Le poche du week-end : “Le Lait de l’oranger” de Gisèle Halimi
L’élastique d’une chaussette, un Noël imaginaire dans les Alpes, un funeste fauteuil en osier, des dîners joyeux et arrosés, des combats, nombreux, des rencontres, exceptionnelles : dans Le Lait de l’oranger, bouleversant récit autobiographique qui reparaît en poche après une première publication en 1988, Gisèle Halimi écrit le trivial et l’illustre, la vie quotidienne et les événements singuliers, l’intime et l’universel – le vrai, pas celui se déployant insidieusement “au profit d’un seul modèle, celui de l’homme”.
C’est que, comme le montre l’avocate franco-tunisienne, décédée à l’âge de 93 ans en juillet 2020, “fait personnel égale fait politique” : tout le long de son existence, cette militante infatigable des droits des femmes et plus globalement des personnes opprimées – “Celle qui a la chance de lire, d’écrire et qui n’aide pas les autres, trahit” – a mis en pratique “le plus grand défi de ceux qui veulent changer le monde : l’accord entre une théorie et une vie”.
>> A lire aussi : Gisèle Halimi, le parcours d’une combattante
“J’agissais comme un homme, j’étais jugée comme une femme”
De son enfance modeste en Tunisie où cette féministe précoce, qui sera victime d’antisémitisme à l’école, passait aux yeux de ses parents pour une “folle” à sa défense courageuse de militant·es du FLN durant la guerre d’Algérie en passant par son combat pour la légalisation de l’avortement et la criminalisation du viol, Gisèle Halimi fut de toutes les luttes progressistes de son temps, bousculant avec aplomb les présidents de la République successifs, choisissant avec bonheur et pugnacité la cause des femmes et ne renonçant jamais à son libre arbitre.
Le tout non sans culpabilité parfois : dans le chapitre “Une jeune mère indigne”, l’intellectuelle raconte avec une audace extraordinaire pour l’époque comment elle “récupérait sa liberté” quand elle laissait ses fils à leurs grands-parents… non sans ressentir une “grande indignité”. “J’agissais comme un homme, j’étais jugée comme une femme.” Qu’importe, l’essentiel était là : ses enfants, elle les aimait. Tout comme son père, Edouard. Elle consacre à celui qu’elle surnommait son “magicien” les plus belles pages de ce livre.
Le Lait de l’oranger de Gisèle Halimi (L’Imaginaire/Gallimard), 444 pages, 12,50 €