Elle a accouché d'Oscar quelques mois avant les Jeux olympiques : le pari fou de la perchiste berruyère Ninon Guillon-Romarin
À l’issue du week-end, Ninon Guillon-Romarin saura si elle participe aux Jeux olympiques de Tokyo. La liste des sportifs engagés par la fédération française d’athlétisme sera dévoilée à l’issue des championnats de France Élite, qui se tiennent d’aujourd’hui à dimanche à Angers (Maine-et-Loire). La perchiste a réalisé le niveau de performance requis pour se qualifier – en 2019, grâce à un saut réussi à 4,70 m en finale des derniers championnats du monde – mais sa présence cet été au Japon serait une véritable prouesse.
La Berruyère, qui vit désormais en région parisienne, a accouché le 14 février d’un petit Oscar. Un projet de vie imaginé pour l’issue de la compétition… à l’été 2020. Le report d’un an de l’événement planétaire n’a pas bousculé les plans du couple qu’elle forme avec Axel Chapelle, un autre perchiste de très haut niveau. « Ça faisait un moment que l’on en avait envie, dit-elle. J’avais les cartes en main, puisque ça n’a pas les mêmes répercussions sur sa carrière. »
Un défi complètement fouDans le métier d’athlète, le corps est un outil de travail fondamental. « Je ne voulais pas tomber enceinte au milieu d’une saison que j’ai préparée au taquet. Je ne voulais pas qu’Oscar soit un bébé à qui je puisse dire : “J’ai raté ça ou ça à cause de ta naissance”. » La décision se devait d’être réfléchie, assumée, pour ne générer aucune frustration.Ninon Guillon-Romarin et Axel Chapelle ont donné naissance à Oscar.
Ninon Guillon-Romarin a d’abord envisagé attendre les Jeux de Paris 2024, où elle aura 29 ans, espère être au sommet de sa carrière et pourquoi pas monter sur le podium. Puis elle s’est dit que quatre ans d’attente c’était long, que son désir d’enfant était très fort et qu’elle avait tout à gagner.
« On a beau être entraînée au taquet, en pleine forme, on n’est pas à l’abri de rater. À la perche, on peut parfois être en super forme et faire un “zéro” à cause des conditions, de l’élan, du choix de perche, etc. Si ça arrive, je vais me dire pourquoi j’ai attendu. Et puis, je me suis dit que si je réussissais mes Jeux, je pourrais aussi me dire que j’avais le temps de faire un bébé avec les annulations liées au Covid. »
La sextuple championne de France estimait, au contraire, qu’elle avait tout à gagner en choisissant la maternité. Si tout se passait bien, elle pourrait enchaîner JO 2021 et maternité. Un défi complètement fou. « Ça a déjà été fait, pas en si peu de temps, mais des sportives sont déjà revenues à un très bon niveau après une grossesse. Mes parents m’ont élevée de manière à me donner les moyens d’atteindre mes objectifs. Et puis je suis peut-être un peu dingue. »
« On aurait été super content pour un homme... »Une fois l’objectif fixé, il a fallu mettre en place une organisation pour le réussir. L’un des premiers aspects fut financier. Axel Chapelle étant blessé, le couple n’avait aucune source de revenus directs. Ils avaient mis de l’argent de côté, dans le cas où leurs partenaires ne les auraient pas suivis. « Je m’étais préparée en me disant : c’est un truc de dingue ce que je tente, il n’y a pas de raison que l’on me soutienne. »
Finalement, personne ne l’a lâchée. Ninon Guillon-Romarin a même vu son directeur technique national, à l’époque Patrice Gergès, lui dire : « On aurait été super content pour un homme, il n’y a pas de raison qu’on ne le soit pas pour une femme. » Une surprise pour elle.
