Paris envahi par les surmulots
Partout dans le monde, Paris est connu pour ses monuments historiques et son romantisme. En France en revanche, la capitale est célèbre pour une particularité moins glamour : elle est envahie par les rats. Mais lorsque certains conseillers municipaux alertent sur la prolifération de ce nuisible, les militants du parti animaliste rétorquent qu’il serait préférable de parler de « surmulots », terme « moins connoté négativement ». Si les rats se réjouiront peut-être de ce choix sémantique plus clément à leur égard, il n’est pas tout à fait certain que les habitants des logements sociaux concernés accueillent cette réponse avec le même enthousiasme.
Conseil de Paris. Un conseiller d'opposition (@Paul_Hatte) s'alarme de la prolifération de rats dans les logements sociaux.
On lui rétorque qu'on ne doit pas dire "rat", connoté négativement, mais "surmulot". Et il faut "boucher les trous" pour les empêcher de remonter des egouts pic.twitter.com/AJHJUJe1xt— Emmanuelle Ducros (@emma_ducros) July 7, 2022
Discours lunaire et mépris social
Le choix de ce terme n’est évidemment pas innocent et vise à faire croire que ces animaux ne sont pas vraiment un problème. De l’aveu même de ces conseillers de la Mairie de Paris ou de celle de Strasbourg, lorsque vous refusez des termes comme nuisibles ou rats pour leur préférer ceux de animaux liminaires ou de surmulot, vous cherchez à changer la représentation collective de ces animaux pour mieux appliquer votre agenda politique.
L’élu animaliste semble chercher davantage à ne pas infliger des souffrances à ces petits êtres sans défense qu’à trouver des solutions pour les habitants qui subissent cette situation au quotidien. Les Parisiens ont ainsi pu apprécier que ces élus voient d’abord dans les rats un « apport dans la gestion des déchets » plutôt qu’un danger sanitaire évident.
Ce mépris social, qui consiste à préférer afficher ostensiblement sa vertu en matière de souffrance animale plutôt que de se préoccuper de ses habitants, est ce qu’on appelle une croyance de luxe : il faut vraiment vivre dans des quartiers suffisamment privilégiés et éloignés de ces problèmes pour avoir l’audace se soucier autant du sort des rats que de ceux qui subissent leur présence. Une fois de plus, les plus pauvres font ainsi les frais des bonnes intentions des élus de gauche, qui préfèrent protéger leur bonne conscience plutôt qu’essayer d’aider les plus démunis, dont ils se targuent pourtant d’être les représentants.
Changer les représentations pour contrôler la réalité
S’il ne s’agissait que du cas isolé d’une élue un peu hors sol, l’affaire ne serait pas si grave.
Mais ce fait divers s’inscrit dans une tendance plus générale de la politique française : plutôt que de résoudre les problèmes, on préfère nier leur existence et culpabiliser ceux qui s’obstinent à regarder les choses en face. Cela fait des années qu’on nous parle d’un « sentiment d’insécurité » ou « d’inflation ressentie », comme pour mieux rejeter la faute sur les Français. Au rythme où vont les choses, il ne serait pas surprenant qu’on nous demande un jour de remplacer le terme vol par perte au profit d’autrui, ou de préférer le terme sobriété économique à celui d’appauvrissement.
Mais si les politiques sont si prompts à remettre en question les représentations des Français en matière de sécurité, on pourrait aisément leur adresser le même reproche. On se souvient par exemple de Marlène Schiappa et de ses « baromètres annuels pour mesurer dans quels quartiers le harcèlement de rue sévit le plus », signe qu’elle ne semble avoir aucune idée des quartiers où l’on évite de laisser sa fille ou son amie rentrer seule le soir. Un an plus tard, l’absence de nouvelles du projet permet d’ailleurs de soupçonner que les résultats de l’enquête n’étaient peut-être pas tout à fait compatibles avec le politiquement correct.
On sait en tous cas que nos impôts ont encore été gaspillés dans un projet ridicule et aux résultats parfaitement prévisibles, tant tous les Parisiens savent déjà parfaitement quels quartiers éviter pour rester en sécurité.
En matière d’inflation également, les politiques se réfugient derrière les chiffres de l’INSEE pour affirmer que les Français surestiment les hausses de prix. On ne peut que leur rétorquer que la pertinence de tels chiffres est très relative puisqu’ils tiennent à peine compte des dépenses de logement, alors qu’ils représentent régulièrement le tiers des dépenses des ménages. Ajoutons que l’INSEE déduit « l’effet qualité » des prix réels : si vous achetez un smartphone au même prix que l’année dernière, l’INSEE considère qu’il est en fait moins cher car il a été amélioré depuis. Cela fait une belle jambe au consommateur, qui lui paye bien le prix affiché sur le ticket de caisse, et non celui calculé par l’INSEE. S’il n’est pas invraisemblable que les gens aient tendance à surestimer un peu les hausses de prix, il est aussi indéniable que les chiffres de l’INSEE sont construits pour être sous-estimés autant que possible.
Dans le cas de l’inflation comme de la sécurité, il semble donc bien que ce soit les politiques et non les Français qui soient en décalage avec la réalité. Cette volonté politique de tordre la réalité et les représentations collectives n’est qu’un moyen de cacher le bilan catastrophique des différents gouvernements dans ces domaines. Ce déni de réalité ne peut qu’alimenter le populisme, les électeurs étant fatigués qu’on refuse d’aborder les problèmes auxquels ils sont confrontés et même qu’on tente de leur faire croire que le problème vient d’eux.
La nécessité d’une presse libre et indépendante
Ce rejet de la politique s’accompagne d’une profonde défiance envers les médias, parfaitement logique : plutôt que de dénoncer ces manipulations politiques, ils s’en font les relais. Tant que la presse restera aussi largement et abondamment financée par des subventions publiques, les suspicions de collusion avec le pouvoir politique ne disparaîtront jamais.
Il est donc urgent de couper court à toutes les subventions qui abreuvent les médias et encourager les projets comme Contrepoints qui vivent de leurs propres revenus. C’est la seule façon d’avoir des informations réellement indépendantes du pouvoir politique.