Le parquet de Cusset (Allier) réclame un juriste-assistant pour améliorer sa lutte contre les violences conjugales
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Débordé par une augmentation des faits de violences, le parquet de Cusset ne dispose pas d’un effectif suffisant pour lutter efficacement contre.
La lutte contre les violences conjugales est une des priorités majeures des procureurs de la République. Encouragés depuis février 2020 par une dizaine de circulaires rédigées par le garde des Sceaux, ils cherchent à améliorer leurs actions dans ce domaine, mais manquent cruellement de moyens humains.
Par voie d’un communiqué, de nombreux procureurs de la République dont Éric Neveu fait partie, demandent que leur parquet soit doté d’un juriste-assistant.
Quelle est la situation au parquet de Cusset ?
« Nous sommes débordés. Cela ne veut pas dire que nous ne faisons pas le travail, on le fait, mais cela prend parfois plus de temps. En résumé, nous sommes 3. J’ai un magistrat qui est de permanence 7 jours sur 7, 24 heures sur 24. Sachant que la délinquance augmente, il ne peut pas faire autre chose.
Un deuxième magistrat doit assurer 4 demi-journées d’audience par semaine, préparer les dossiers et parfois rédiger des rapports d’appel. Le troisième magistrat gère à peu près 9.000 procédures par an et doit suivre 175 dossiers à l’instruction, avec tout ce que ça comporte sur le contentieux.
Eric Neveu. Photo La Montagne Vichy
Sans compter les nombreuses réunions en matière de sécurité routière, de radicalisation, d’urbanisme… le contrôle des locaux de garde à vue… »
Qu’est-ce que la présence d’un assistant vous apporterait ?
« Lutter efficacement contre les violences conjugales demande du temps, cela nécessite de réunir différents acteurs, de mettre en place des conventions. Un assistant pourrait contribuer exclusivement à cette grande cause nationale.
À défaut d’un magistrat complémentaire, il pourrait aussi me représenter à d’autres événements, m’aider à préparer des conventions avec différentes associations…
Le parquet de Moulin et celui de Montluçon ont reçu du renfort. Je suis le seul de la cour d’appel de Riom à ne pas en avoir obtenu.
Dans l’idéal il me faudrait un magistrat supplémentaire, et un juriste assistant à temps plein. Je ne suis pas gourmand, je pourrai demander plus. »
Combien de faits de violences conjugales avez-vous traités en 2020 au parquet de Cusset ?
« Nous n’avons pas les outils statistiques qui permettent de dire précisément leur nombre. Ce qui rend la chose complexe, c’est que nous utilisons des codes d’infraction : si j’ai une seule circonstance aggravante, je sais quantifier le nombre de violences conjugales, mais à partir du moment où il y en a deux ou trois (alcool, arme…), je ne peux plus, je passe sur des codes d’infractions qui indiquent violences aggravées par deux ou trois circonstances.
Photo Christelle Gaujard
Nous savons en revanche que depuis début 2021, le nombre de faits de violences est en augmentation de 20 à 25 % sur le ressort de l’arrondissement de Cusset. Des faits qui comprennent des violences conjugales. »
Doit-on y voir un lien avec la pandémie ?
« C’est assez paradoxal, mais pendant le premier confinement de mars 2020, nous avons enregistré une baisse des violences conjugales, contrairement à ce qui est ressorti sur le plan national. Les couples, notamment, qui s’étaient déjà fait remarquer pour des interventions régulières des services de police ou de gendarmerie à leur domicile, ont été étrangement calmes. Mais ces faits de violences sont remontés en flèche à la sortie du confinement. »
Quels sont les dispositifs qui existent actuellement dans l’Allier ?
« Il y a la convention “éviction conjoint violent”, qui permet de sortir l’individu violent de son domicile. Moyennant peu de finances, il est placé dans un appartement du bassin vichyssois avant son audience. Ce dispositif permet de travailler de manière pluridisciplinaire avec l’individu, pour régler des addictions ou l’aider à retrouver un emploi.
Depuis 2021, nous proposons aussi en partenariat avec JEC 03 (Justice et citoyenneté) un stage sur les violences conjugales, qui est une mesure alternative aux poursuites. Par groupe d’une dizaine de personnes, ils travaillent sur cette question, verbalisent, assistent à des interventions de médecins, de psychologues…
La prise en charge des auteurs ne s’arrête pas à l’audience, elle doit se poursuivre pour éviter la récidive.
Et je l’annonce, je vais créer à la rentrée un comité de pilotage au sein de l’arrondissement judiciaire sur le suivi et la problématique des violences conjugales. Il y aura une réunion régulière avec tous les acteurs (gendarmerie, police, service pénitentiaire, juges…) pour trouver une approche opérationnelle à ce que nous avons à améliorer. »
Et d’un point de vue des outils ?
« Nous ne l’utilisons pas encore, mais nous disposons du bracelet anti-rapprochement. Nous avons aussi 5 téléphones grand danger que nous devons mutualiser entre les 3 procureurs du département, ce qui est problématique. Une fois, face à une situation d’urgence, nous avons dû retirer ce dispositif à une femme pour en doter une autre. Nous sommes obligés de prendre des risques. »
Photo Le Populaire du Centre
Sur quel(s) point(s) souhaitez-vous travailler à l’avenir en matière de lutte contre les violences conjugales ?
« Protection, prévention, détection, répression, accueil, accompagnement des victimes : ce sont des vrais sujets sur lesquels on doit s’améliorer. Pendant longtemps le système a été articulé sur la prise en charge de l’auteur. Il faut maintenant passer à une nouvelle étape pour améliorer l’accueil et la détection des victimes. Je suis intimement persuadé qu’il y a un certain nombre de victimes qui ne se plaignent jamais.
Le tribunal judiciaire de Cusset (Allier) en manque d'effectifs
Je me bats aussi depuis que je suis arrivé pour qu’on ait un point d’accès médico-judiciaire pour prendre en charge rapidement les victimes de violence conjugale. Parce qu’à l’heure actuelle, il faut que les victimes se déplacent à l’institut médico-légal de Clermont-Ferrand pour être examinées par un médecin légiste. On manque encore cruellement de choses. »
Comment encourager les victimes à se confier ?
« C’est un problème de prise en charge. Il faut sensibiliser les professionnels qui sont amenés à croiser des victimes, pour qu’elles puissent les orienter vers les services. Après, d’expérience, je sais que les affaires de violences conjugales ne sont jamais simples : il y a le problème de l’ambivalence qui se pose ou celui des mauvais conseils du type “tu es victime, mais tu n’as pas d’argent. Une ou deux claques de temps en temps c’est moins grave que de se retrouver dehors avec tes enfants sans argent”. Ça aussi, c’est un vrai sujet… »
ComparatifLa Conférence des procureurs s’appuie régulièrement sur les chiffres européens pour dénoncer leur manque de moyens.Selon Éric Neveu, « en France, on compte aujourd’hui 2,9 procureurs pour 100.000 habitants, alors que la moyenne européenne est à 11,7. Quinze missions nous sont dévolues, contre 10 en moyenne pour les autres. En France, on compte également 16,5 affaires traitées pour 100 habitants par procureur, alors que la moyenne est à 3,1.En résumé, nous avons à peu près deux fois plus de travail que les collègues européens, avec environ 6 fois moins de moyens ».
Daphnée Autissier