographie.
Dans votre rap aussi, vous aimez surprendre, en travaillant avec des musiciens de jazz, par exemple.
Je suis instigmatisable. Si quelqu’un est assez ouvert, il s’en rendra compte.
Pourquoi choisir précisément le genre du conte ?
J’adore ça. Les premiers textes qui m’ont frappé sont des contes, ceux de Pierre Gripari surtout. J’ai regretté qu’il n’en ait pas écrit plus. Ce mélange de réel et de rêve m’est très proche. Il y a quelques années, avec Ibrahim Maalouf, nous avons créé une version musicale d’Alice au pays des merveilles. Et quand j’étais enfant, ma mère écoutait des cassettes enregistrées au Mali. Elles avaient un son épouvantable, on entendait une kora et quelqu’un racontait une histoire. Je ne comprenais pas toujours, car c’était du vieux bambara, ma mère traduisait. Ces contes mettaient en scène toutes les situations auxquelles on peut être confronté dans une vie, et la meilleure manière de réagir. Par exemple, quelqu’un avait vendu une chèvre à son voisin qui ne l’avait pas payée, on racontait comment le personnage réussissait à régler ça. Ces histoires de village illustraient ce qui fait fonctionner une société, quelle que soit sa taille.
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Ce conte peut aussi être lu comme une métaphore de l’émigration. Un personnage prend son sac, s’en va en laissant derrière lui une vieille personne et en disant qu’il va rallumer le soleil. L’histoire de toutes les familles issues de l’immigration économique commence ainsi.
Oui, c’est ce que je raconte mais je n’en avais pas conscience, c’était enfoui. Je pensais à mon père en écrivant, c’est un peu ce qui lui est arrivé. Il était jeune, il a dit au revoir et il est parti à pied pour un objectif irréaliste. C’est fou ! Partir pour un pays où on ne connaît personne et se retrouver vingt ou trente ans plus tard avec une famille, un travail, une maison.
Pour raconter cette histoire-là, il fallait le détour du conte ?
Oui, avec la peur, la part d’inconnu, tout ce que ça engendre, et tous les gens que l’on rencontre en chemin. Et comme dans la vraie vie, Rosie n’est pas forcément heureuse d’avoir accompli ça, elle est surtout marquée par le voyage et les questions qui sont restées en suspens.
Pourquoi avez-vous choisi de mettre en scène une petite fille ?
Un garçon, ça aurait été trop commun. Et il aurait moins de difficultés à être pris au sérieux dans ce voyage.
Elle est très déterminée, contredisant les clichés sur les filles.
Je ne sais pas, autour de moi je vois des femmes qui mènent leur vie. On m’a qualifié de féministe, je dirais plutôt que je suis humaniste. Je vois juste des individus qui essaient de s’en sortir.
Il y a aussi le personnage de Crépuscule, il va suivre Rosie dans son périple.
Crépuscule est un enfant seul. Il porte bien son nom, il a une vision du monde assez sombre dont il va devoir se défaire. Il n’y a pas de plus beau parcours que celui qui quitte l’obscurité pour trouver des amis et quelqu’un qui l’aime.
C’est un récit initiatique pour lui aussi.
Exactement. Rosie et lui se rencontrent le temps d’un voyage qui va changer leur vie. J’ai travaillé le basculement de l’autorité entre les deux, à partir du deuxième tiers du livre Rosie prend le dessus. Il y a aussi le personnage de Famos, l’icône des icônes, l’influenceur des influenceurs. Famos capte l’attention par tous les moyens, après y être parvenu par hasard, il y a pris goût et c’est devenu son métier.
Vous êtes vous-même devenu célèbre. Comment on gère ça ?
Ça m’est arrivé tôt, il y a longtemps. C’est ingérable. Je l’ai souvent observé, chez les artistes que j’ai rencontrés, c’est un bouleversement dont on ne se remet pas toujours. Seules l’éducation et les ressources de l’individu peuvent faire la différence.
Il y a aussi le personnage d’Ilra, elle parle un français coloré d’un fort accent et mélangé à de l’anglais.
C’est une voyageuse. Quand on réfléchit au métissage, on ne parle pas assez de la langue. Dans le dictionnaire, il y a des mots de tous les pays, ils ne viennent ni de l’Académie française ni du Moyen Âge, mais sont entrés dans le langage courant par l’immigration. Je trouve ça très beau et je voulais le symboliser à travers un personnage.
On sent chez vous un plaisir à travailler le français parlé par Ilra.
En effet, j’ai passé beaucoup de temps à construire son langage, chercher quels mots j’allais mettre en anglais. Il fallait mélanger les langues avec harmonie, retranscrire l’accent tout en restant lisible, créer une certaine musicalité, je me suis beaucoup amusé. Ilra représente ces personnages hauts en couleur qui ont un fort accent même s’ils habitent depuis des années à Paris. Pour moi, c’est le plus beau des vêtements.
Les auteur·rices issu·es de l’immigration sont relativement rares. Quelqu’un comme vous peut bousculer les habitudes et la langue elle-même ?
Pour moi, un beau texte est un texte qui transmet de l’émotion. J’espère juste être lu avec plaisir par quiconque. C’est tout ce que je veux. Le reste me dépasse et ce n’est en aucun cas un objectif.
Qu’est-ce que ce livre vous a apporté ? Vous écrirez différemment désormais ?
Forcément. Ce travail, seul avec moi-même, m’a apporté une sorte d’immense liberté. Je n’avais jamais écrit et réécrit un texte aussi long, et ça me fait moins peur maintenant. Publier un livre, c’était incroyable, quelque chose que je projetais loin, comme beaucoup d’événements heureux qui sont arrivés quand je les attendais plus tard, et qui ont bouleversé ma vie.
Oxmo Puccino : Les réveilleurs de soleil (JC Lattès /La grenade), 220 pages, 19 €