La chambre d'agriculture du Cantal a 100 ans : ces trois anciens révèlent ce qui les a marqués
Michel Teyssedou, membre élu de 1989 à 2006, président de 1995 à 2001. « Je suis arrivé en 1995, trois ans après la réforme de la Politique agricole commune (PAC). En 1986, la France, présidée par François Mitterrand, décide de mettre le dossier agricole sur la table de la négociation de l’Organisation mondiale du commerce. L’exception agricole allait tomber. La puissance et les lobbies des pays anglo-saxons déclarent qu’il faut que les agriculteurs soient “capables de réagir au signal du marché”. On met l’agriculture dans le libéralisme », a témoigné Michel Teyssedou, ancien président de la chambre, lors de la dernière session de la consulaire. "À l’époque – c’est moins vrai aujourd’hui –, la mondialisation est source de développement économique à travers les échanges et porteuse de paix. Sauf que quelques décennies plus tard, on n’a jamais eu autant de tensions sur le plan géopolitique."
Le projet n’a pas marché. Pourquoi ? Parce que le marché se moque de qui produit, où il produit et à combien il produit
"Toute la subtilité de la politique agricole, qui reste à reconstruire, repose sur un autre principe : la loi libère et la liberté asservit. L’agriculture ne résiste pas aux règles du marché. Alors il faut réguler. » Parmi les souvenirs qui l’ont marqué, Michel Teyssedou évoque une commission départementale d’orientation de l’agriculture en préfecture, sous la présidence de Jacques Chirac. « C’était tellement inédit qu’on ne peut pas l’oublier. J’ai eu l’honneur de l’accueillir dans cette salle et de lui faire part des enjeux de notre département de montagne, de l’ensemble des dossiers agricoles. C’est marquant et j’en garde un excellent souvenir. »
Louis-François Fontant, membre élu de 1995 à 2018, président de 2001 à 2013. « Je me suis installé en agriculture en 1977. J’avais quatre enfants, une exploitation qui tournait à peu près et des engagements locaux. J’étais vice-président de Michel Teyssedou. Autant vous dire que ça booste un peu. Nous avons mis en œuvre le projet départemental avec Bernard Berthelier. Installation, développement ou difficulté… On a toujours besoin d’une chambre à sa place. Moi, j’ai eu le sentiment d’être un président à sa place. Mon premier mandat, c’était en 1995. C’était compliqué, parce qu’avec une grosse coopérative, nous avions de véritables désaccords. Mais l’une de mes grandes satisfactions, c’est quand même une relation très franche avec le conseil général. Une relation où chacun est à sa place. Ce qui nous préoccupe, c’est le monde agricole, donc d’avoir une relation claire et efficace. »
"Michel dit : "On n'a pas assez gagné, moi j'y vais pas"L’élu a cité plusieurs bons moments. Comme les soirs d’élection. « Moi, si je suis président, c’est à cause de Michel Teyssedou. En 2001, on gagne les élections et Michel dit : “On n’a pas assez gagné, moi, j’y vais pas.” On avait gagné, il n’y avait aucun doute ! Mon épouse pleure, elle ne veut pas que j’y aille, mais à la fin, on y va quand même. En 2007, on a gagné bien plus brillamment ! Et quand, avec Géraud Fruquières, on annonce aux collaborateurs et aux élus que nous allions arrêter, c’est un bon moment aussi. Parce qu’on a l’impression d’être remplacé par une équipe qui monte, bien meilleure que nous ! On avait le sentiment de laisser la maison dans de très bonnes mains. »
Bernard Berthelier, directeur de 1995 à 2015. « La première fois que je suis venu à la chambre d’agriculture, c’était en 1974, pour un stage d’été pendant mes études. Pour m’expliquer ce qu’était la chambre, on m’a donné la plaquette du cinquantenaire des chambres d’agriculture… Après, je me suis rendu compte que c’était bien plus que des mots, que c’était un travail et toute une vie. »Parmi les épisodes marquants, l’ancien directeur a cité « tous les temps de travail avec les équipes et la direction… En particulier les temps des séminaires, on partait rigoler dans nos montagnes. C’étaient des temps de cohésion et de préparation de l’avenir avec pour objectif de faire en sorte que les collaboratrices et collaborateurs puissent apporter le meilleur de leur service ».
Bienvenue à la ferme : un dispositif lucratif !La diversification lui a également laissé un souvenir impérissable. « Bienvenue à la ferme, en 2001… On a acheté les noms de domaine bienvenuealaferme.com. À l’époque, ce n’était pas cher, c’était 100 euros. Puis, au bout d’un an ou deux, l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture (APCA) était embêtée, elle ne pouvait pas les acheter. Donc, on les a revendus pour 20.000 euros, une plus-value pour la chambre d’agriculture ! » Des moments moins drôles lui sont inoubliables. « La période des années 1990 où se négociait l’introduction de l’agriculture dans ces négociations internationales. Ce qui nous paraissait à nous une erreur. D’ailleurs, trente ans après, on observe que c’en était une. On en était convaincu pour les agriculteurs et pour la société en général. En 1993, on écrivait : “On ne pourra pas régler par le marché des questions qui concernent la société et la nature”. » Parce qu’à travers l’agriculture, se posent de vraies questions de société, comme l’alimentation. Bernard Berthelier a conclu son intervention par une citation de Lamartine : « Ce n’est pas seulement du blé qui sort de la terre labourée, c’est une civilisation tout entière ».
Anna Modolo