Immobilier : les failles du DPE, ce diagnostic obligatoire qui bouleverse le marché
Le 1er juillet 2021, la France sort tout juste de longs mois de restrictions. L’été se profile, et les Français n’ont sûrement pas la tête à se plonger dans le nouveau diagnostic de performance énergétique (DPE) qui entre en vigueur ce jour-là. Cet outil créé en 2006 renseigne sur la performance énergétique d’un logement et oriente notamment les choix pour les travaux de rénovation. Le DPE est affiché sur les annonces immobilières et il est systématiquement annexé aux contrats de vente et de location.
Depuis le 1er juillet 2021, le DPE a perdu son caractère simplement informatif pour devenir pleinement opposable. Une révolution pour le secteur immobilier. La nouvelle législation a des impacts majeurs pour les professionnels comme pour les particuliers, propriétaires comme locataires. Le DPE se transforme en effet en arbitre de la valeur d’un bien immobilier. "La loi Carrez (NDLR : sur la superficie des logements) a une incidence extrêmement élevée sur la valeur d’un bien et c’est désormais aussi le cas avec le DPE", souligne auprès de L’Express Thierry Marchand. L’ex-président de la Chambre des diagnostiqueurs immobiliers FNAIM (CDI-FNAIM), diagnostiqueur en Bretagne, tient à rappeler que le DPE n’est "pas un outil qui va calculer la consommation énergétique des gens". "Il devrait plutôt s’appeler diagnostic de performance environnementale", estime-t-il.
L’effet de la loi Climat et résilience, qui interdit progressivement à la location les logements les plus énergivores, commence à se faire sentir. Les logements étiquetés F ou G, les deux pires classes du DPE, représentaient ainsi 17 % des ventes conclues au troisième trimestre 2022, contre 11 % un an plus tôt, selon les calculs du Conseil supérieur du notariat présentés le 15 décembre 2021.
Les logements classés G seront interdits à la location en 2025, et le sont même depuis janvier 2023 pour les plus énergivores, c’est-à-dire consommant plus de 450 kilowattheures par mètre carré par an. Les F, eux aussi considérés comme des passoires thermiques, le seront en 2028 et les E en 2034. Sans attendre ces délais, les biens mal notés commencent à subir une décote sur le marché immobilier.
"C’est un peu la roulette russe"
Le diagnostic posé par les professionnels revêt donc une importance majeure. En espérant toutefois que la classe attribuée au logement, à travers une lettre, ne soit pas erronée. Le DPE, "c’est un peu la roulette russe", illustre auprès de L’Express Christophe Demerson, président de l’Union nationale des propriétaires indépendants (Unpi), une association qui conseille et défend les propriétaires immobiliers. "Il faudrait que la méthode de calcul soit indiscutable", ajoute-t-il, car, "vu les enjeux et les sommes consentis, on ne peut pas faire n’importe quoi".
En mai 2022, 60 millions de consommateurs a révélé que, "pour une même maison, cinq diagnostiqueurs n’aboutissent pas au même résultat", avec "au moins deux lettres différentes, et parfois trois" pour les étiquettes énergie. "Erreur de superficie, portes ou fenêtres oubliées, isolation mal prise en compte, chauffage et production d’eau chaude mal évalués… Le bilan n’est pas flatteur pour la profession", estimait le magazine. En septembre 2022, UFC-Que choisir dévoilait que sur sept maisons testées, six obtenaient des classes énergétiques différentes. Pire : l’une d’entre elles s’est vu attribuer des étiquettes allant de "B" à "E". "Les consommateurs sont donc aujourd’hui largement démunis pour prendre attache en toute confiance avec un diagnostiqueur", regrettait l’association.
"Pour un même bien, deux diagnostiqueurs ne font pas le même diagnostic", regrette auprès de L’Express Marcel Crasnier. Ce propriétaire de plusieurs petits immeubles locatifs situés dans le Maine-et-Loire, par ailleurs administrateur de l’Unpi 49, a obtenu deux étiquettes différentes, à deux ans d’intervalle, entre 2019 et 2021, pour deux appartements qui venaient d’être refaits : E et D ainsi que F et E. Ces logements n’avaient pourtant subi aucun travaux entre-temps.
Christophe Demerson évoque une histoire similaire, pour "une petite maison entièrement rénovée". "Elle a été classée F alors que l’on ne pouvait pourtant pas faire mieux au niveau de la menuiserie", explique-t-il. Etonné par cette attribution, il a transmis le dossier au cabinet d’Emmanuelle Wargon, ancienne ministre déléguée en charge du Logement. "Ils ont fait tourner les logiciels et ils l’ont mis en E", dit-il.
Un mode de calcul revu
Thierry Marchand réfute l’idée que les erreurs de diagnostics soient "légion". "Trois classes d’écart dans la lettre d’appréciation du DPE, c’est impossible", souligne-t-il. En revanche, quand deux classes sont très proches, comme le F et le E, il peut y avoir des appréciations différentes", reconnaît-il. Par ailleurs, "certains professionnels ne vont pas jusqu’au bout de la qualité exigée et certains n’ont pas encore compris l’impact que cet outil a sur le bien", déplore-t-il. L’ex-président de la CDI-FNAIM ne sous-estime pas non plus les préjudices liés à des erreurs éventuelles : "Une classe de différence a des conséquences énormes."