Sur le plan physique, l’ancienne athlète de l’AC Bourges, licenciée à l’EA Cergy-Pontoise, a pensé à son objectif olympique à toutes les étapes de sa grossesse. Le premier trimestre fut consacré à des vacances sportives : randonnées, canoë, via-ferrata, escalade… À trois mois, son activité s’est limitée à de la course sur pelouse. Puis est venu le temps de la natation, moins traumatisante. Les dernières semaines furent uniquement dédiées à la marche. « Je ne me suis vraiment arrêtée que deux mois : le dernier avant l’accouchement et le premier après. »
Une reprise rapide, mais en douceurUne période pas facile à vivre. « Je me suis aperçue que l’on est complètement débile et accro car j’avais envie de me faire mal. Je me suis rendue compte que l’adrénaline, le fait d’être cramée après une compétition me manquaient. L’accouchement m’a presque fait du bien, c’est un moment où l’on se donne. Je l’ai pris comme une compétition. »
Le seul effort violent d’une période très calme sur le plan physique, où son corps fut ménagé. « J’ai effectué ma reprise en douceur. De la même manière que j’ai diminué les efforts avant la grossesse. J’ai commencé par de la respiration, puis du travail de pieds, de la natation. Dès que je sentais que ça devenait facile, j’attendais une petite semaine pour m’assurer que le palier était validé et je passais au suivant. »
« J’ai repris avant la rééducation avec une sage-femme, poursuit Ninon Guillon-Romarin. Je me suis aperçue qu’il y avait le discours médical et ce qu’on était capable de faire. J’allais faire mes courses. Je portais mon bébé. Quand il faisait tomber sa tétine et que j’étais toute seule, je devais faire un squat pour la rattraper. En tant qu’athlète, je me suis sentie capable de sentir par moi-même quand il m’était possible ou non de faire tel exercice. »
Celle qui a fait une partie de ses études à Clermont-Ferrand a donc testé, s’est aussi bien entourée et énormément documentée. « Je me suis vraiment passionnée par le sujet. J’ai noté tout ce que j’ai fait tout au long de la grossesse sur un cahier. »
Une idée de reconversionElle s’est également rendu compte de la méconnaissance de ses entraîneurs sur le corps de la femme qui change. Elle a reçu de nombreux messages pour lui demander des conseils. Et la recordwoman de France a vu dans ce travail de rééducation une idée de reconversion après sa carrière. Son expérience a appris à Ninon Guillon-Romarin l’importance de prendre le temps de construire les choses.
« Mon ostéo m’a dit que je n’avais jamais été aussi bien alignée, raconte-t-elle. Or un corps de perchiste est complètement asymétrique, un peu vrillé. Il a fallu le réadapter, le reconstruire. » Cela ne s’est pas fait sans douleurs, notamment aux quadriceps, le temps que son bassin se remette en place.Ninon Guillon-Romarin a déjà recommencé à sauter haut.
« Il y a plein de fois où je me suis dit : “ça va être chaud”. C’est dur, je ne mens pas. La reprise est difficile. J’ai mal partout. » Une douleur qu’elle contrôle de manière à ne pas se mettre en danger. La méthode fonctionne. La recordwoman de France de saut à la perche est en avance sur les plans les plus optimistes qu’elle avait imaginés.
Il y a dix jours, quatre mois après l’accouchement, elle a franchi une barre à 4,05 m. Loin de ses 4,75 m, mais mieux que de nombreuses perchistes s’entraînant quotidiennement. « J’ai montré que j’étais en mesure de sauter, que je suis motivée, que je suis dans une démarche d’entraînement, de progression, que j’ai envie d’être performante rapidement. Je me dis que ça va être court, mais que c’est largement jouable d’être performante aux Jeux. C’est ce que je veux me prouver. Je ne suis pas là pour faire une démonstration de “girl power”, mais c’est un super défi et ça peut être un bel élan pour d’autres nanas. »
« Souvent on se dit pour déconner que c’est la préparation inédite, que l’on n’a jamais faite, sourit Sébastien Homo, son entraîneur en charge de la partie technique. Préparer quelqu’un pour les Jeux, c’est déjà un challenge particulier. Mais, là, préparer quelqu’un pour les Jeux en moins de six mois, sortant d’une grossesse, c’est très nouveau mais aussi très intéressant. On se pose d’autres questions. » Le plaisir est partagé par son athlète, elle ne regrette absolument pas son choix. « Au moment de prendre cette décision, je me suis positionnée comme une femme et pas comme une athlète, explique Ninon Guillon-Romarin. La grossesse m’a fait du bien. »
« Ça ramène à l’essentiel »Elle détaille : « Ça ramène à l’essentiel. Quand on est athlète, on est tout le temps dans le rush, on va de compét’ en compét’, on s’entraîne. Il y a plein de fois où nous ne sommes pas là pour des moments importants pour nous et pour nos proches. Là, on a pris plaisir à retrouver nos copains, à leur présenter notre loulou. Ça ramène sur terre et ça aide à être plus efficace dans les moments importants, mais aussi à prendre du temps pour des moments qui comptent, hors stade. On avait tendance à tout faire tourner autour de l’athlétisme. Cette période de bulle nous a fait nous recentrer sur ces moments. J’étais déjà très famille, je le suis encore plus. »
Une famille qui croisera les doigts, samedi après-midi, pour que Ninon montre à sa fédération que son niveau actuel semble suffisant pour espérer être performante le 2 août. Et si jamais ce devait ne pas être le cas, elle aura vite de quoi se consoler. La perchiste n’aura pas à passer plusieurs semaines loin d’Oscar.
Ludovic Aurégan