Une véritable caverne d'Ali Baba conserve en secret les vieilles machines de l'époque industrielle à Montluçon (Allier)
Recouvert par la végétation et tenu secret pour éviter les convoitises, un vieil hangar veille sur les vestiges industriels de Montluçon. Sous la poussière reposent un massif marteau pilon de la fonderie Saint-Jacques, une imposante machine fabriquée à Cincinnati extraite de l’usine Dunlop, des fours de chauffe des forges Saint-Hippolyte de Vaux… « Même s’il y a quelques manques, c’est un vrai panorama de l’histoire de l’industrie de Montluçon », décrit Éric Bourgougnon, membre depuis toujours du Centre de recherches d’archéologie industrielle et urbaine de Montluçon (Craium).
Son grand-père, René Bourgougnon, et un autre enseignant, Michel Desnoyers, ont fondé cette association il y a quarante ans, avec l’idée de sauver de la ferraille ce qui pouvait encore l’être. « Cette démarche n’était pas bien vue à l’époque. Il y avait une volonté globale de faire table rase du passé et le Craium était à contre-courant », rappelle Éric Bourgougnon.
Sur les traces du chemin de fer à ficelle à Montluçon
« On est sortis de la période de deuil »« Il y a quarante ans, nous étions précurseurs dans la préservation du patrimoine industriel », appuie Philippe Desguis, aujourd’hui président du Craium. Mais il n’y a jamais eu une volonté politique de construire le musée imaginé dans les années 1980. La poussière s’est accumulée sur ces belles endormies jusqu’à ce que l’association sorte de sa léthargie il y a quelques années avec la volonté de mettre en lumière ses trésors. « On est sortis de la période de deuil », soutient Éric Bourgougnon, qui est également chargé de mission auprès de la ville de Montluçon pour mettre en valeur le patrimoine industriel. « On se rend compte qu’il existe une réelle curiosité pour le passé industriel de Montluçon », continue Philippe Desguis, qui défend l’idée de ne « pas faire un musée poussiéreux mais vivant ».
Ville de 5.000 habitants en 1840, Montluçon a été sorti de sa quiétude après l’ouverture du canal de Berry, qui faisait se croiser le minerai de fer venu du Berry et le charbon de Commentry. En raison du dénivelé, le canal ne pouvait se frayer de chemin jusqu’à la cité minière et s’est arrêté à Montluçon, devenu par hasard un carrefour stratégique.
Dans cette caverne d’Ali-Baba, chaque machine raconte une histoire. Philippe Desguis dégote ainsi une grue en bois de la fin du XVIIIe siècle, une des rares pièces à ne pas provenir de Montluçon, ou encore cette machine unique en France récupérée dans l’ancienne fonderie de la Sagem. Lingotière, poche de coulée, électro-aimant… Les noms de ces machines aujourd’hui inanimées racontent à eux seuls un épisode oublié.
Montluçon est caractéristique de la Révolution industrielle, elle en est l’exemple type. Quand on parlait de Manchester français, c’était vrai (Éric Bourgougnon)
L'emblématique usine Saint-JacquesÉric Bourgougnon se rappelle des moules de l’usine Saint-Jacques qu’il a chargés sur la remorque de son grand-père. « Après la fermeture du site, des gens étaient passés avant nous et beaucoup de documents avaient été jetés », regrette-t-il. Cette entreprise mythique de Montluçon a employé jusqu’à trois mille ouvriers et a fabriqué des rails pour les chemins de fer, des canons de toutes les tailles ou encore les pieds de la Tour Eiffel.
La sirène de l’usine Saint-Jacques rythmait la vie de la ville autant qu’elle indiquait les trois huit, commente Philippe Desguis, qui a escaladé les poutrelles métalliques de l’usine dans les années 1980 pour récupérer ce précieux vestige.
L’industrie sidérurgique, arrivée la première à Montluçon, a très vite manqué de charbon, dès la fin du XIXe siècle, mais a perduré pendant plusieurs décennies. Avec Dunlop et la Sagem en figures de proue, des industries nouvelles ont pris la relève dans l’entre-deux-guerres, attirées par la main-d’œuvre nombreuse et qualifiée, ainsi que par l’important nœud ferroviaire de l’époque.
Un berceau du socialismeEn parallèle de la conservation de vieilles machines et d’un important fonds documentaire et photographique, le Craium souhaite depuis l’origine raconter comment la révolution industrielle a façonné l’architecture de la ville, le quotidien des habitants, son histoire sociale et politique. Le bassin de Commentry et Montluçon est le berceau du socialisme en France, rappelle Éric Bourgougnon, avec le premier maire socialiste au monde à Commentry – Christophe Thivrier – et le deuxième à Montluçon – Jean Dormoy.
À Montluçon, la forêt de cheminées a été rasée dans sa quasi-totalité, le canal de Berry a été remblayé et des centres commerciaux ont remplacé les usines. Le passé industriel ne saute pas aux yeux des visiteurs. Pour les Montluçonnais, retrouver une son histoire est aussi une question de fierté à retrouver. « Quand ils partaient en vacances, les Montluçonnais disaient : ce pneu, c’est moi qui l’ai fabriqué », affirme Éric Bourgougnon.
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La majorité emmenée par le maire Frédéric Laporte (LR) n’est pas insensible à la belle collection du Craium, mais pas enclin à créer un musée, « trop lourd à porter en matière de fonctionnement », estime l’adjoint au maire Alric Berton. L’exécutif municipal planche plutôt sur un circuit muséal dans lequel des machines seraient dispersées dans la ville et abritées dans des cocons, sur l’utilisation de la réalité virtuelle pour reconstituer les paysages de l’époque, mais aussi sur une galerie où seraient exposées des machines – un lieu qui ne serait pas ouvert toute l’année.
Label Ville d'art et d'histoireAvec le patrimoine médiéval et ce patrimoine hérité de la Révolution industrielle, la mairie espère obtenir le label Ville d’art et d’histoire, dont le dossier de candidature est en cours de rédaction. Dans ce cadre, la mairie travaille sur l’inscription et le classement aux monuments historiques d’édifices de Pierre Diot, un architecte montluçonnais de la première moitié du XXe siècle.
Une restauration en coursRestaurer et mettre en valeur le patrimoine induit de la Révolution industrielle est la principale tâche que s’est fixé la majorité pendant sa mandature. Cela passe par l’édifice communal et l’église Saint-Paul, un des rares édifices religieux à posséder une structure en fonte faite sur place ; mais aussi par le château de la Louvière – « on aimerait reconstituer comment vivait une famille bourgeoise à l’époque industrielle », affirme Alric Berton ; et enfin, le gros projet de la mairie tient dans les travaux qu’elle va mener à l’hôtel de ville, avec l’idée de redonner son aspect originel à l’intérieur de ce bâtiment de 1911.
Guillaume Bellavoine(Photos Florian Salesse)