Le mode de calcul du DPE a été entièrement revu le 1er juillet 2021. La refonte a permis de passer de "14 outils de mesure à un seul outil universel", se félicite Thierry Marchand. Avant juillet 2021, dans l’ancien, les professionnels établissaient surtout leurs diagnostics à partir des factures d’électricité et de gaz, particulièrement pour les bâtiments construits avant 1948. "On se basait sur les factures d’énergie des occupants, on divisait par la surface habitable et on obtenait une note énergétique", explique Thierry Marchand. Selon ce professionnel, environ 25 % des DPE, dit "vierges", ne comportaient pas de mention, puisque les diagnostiqueurs ne disposaient pas des factures d’énergie.
Dans la foulée du lancement du nouveau DPE, le nombre de "passoires thermiques" a explosé de façon inattendue, en particulier pour ceux construits avant 1975. Alerté par les fédérations professionnelles, le gouvernement a suspendu dans l’urgence l’édition des DPE fin septembre 2021 pour les logements construits avant 1975. Une nouvelle mouture du DPE a été lancée en novembre 2021.
Selon le gouvernement, la refonte du DPE, dont "la méthode de calcul est unifiée et fiabilisée", permet de le rendre "plus lisible, plus simple à comprendre et plus complet". Ce DPE "prend mieux en compte l’enjeu de lutte contre le dérèglement climatique dans la notation du logement, avec un double seuil énergie-carbone pour déterminer l’étiquette énergétique", estimait l’exécutif le 1er juillet 2021.
Le diagnostiqueur s’appuie désormais sur la même méthode que celle utilisée pour les logements les plus récents. Thierry Marchand passe en revue les différentes étapes permettant de poser un diagnostic, notamment "la mesure de la surface réelle" du bien et "la mesure des parois, des murs, des fenêtres, qui sont caractérisées par 14 points de contrôles". "Il va ensuite rentrer toutes ces données dans un logiciel", explique-t-il.
Des valeurs par défaut renseignées
"Beaucoup de diagnostiqueurs disent : 'Je n’ai pas de données donc je mets des valeurs par défaut'. Mais ce n’est pas ce qu’on leur demande, regrette Thierry Marchand. Ils doivent faire un travail d’investigation, récolter les documents des propriétaires et, si jamais ils ne les ont pas, ils doivent mettre une valeur par défaut. Cela doit se faire dans ce sens-là, et non pas l’inverse." L’ancien président de la CDI-FNAIM conseille aux propriétaires de conserver tous les documents. Car si l’immeuble a été construit avant 1974 et que le diagnostiqueur ne dispose pas d’information sur l’isolation du bien, le professionnel va considérer qu’il n’est pas isolé et va le classer "comme si c’était une maison construite dans les années 1920-1930".
En outre, le DPE a tendance à fortement pénaliser les petites surfaces, comme le regrettent Christophe Demerson et Thierry Marchand. "Il faudrait trouver des solutions techniques, avec un système de pondération, pour que les notes ne soient pas catastrophiques", souhaite Thierry Marchand.
Face à la défiance, le ministre délégué chargé du Logement, Olivier Klein, a estimé le 2 février sur Sud Radio que le DPE "doit être fiable" et promis "plus de contrôles". L’une des pistes envisagées est le renforcement de la formation pour réaliser des diagnostics énergétiques. Celle-ci ne dure que trois jours, contre deux semaines il y a une quinzaine d’années. "La formation est insuffisante, reconnaît Thierry Marchand, précisant qu’environ 5000 cabinets de diagnostics immobiliers existent en France, dont 60 % comptant un seul professionnel. "Au début, la formation était musclée, mais, au fil des années, les formations réalisées par les organismes sont devenues du bachotage", constate l’ex-président de CDI-FNAIM. Il défend toutefois une profession "contrôlée en permanence", régit par "énormément de textes", avec un certificat professionnel renouvelé tous les sept ans.
Cela n’empêchera sans doute pas la multiplication des recours en justice. Comme le relève Le Monde, des avocats en droit de l’immobilier voient de plus en plus arriver dans leur cabinet des acheteurs de biens s’estimant floués par une étiquette énergétique trompeuse. Le caractère opposable du DPE pourrait donc entraîner une massification des contentieux. Les assureurs, dont le contrat "responsabilité civile professionnelle" couvre les diagnostiqueurs, l’ont compris. Comme le rappelle le quotidien, la compagnie mutualiste MMA a ainsi résilié au 1er janvier 2023 le contrat souscrit par la Fédération interprofessionnelle du diagnostic immobilier (FIDI). S’il reste présent sur ce marché, le groupe Axa reconnaît de son côté qu’il deviendra plus sélectif et ne travaillera qu’avec des acteurs de qualité.