À la Cinémathèque française, les parcours transgressifs des travestis du cinéma
Quelle belle idée de rétrospective thématique ! Dans cette programmation, le/la spectateur·ice pourra voir et revoir des films connus, pour la plupart des comédies (mais pas toujours, comme Pulsions de Brian De Palma), comme Tootsie de Sydney Pollack, Madame Doubtfire de Chris Columbus, The Rocky Horror Picture Show de Jim Sharman, La Cage aux folles d’Édouard Molinaro, Allez coucher ailleurs d’Howard Hawks, Les Amours d’Astrée et Céladon d’Éric Rohmer, Certains l’aiment chaud de Billy Wilder, et le film, bien moins connu dont il est le remake, Fanfare d’amour de Richard Pottier, avec Fernand Gravey et Julien Carette, bien avant Tony Curtis et Jack Lemmon…
Un personnage émancipateur
L’intérêt, dans cette programmation, réside dans le fait que de grands films y côtoient des nanars, dans la plus grande allégresse – comme le fameux Glen or Glenda d’Ed Wood. Le travesti, l’homme qui se déguise en femme pour l’essentiel, déclenche évidemment le rire, mais il modifie aussi la psychologie de l’homme en question. Jack Lemmon, dans Certains l’aiment chaud, finit par ne plus savoir s’il est un homme ou une femme.
Et si Marylin Monroe tombe amoureuse de Tony Curtis, comme le dit Noël Herpe dans le petit livre dont nous allons parler ci-dessous, c’est aussi parce qu’il ressemble à l’amie saxophoniste de son orchestre, Joséphine. Cette femme, qu’il fait semblant d’être par contrainte, lui révélera sa part de féminité, une prise de conscience qui survivra à la révélation du subterfuge.
Le travesti reste un homme, mais comprend mieux les femmes – et le comique des films de travestis repose souvent sur le fait que, déguisés en femmes, les héros sont très vite courtisés par d’autres hommes – d’où souvent une gêne finalement tout à faire salutaire et instructive pour l’homme hétéro moyen. On ne sort pas indemne d’une robe de femme, semblent dire tous ces films, petits ou grands.
À l’écran et sur papier
À l’occasion de cette rétrospective, les éditions Capricci éditent un petit livre écrit par son programmateur, l’historien et universitaire bien connu des cinéphiles, Noël Herpe, lui-même auteur d’un film, en 2010, où il se mettait lui-même en scène en travesti et intitulé C’est l’Homme (qu’on pourra aussi voir à la Cinémathèque). Son livre est passionnant, stimulant.
Ce que décrit entre autres très bien Noël Herpe, c’est que dans la fiction, le travestissement en femme est une question de survie ou du moins le seul moyen d’échapper à une situation difficile pour l’homme qui le pratique : échapper à des gangsters et trouver du boulot pour les deux musiciens de Certains l’aiment chaud, échapper au chômage pour Dustin Hoffmann dans Tootsie ou Julie Andrews dans Victor, Victoria, pouvoir coucher dans la même chambre pour Cary Grant (ils sont tous les deux militaires) dans Allez coucher ailleurs, etc.
Contraint et forcé, le problème est ensuite d’arriver à en sortir. Herpe écrit : “Le travesti est, par excellence, l’otage de la situation. D’où vient que cette aliénation est jouissive ? J’ai du mal à n’y pas voir quelque chose d’érotique. Se trouver piégé par la situation, chercher à tâtons comment s’en sortir (l’éternelle question), c’est faire durer le désir en retardant, autant que possible, l’évènement des corps.” Un essai très vif, roboratif pour l’esprit, libre et personnel.
Rétrospective à la Cinémathèque française du 27 mars au 10 avril.
Travestissons-nous ! (Quand l’acteur se déguise en femme), de Noël Herpe, éditions Capricci, collection “Actualité critique”, 112 pages, 13,50 euros.