Le goût de l’enfance
"Dans quelle case glissera-t-on cet énième matricule littéraire ?", se questionne Nicolas Crousse à la page 97 de son nouvel ouvrage, Retour en pays natal. L'auteur, journaliste culturel au quotidien Le Soir, précise d'ailleurs : "Ceci n'est pas un roman. Pas un livre de nouvelles. Pas non plus un recueil de poésies. Pas davantage une autobiographie." Un livre de souvenirs, peut-être ? Enrichis en tout cas d'une belle mise en perspective. Si, pour certains, le titre, Retour en pays natal, fait référence à Aimé Cesaire (Cahier d'un retour au pays natal), l'auteur préfère se référer à un haïku de Kobayashi Issa ("Dans chaque perle de rosée/tremble/mon pays natal").
Aux côtés de Nicolas Crousse, on plonge dans les premières années d'un enfant né en 1966. Indubitablement, son histoire fait écho à toute une génération ; certains moments, plus intimes, sont assez parlants que pour toucher à l'universel. Qui n'a pas eu, par exemple, un amoureux ou une amoureuse en primaire ? Qui n'a pas embarqué, enfermé dans sa chambre, pour "des voyages fabuleux de la littérature et des arts" ?
Instants de vie qui touchent au cœur
Nicolas Crousse grandit dans "un petit coin calme de Schaerbeek" ; il passe ses samedis au parc Josaphat ; en famille, ils se réunissent devant la télévision "autour du grand film de la soirée". L'auteur raconte des instants de vie qui touchent au cœur. Car l'enfance, ce paradis, cesse de l'être pour son frère, son aîné de quatre ans, quand le père prend la fuite, "quitte Maman et nous abandonne". Il parle du rire comme adjuvant quand le monde s'effondre, décrit son père comme un homme hédoniste et libre, comme "l'homme de sa vie !", aussi, rien moins. L'on peut aussi voir, dans les propos qu'il tient sur son géniteur, un questionnement sur la paternité - l'intéressé devenant lui-même père de trois filles.
Entre l'aujourd'hui et l'hier, il sonde le temps et n'a pas choisi par hasard de qualifier le XXe siècle "siècle d'avant". Le contraste des saisons, la neige ("mot en voie de disparition"), la Belgique sous le roi Baudouin, les mœurs libertaires de Mai 68 (aurait-il épinglé Matzneff s'il n'avait été au cœur du roman de Vanessa Springora Le consentement ?) sont autant d'étapes marquantes. Si l'on peut rester enfant dans son âme, vient aussi le temps pour Nicolas Crousse d'entrer dans la vie professionnelle. Le voilà alors qui émaille ce récit d'autres jalons - quand, avant de rencontrer des artistes, il est porte-parole d'un ministre.
En début et fin d’ouvrage, Nicolas Crousse semble faire la démonstration, s’il le fallait encore, qu’il possède une plume lyrique, ses figures de style trop généreuses et trop appuyées composent des états d’âme épars qui égarent.
- ★★ Nicolas Crousse | Retour en pays natal | Récit | Le Castor Astral, 189 pp. 18 €, version numérique 10 €
EXTRAIT
"Je riais, oui ! Le monde s'effondrait autour de moi, et moi je riais, je riais, je riais. Moi seul le savais, en ma chair blessée de gamin de six ans : on ne rit pas parce que la vie est belle, parce qu'elle est gentille, parce qu'elle est joyeuse. On rit parce qu'elle est dégueulasse, parce qu'elle vous tend des peaux de banane, parce qu'elle humilie vos candeurs d'oisillon."