Le mystérieux treizième médaillon de l'abbatiale d'Issoire (Puy-de-Dôme) est-il une représentation d'Alexandre Le Grand ?
Un homme se tient au milieu de la ruelle pavée près de l’abbatiale Saint-Austremoine, à Issoire, dans le Puy-de-Dôme. Immobile, le regard pointé vers l’édifice roman, il ne prête aucune attention aux passants obligés de faire un écart. Absorbé par ses pensées, Serge Métais scrute la façade du chevet. Les détails d’un bas-relief, à bonne hauteur, ne cessent de l’intriguer.
Les signes du zodiaqueAlors que le groupe conduit par un guide poursuit la visite historique, l’ancien universitaire reste encore quelques secondes à observer le curieux médaillon, treizième élément sculpté d’une série de signes zodiacaux. C’est au cours d’un séjour dans leur résidence secondaire à Picherande (Puy-de-Dôme) en 2016, que lui et son épouse participent à la découverte commentée de l’abbatiale.
Le griffon sur le chevet de l'abbatiale. Photo R Brunel
« C’est une curiosité sur laquelle personne n’avait d’idée très claire »
Il décide alors d’entamer des recherches sur cette singularité qui prend ici la forme d’un griffon tenant une proie dans ses serres. Vraisemblablement un mouton. L’animal fantastique, moitié aigle, moitié lion, est d’une symbolique forte dans l’imaginaire préchrétien. Mais quelle signification porte cette allégorie sur un édifice religieux ? « C’est d’abord la question du zodiaque d’un point de vue astronomique dont il s’agit, avance l’historien et scientifique amateur. Le zodiaque (cercle des petits animaux, N.D.L.R.) est un ensemble de constellations sur la course apparente du soleil observé depuis des millénaires. »
Le serpentaireDe ces constellations émergent des formes animales. On y voit, plus tard, d’autres figures comme les Gémeaux, la Vierge ou la Balance. Dans la suite des constellations du zodiaque, on aperçoit, depuis l’Antiquité gréco-romaine, treize constellations : les douze bien connues, plus le Serpentaire. « Après avoir quitté le Scorpion et avant d’entrer dans le Sagittaire, le Soleil “passe”, par le Serpentaire, durant une quinzaine de jours », commente Serge Métais. Mais cette explication ne lui convient pas.
« Selon moi, le treizième médaillon n’est pas la représentation d’un treizième signe du zodiaque, ni d’une treizième constellation. »
Serge Métais a découvert cette sculpture lors d'une visite guidée. Photo R Brunel
Mais alors de quoi s’agit-il ? La piste sérieuse, il est allé la chercher dans l’Antiquité. Les artistes des XIe et XIIe siècles s’inspirent d’une iconographie venue d’Orient et des cités antiques d’Antioche, aujourd’hui en Syrie ; d’Éphèse en Turquie, ou d’Alexandrie, en Égypte. Les édifices religieux gagnent en décors et représentations diverses. « Ces images sont issues de la Bible hébraïque, de l’ancien Testament, des mythes de l’Antiquité et de la haute Antiquité. » Et du Roman d’Alexandre. Cet ouvrage, rédigé d’abord en grec à Alexandrie au début de l’ère chrétienne, est la clé de voûte de son hypothèse révélant la signification probable de ce treizième médaillon.
Alexandre Le GrandTrès répandu au Moyen-Âge, ce recueil de légendes sur les exploits d’Alexandre Le Grand (356-323 avant notre ère) a nourri l’imaginaire de nombreuses civilisations. Tout comme son bestiaire.
« Le griffon, dont la plus ancienne représentation remonte à 4.000 ans avant notre ère, est le roi des animaux. Il règne “sur terre, comme au ciel”. C’est une référence à l’ascension d’Alexandre qui serait allé dans les airs sur un char attelé à deux griffons. »
Grâce au Roman d’Alexandre, on apprend que le griffon, vorace, se nourrissait « d’un mouton chaque jour ». Selon la légende, Alexandre aurait cédé à l’hubris (orgueil, démesure, N.D.L.R.) pour se prendre lui-même pour Dieu, pour le soleil, évoluant parmi les constellations du zodiaque. « Je crois que c’est à cette histoire, à ce conte moral, que fait référence le griffon sur le mouton. Il symbolise Dieu, le Soleil », poursuit Serge Métais. À Issoire, le griffon tenant fermement le mouton dans ses serres, lui apparaît comme une référence évidente au Roman d’Alexandre. « J’y vois le Soleil, Dieu, dont Alexandre, dans sa folie, se croyait l’égal… »
L'Abbatiale Saint-Austremoine, joyau de l'art roman. Photo R Brunel
Les moines de l'abbaye de CharrouxMais ceci n’explique pas la raison pour laquelle cette iconographie se retrouve précisément en Auvergne. Qui plus est sur un bas-relief du chevet de l’abbatiale d’Issoire. Et nulle part ailleurs. Pour cela aussi, Serge Métais avance une explication. Géographique et culturelle cette fois. Son origine poitevine a très certainement aidé l’historien invétéré à déchiffrer la présence du treizième médaillon. « Les moines qui ont construit l’abbaye au Xe siècle étaient originaires de Charroux, en Poitou. »
Des bâtisseurs voyageursL’abbatiale où se rendent aujourd’hui les fidèles et amateurs d’art roman a été construite seulement deux siècles plus tard. Toutefois, la question peut se poser en ces termes : les bâtisseurs de ce monument architectural étaient-ils encore issus de cette région de l’ouest de la France ?
« On ne peut que conjecturer, admet le chercheur. Ce que je peux dire, c’est que c’est effectivement en Poitou que j’ai trouvé l’inspiration pour avancer cette hypothèse. »
À Thouars, au sud-est d’Angers, une église du XIIe siècle possède un chapiteau orné d’une représentation de l’ascension d’Alexandre. Cette iconographie se retrouve également à Moissac, Bordeaux, Toulouse… « En Suisse ou encore en Italie ! », énumère Serge Métais. « Cela montre la popularité du thème au temps où l’on bâtissait les églises romanes. » Le griffon de Saint-Austremoine est le point de départ d’une nouvelle aventure pour Serge Métais.
Il a entrepris de pousser plus loin ses recherches sur la représentation d’Alexandre Le Grand sur son char fantastique, tiré par deux griffons vers les cieux. Lisant et parlant couramment le russe, il a découvert sur internet des sculptures similaires dans des monastères en Russie et en Géorgie. Il cherche à comprendre, encore et toujours. Ne cesse de creuser… Comme il l’a fait sous les fondations de sa maison, dans le vieux Mans, où il découvrit les vestiges d’une muraille romaine, des salles voûtées, un chemin de ronde… Mais ça, c’est une autre (belle) histoire.
Texte : David Allignon Photos : Richard Brunel