Un spécialiste alerte : "Une jeune génération biberonnée à la pornographie"
« Quand une meuf ne veut pas, est-ce qu’un copain peut la tenir pour qu’on puisse se la faire ? » Voilà le genre de phrases que le professeur Nisand a pu entendre pendant ses interventions d’information sexuelle en école.
Professeur de gynécologie obstétrique à l’université de Strasbourg, Israël Nisand intervient en milieu scolaire depuis vingt-cinq ans. Non pour des cours d’éducation sexuelle, parce que « l’éducation c’est amener à une norme et il n’y a pas de normes en matière de sexualité ».
En vingt-cinq ans, vous avez vu la jeunesse changer??
L’adolescence est la même. Le corps change. Il y a toujurs eu des angoisses identitaires. C'est un moment où le besoin d'informations est très fort. En France, on n'apprend pas aux jeunes à entrer dans la vie sexuelle. Mais rassurez-vous, la pornographie s'en charge à notre place et ce n'est hélas pas "rassurant".
Cette passivité est-elle due à un tabou??
La France est spécialisée dans la rédaction de loi qui ne sont pas appliquées. La première de ces lois ignorées dans le domaine, c’est la protection des mineurs. Quand on est milliardaires du net, on peut traumatiser tranquillement des jeunes avec des images faites par des adultes, pour des adultes, sans avoir de comptes à rendre à la justice. D’ailleurs, ces milliardaires mettent leurs enfants dans des écoles sans internet. La deuxième loi bafouée, c’est l’obligation de trois séances d’information à la vie affective puis sexuelle chaque année à l’école. Ce n’est pas appliqué. Ce qui explique qu’on ait 15.000 IVG sur mineures chaque année en France, pour 5.000 en Hollande à population équivalente. L’augmentation des viols de mineurs par des mineurs, des violences entre les sexes… Normal, on append le "non-consentement" dans la pornographie. Cette génération est biberonnée à la pornographie, et nous n’avons pas compensé cela par une parole saine des adultes.
La France est championne du monde du tabou sur la sexualité. Et de fait, nous avons 20 % de garçons et de filles victimes d’inceste. Un record en Europe. Les tabous, ce sont les femmes qui en paient le prix. Aucun homme n’a été obligé de subir une IVG.
Est-ce que les parents ont un rôle à jouer??
Ils ont une place irremplaçable. Apprendre le respect de soi-même, de l’autre. Mais vers 13 ans, au moment de la puberté, les parents ont besoin d’aide. Quand les parents cherchent à s’insinuer dans la vie intime de leurs enfants, nous entrons dans quelque chose d’assez incestueux. On ne peut pas être celui qui interdit, qui fixe les limites, en même temps que celui qui conseille en matière de sexualité.
Presque 100 % des jeunes aurait vu des images pornographiques.
La sexualité ne peut pas être abordée, vous dites, seulement sur l’angle des maladies, des grossesses…
Mes interventions parlent beaucoup de virginité, de consentement, d’identité, de genre… Et c'est difficile de parler aujourd'hui du genre de manière équilibrée. Il faut rappeler qu’il y a trois grands ensembles immuables : le sexe anatomique et génétique que nous ne pouvons pas changer?; le genre qui peut changer même d'une semaine à l'autre?; et la sexualité qui peut changer toute la vie. Les troubles identitaires existaient autrefois, mais plus cachés carr pathologisés. Certains jeunes sont troublés par ce qu’ils voient sur les réseaux. Un jeune attiré par le même sexe peut mettre ça sur le compte de « Je ne suis pas dans le bon corps ». L’homophobie est hélas toujours très présente dans les têtes. De nombreux jeunes considèrent toujours encore l’homosexualité comme une maladie. Je suis très favorable à la transition identitaire sociétale et psychologique quand un adolescent la souhaite. Par contre, je suis tout à fait contre modifier le corps avant 18 ans. Et même là c’est jeune, mais on est libre de faire ce que l’on veut.
On parle beaucoup d’une génération qui ne fait plus l’amour. Vous le constatez??
On me demande souvent « Est-ce qu’on est obligé?? ». Je vois le dégoût de certains après avoir été inondés de pornographie. Je n’ai rien contre la pornographie pour les adultes, mais un enfant n’a pas l’équipement critique pour comprendre que plus c’est transgressif, plus ça vend.
La pornographie est un almanach de la jouissance masculine et de l'humiliation des femmes. Et il suffit de cliquer sur « oui, j’ai 18 ans ». C’est enfreindre la loi en se moquant du monde. Il suffirait de demander la production d'un numéro de carte bleue, même sans prélèvement, avant de diffuser la première image. Ça prend quatre secondes à mettre en place. Je ne comprends pas que le gouvernement, qui auraient tous les parents derrière lui, n’ait pas encore imposé ce genre de protection de nos mineurs.
Quand il n’y avait pas d’images pornographiques qui sautaient aux visages de nos enfants sans même qu'ils les aient cherchées, on pouvait laisser faire le temps, la nature. Aujourd’hui, nous n’avons plus le temps. Nos enfants sont hélas éduqués par le porno et cela ne présage rien de bon pour les relations entre les sexes à l'avenir dans notre pays.
Parler sexe. Comment informer nos ados, d’Israël Nisand, éd. Grasset, 136 p., 16 €
Propos recueillis par Simon Antony