En Creuse, une décision de la Cour de cassation nourrit à nouveau les espoirs d'une filière locale de cannabidiol, molécule du cannabis
C'est une bille supplémentaire pour les partisans d'une filière creusoise de cannabis CBD ou cannabidiol. Mercredi 23 juin, la Cour de Cassation a rendu un arrêt estimant que la justice ne peut déclarer illicite la commercialisation d'un produit légalement produit dans un autre État membre de l'Union européenne. En l'occurrence, il s'agit des produits à base de CBD (1), quand bien même ceux-ci seraient vendus sous forme de fleurs.
« Le CBD doit être libre de commercialisation y compris sous forme de fleur »La réaction du député de la Creuse Jean-Baptiste Moreau, rapporteur d'une mission parlementaire sur la réglementation et les usages du cannabis, n'a pas mis longtemps à fuser sur les réseaux sociaux. Dans une publication Twitter publiée mercredi, il insiste pour que le CBD soit « libre de commercialisation y compris sous forme de fleur ».
— Jean Baptiste Moreau (@moreaujb23) June 23, 2021
Car, à ce stade, en France, un arrêté de 1990 n'autorise la culture, l'importation, l'exportation et l'utilisation industrielle et commerciale que des fibres et des graines de certaines variétés de cannabis, à condition que leur teneur en delta-9-THC - la molécule psychotrope classée comme stupéfiant - ne soit pas supérieure à 0,20 %. Sous l'impulsion de l'arrêt, dit Kanavape, de la Cour de justice de l'Union européenne, et de la mission parlementaire, une réécriture de cet arrêté a été entreprise par les services du Premier ministre. Sauf que, fin mai, les contours de la future réglementation ont fuité et la fleur de cannabis CBD semblait toujours devoir être exclue d'une possible commercialisation.
Une position de principe que ne manquait pas de critiquer Jouany Chatoux, gérant de la Ferme bio de Pigerolles, prétendant à la production de cannabis CBD : « Si demain l'État décide d'arrêter la vente de fleurs en France, il va créer un marché noir », estimait-il. Le président du Grand Guéret Eric Correia, fervent défenseur des usages thérapeutiques et bien-être du cannabis, avait, lui aussi, réagi négativement : « Les Français, s'ils veulent avoir de la fleur, continueront à en acheter sur Internet et ce sera livré directement chez eux. C'est nier le marché, les pratiques. » Surtout, l’infirmier de profession ne cesse de rappeler que les fleurs peuvent être vaporisées au lieu de fumées, permettant d’obtenir les bienfaits de la plante - efficace pour certains types de douleur - sans avoir les effets néfastes de la combustion.
Dans le sens des préconisations de la mission parlementairePour Jean-Baptiste Moreau, cet arrêt de la Cour de la cassation vient ajouter de l'eau au moulin de son lobbying en faveur du développement d'une filière artisanale française et notamment creusoise de CBD.
« Ça va dans le sens de l'arrêt Kanavape (2) et dans celui de notre rapport. Il n'y a aucune raison aujourd'hui de s'opposer à la vente de fleurs de CBD. Ce serait ridicule de réécrire l'arrêté de 1990 pour qu'il soit immédiatement obsolète. Ce serait contre-productif et cela ne repose sur aucune rationalité scientifique. »
Jouany Chatoux se montre, de son côté, plus réservé quant à la portée de la décision de la plus haute juridiction. « Pour nous producteurs, ça ne change rien, estime-t-il. Ça clarifie les choses du point de vue des tabacs (ou des magasins spécialisés) : les boutiques peuvent vendre de la fleur si elle vient d'un pays où c'est légal de la produire. » Sous-entendu : la France peut tout à fait décider de maintenir l'interdiction, quand bien même elle pénalisera les potentiels producteurs artisanaux français.
Le gouvernement suivra-t-il ?Début juin, Jouany Chatoux envisageait d'intenter un recours contre l'arrêté de 1990, voire contre le nouvel arrêté, si jamais il excluait les fleurs de CBD des autorisations de commercialisation.
« Le projet de recours est prêt, assure-t-il. Maintenant on va voir, en fonction des dernières évolutions, si on le lance ou pas. » Cela pourrait dépendre de la manière dont le gouvernement entend prendre en compte l’arrêt de la Cour de cassation. Dans la foulée de la décision de la plus haute juridiction, Jean-Baptiste Moreau s’est évidemment fendu d’un message au Premier ministre. « Je suis aussi en contact avec le ministre de la Santé, Olivier Véran, avec le ministre de l’Intérieur. Mais la décision leur revient. » Le gouvernement autorisera-t-il les fleurs, ou pas, dans son futur décret ? Prendra-t-il même la peine de sortir la nouvelle réglementation dans les prochaines semaines ? Suspense.
(1) Une molécule active du cannabis, non considérée comme un stupéfiant, au contraire du THC, le tétrahydrocannabinol.
(2) Un arrêt de novembre 2020 de la Cour de justice de l’Union européenne, jugeant illégale l’interdiction française du CBD.
Texte : Daniel LauretPhotos : Bruno Barlier