"Salade", "salaire", "saugrenu"… Le français, une langue qui ne manque pas de sel
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On le sait depuis toujours : le sel apporte une saveur indispensable à la cuisine. On le sait moins : le sel épice également la langue française car il a donné naissance à une foule de mots et d’expressions. Oh, bien sûr, nul besoin d’avoir suivi de longues études de linguistique pour reconnaître "saler", donc, mais aussi "salage", "saloir", (marais) "salant", "saleuse", "salière", "saline", "salinité", etc. D’autres, en revanche, sont plus difficiles à identifier.
Pour le comprendre, il faut sans doute commencer par un petit rappel historique. Notre "sel" vient du latin sal et a longtemps gardé cette forme en ancien français. C’est pourquoi, par exemple, nous disons encore "saler" et non "seller" ou "sèler". Et comme ce mot pouvait s’écrire aussi sau et ser, il a laissé des traces plus ou moins reconnaissables aujourd’hui. En voici quelques exemples :
Salaire. Du temps de l’Empire romain, le salaire désignait la "ration de sel" distribuée aux soldats, puis la somme leur permettant d’acheter leur sel. Le mot est resté pour dénommer la rémunération versée en échange d’un travail.
Saupoudrer. Littéralement : "poudrer de sel". Théoriquement, on ne devrait donc jamais saupoudrer un plat avec du sucre ou de la farine… ce que l’on fait pourtant allègrement depuis le XVIe siècle. Le verbe connaît d’ailleurs des emplois plus éloignés encore de son sens originel, notamment dans la finance ("saupoudrer des crédits") et dans la rhétorique ("saupoudrer un discours de citations").
Salade (plante). Que son origine soit attribuée à l’italien insalata (mets salé) ou à l’occitan salada (il y a débat sur ce point), le constat est le même. La salade tire bien son nom du sel utilisé pour son assaisonnement.
Salade (casque). Pourquoi ce casque profond de forme sphérique propre aux cavaliers des XVe et XVIe siècles porte-t-il le même nom qu’une laitue ou qu’une roquette ? Par erreur, pardi ! Cette partie de l’armure a pour origine l’italien celata – au sens littéral : "pourvu d’une grande voûte" –, issu lui-même du latin caelum "ciel". Jusqu’au jour où, allez savoir pourquoi, le "ce" initial est devenu "sa". C’est ainsi que, de celata, on est passé à salata, puis à "salade"…
Salami. Restons dans la cuisine avec le salami qui, à l’origine, désignait en italien la viande salée en général, avant de se spécialiser pour définir exclusivement ce saucisson sec.
Sauce. Gastronomie, encore, avec les innombrables "sauces" qui, toutes, trouvent leur étymologie dans l’adjectif latin salsa, féminin de salsus, "salé" – ce pourquoi, en ancien français, on écrivait salse et sause. Telle est aussi l’origine de nos saucisses et de nos saucissons.
Salsa. Le nom de cette musique et de cette danse de couple cubaines signifie littéralement "sauce" en espagnol. Le lien ? Son charme et surtout son "piquant" – à connotation érotique –, évidemment.
Saugrenu. Difficile de reconnaître le sel derrière cet adjectif un brin suranné, et pourtant… "Saugrenu" se décompose bel et bien en sau, l’une des formes du mot "sel", et en grenu, dérivé de "grain". Il avait pour signification originelle "piquant", "salé" et s’applique aujourd’hui à tout ce qui peut sembler bizarre ou ridicule.
Saumâtre. Là encore, l’étymologie est sans appel. "Saumâtre" nous vient du latin populaire salmaster, "qui a un goût amer et salé comme l’eau de mer". Il a d’ailleurs conservé cette signification même si sa seconde acception "qui est difficile à accepter", est la plus courante.
L’emploi de "sel" en français est si fréquent qu’il a également donné naissance à de multiples expressions, utilisées souvent au sens figuré : "Ce qu’il y a de finement spirituel dans un propos, un écrit, un geste, une situation, ou ce qui augmente vivement leur intérêt" (Larousse). De là "Le sel de la vie" ; "Une plaisanterie pleine de sel" ou encore la parole adressée par le Christ à ses disciples : "Vous êtes le sel de la terre".
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Attention toutefois à ne pas verser dans l’excès inverse. Non, ni "salamalec" ni "saligaud" n’ont un quelconque rapport avec notre "sel", pas plus d’ailleurs que "salive" ou "salamandre". Que voulez-vous ? On ne peut tout de même pas mettre son grain de sel partout…
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Développez l’usage de l’occitan avec Lenga & societat
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