Dans l'enfer de Tribe of Nova, festival devenu symbole du massacre en Israël
Leur pari d'organiser la première édition d'un festival de musique né au Brésil 20 ans plus tôt semble réussi, au départ. Israéliens et étrangers, quelque 3.500 personnes affluent dès vendredi sous les tentures roses et bleues de Tribe of Nova, dans le sud d'Israël.
Trois scènes, des DJ venus du monde entier, un espace camping, des bars pour ravitailler les fêtards... Rien n'a été laissé au hasard sur le site en plein air situé dans le désert du Néguev, à cinq kilomètres de la frontière avec Gaza.
L'aube se lève, samedi, les festivaliers dansent encore quand tout à coup, la techno s'arrête. Il est environ 6h30. Au loin, des bruits sourds se font entendre. "Les gars, alerte rouge, regroupez-vous", prévient le haut-parleur.
Ephraim Mordechayev, 23 ans, est un jeune soldat venu faire la fête pour le week-end, qui coïncide avec la célébration juive de Soukkot. A ce moment-là, "on rigolait encore et on ne prenait pas la situation au sérieux", explique-t-il à l'AFP. "Nous sommes habitués aux roquettes" lancées depuis l'enclave qui vit sous blocus israélien depuis que le Hamas en a pris le contrôle en 2007.
Le jeune homme et ses amis commencent à se disperser dans le calme, mais prennent rapidement conscience que la situation n'a rien d'"habituel". Le danger ne vient plus seulement des airs: des hommes armés ont infiltré la foule. Certains atterrissent en paramoteurs, tandis que d'autres débarquent à motos ou à bord de pick-ups.
"Lorsque nous avons vu les terroristes, la panique a commencé", raconte Ephraim Mordechayev.
Chasse à l'homme
Commence alors une vaste chasse à l'homme. Méthodiquement, les assaillants abattent tous ceux qu'ils croisent en chemin, sans épargner personne. Les agents de sécurité et policiers présents sur les lieux sont rapidement débordés, eux-même pris pour cible.
Chacun se débrouille pour sauver sa peau. Les uns courent vers les champs qui entourent le site. Les autres tentent de rejoindre leur véhicule, sur l'un des deux parkings aménagés pour le festival. Mais très vite, un embouteillage se forme.
"J'ai regardé en arrière et j'ai vu que dans la voiture derrière moi il y avait trois cadavres et que toutes les vitres des voitures étaient brisées", raconte le soldat Mordechayev.
Restent deux options: se cacher ou fuir à pied à travers la plaine. Ephraim Mordechayev choisit la deuxième. Il court de buisson en buisson, terrifié, jusqu'à ce qu'une voiture pleine à ras bord le cueille en rase campagne.
La route 232, la seule pour quitter cet enfer, n'est pas beaucoup plus sûre. Cet axe parallèle à la frontière qui sépare Israël de la bande de Gaza relie le kibboutz voisin de Reim à la ville de Sderot, une trentaine de kilomètres plus au nord.
7h39. Une caméra embarquée à bord d'une voiture qui a réussi à fuir montre comment le piège se referme sur ses occupants. Les rafales tirées par des combattants palestiniens embusqués derrière les talus bordant la chaussée éclatent le pare-brise, forçant le chauffeur à s'arrêter, sans qu'on sache s'il a été touché.
Gili Yoskovich décide elle aussi d'abandonner son véhicule pour courir à travers champs. Mais il n'y a quasiment nulle part où se cacher sur cette étendue désertique. La jeune femme aperçoit un petit verger, fonce se mettre à l'abri. Les assaillants la suivent de près.
"Ils allaient arbre par arbre et tiraient. J'ai vu les gens mourir autour de moi. J'étais très silencieuse. Je n'ai pas pleuré, je n'ai rien fait", a-t-elle raconté à la BBC, après avoir réussi à s'échapper avec son petit ami.
Tous n'auront pas cette chance. Des heures durant, alors que le crépitement des armes automatiques se rapproche sans cesse, ils se jettent derrière une voiture, se dispersent en pagaille. Affolés, certains vont s'allonger au milieu des cadavres, dans l'espoir de survivre.
Achevé à bout portant
Trois heures après le début de l'assaut, des combattants du Hamas poursuivent leur carnage sans rencontrer de résistance. Des images de surveillance affichant 9h23 montrent un homme coiffé d'une casquette noire, gilet pare-balle sur les épaules, emmener un otage au tee-shirt ensanglanté. En arrière-plan, la silhouette allongée d'un jeune homme qui fait le mort remue. Il croit le champ libre pour s'enfuir mais n'a pas vu l'autre assaillant arriver par derrière. Celui-ci l'achève à bout portant.
Plusieurs rescapés ont affirmé aux médias avoir attendu six, parfois sept heures avant d'être enfin sauvés par l'armée israélienne. Lorsqu'il arrivent sur place, les premiers secouristes découvrent avec horreur l'ampleur du carnage. Au total, 270 morts ont été dénombrés.
Des dizaines de carcasses de véhicules incendiés encombrent l'accès au site. Sur des centaines de mètres, sacs de couchages, matelas, chaussures et glacières jonchent le sol, abandonnés à la hâte.
"Dans chaque voiture, il y avait un, deux ou trois corps", raconte à l'AFP Moti Bukjin. "Certains avaient une balle dans la tête ou dans le menton". D'autres "ont été abattus alors qu'ils tentaient de fuir et sont tombés dans les fossés au bord de la route".
Quatre jours après cette tragédie, il y a les morts que l'on pleure, mais aussi l'angoisse qui ronge les familles à la recherche de disparus. Ils seraient des dizaines à avoir été enlevés pour servir d'otages à Gaza, enclave bombardée nuit et jour par Tel-Aviv.
Michael Waknin, l'un des deux jumeaux organisateurs, en fait-il partie? Est-il vivant, caché quelque part? C'est ce que veut croire sa soeur Ausa, qui n'a plus de nouvelles. Quant à leur frère Osher, des témoins l'ont vu sortir de sa voiture pour secourir des gens, au milieu du chaos. Sa veuve, Sunny Waknin, assure qu'il est mort en "héros". Sa dépouille a été enterrée mardi à Jérusalem.