Bernard Pivot dans "Apostrophes", entre célébrités et polémiques
L'écrivain et journaliste Bernard Pivot, mort lundi 6 mai, au lendemain de ses 89 ans, a présenté l'émission télévisée “Apostrophes” pendant quinze ans. Quelques souvenirs du défilé de célébrités littéraires débattant sur son plateau.
L'écrivain et journaliste Bernard Pivot, dont on conservera l'image un livre à la main et ses lunettes dans l'autre, présenta l'émission "Apostrophes" pas moins de 724 fois sur Antenne 2, entre 1975 et 1990.
Pendant quinze ans, l'émission est "Apostrophes" connaît un franc succès, étant suivie par des millions de téléspectateurs. On y rit, on rivalise d'esprit, on fume et on boit, on s'insulte, on s'embrasse... Le public adore, les ventes de livres suivent. Les auteurs se succédant sur le plateau de Bernard Pivot ont apporté à l'émission des moments florilèges comme de belles polémiques.
"Ta gueule !"En 1975, le Russe Vladimir Nabokov est l'invité exceptionnel d'"Apostrophes". Bernard Pivot lui demande à plusieurs reprises : "Encore un peu de thé, M. Nabokov ?" En fait, l'auteur de "Lolita" avait demandé à ce que, dans la théière, on verse du whisky.
Trois ans plus tard, Charles Bukowski boit trois bouteilles de sancerre avant le début de l'émission et durant son interview. À l'antenne, l'auteur du "Journal d'un vieux dégueulasse", complètement saoul, tient des propos incohérents. Le journaliste et écrivain François Cavanna lui lance : "Ta gueule, Bukowski !", lequel se penche vers la romancière Catherine Paysan pour caresser son genou. "Ça, c'est le pompon !", s'écrit-elle. Bukowski s'agite sur sa chaise. Quelqu'un vient le soutenir pour qu'il puisse quitter le plateau. Les ventes des romans de l'Américain explosent.
Matzneff face à BombardierDes débats surprenants ou houleux, il y en eut des dizaines. Lors de l'un des plus marquants, en 1990, la romancière québecoise Denise Bombardier s'oppose à Gabriel Matzneff, dont les écrits font l'apologie des relations sexuelles avec les enfants et adolescents.
"S'il y a un véritable professeur d'éducation sexuelle, c'est quand même Gabriel Matzneff, il donne volontiers des cours", lance Bernard Pivot, badin, en présentant l'auteur qu'il qualifie aussi de "collectionneur de minettes".
"Moi, M. Matzneff me semble pitoyable", répond Denise Bombardier, seule sur le plateau à s'inquiéter pour les conquêtes mineures de l'écrivain et jugeant qu'il aurait eu "des comptes à rendre à la justice" s'il n'avait pas "une aura littéraire". "Il y a des limites même à la littérature", déclare-t-elle encore.
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Cette séquence est devenue virale à la sortie fin 2019 du livre "Le Consentement" de Vanessa Springora, sur ses relations, mineure, avec Gabriel Matzneff, conduisant Bernard Pivot à faire amende honorable sur Twitter. "Dans les années 70 et 80, la littérature passait avant la morale ; aujourd'hui, la morale passe avant la littérature. Moralement, c'est un progrès. Nous sommes plus ou moins les produits intellectuels et moraux d'un pays et, surtout, d'une époque", a-t-il écrit à son presque million d'abonnés.
"Qu'est-ce qu'il a dit, le blaireau ?"En 1986, Serge Gainsbourg, affalé devant un piano, peut-être éméché, peut-être pas, dit : "Du champ', du brut', du vamp', du put'" et explique que "ce sont les mots qui véhiculent l'idée et non pas l'idée qui véhicule les mots".
Guy Béart n'est pas d'accord. Gainsbourg, sans même tourner la tête, lâche : "Qu'est-ce qu'il a dit, le blaireau, là ?". Béart tente de parler, l'auteur de "Melody Nelson" balance : "Ta gueule". "Je sens qu'il y a un petit contentieux entre vous", dit Pivot. "Mais non !", souffle Gainsbourg. "Absolument pas ! Je le connais pas". Ce qui est totalement faux.
Bernard Pivot gardera un mauvais souvenir de cet épisode : "Guy Béart avait été agressé, il avait dû réagir et l'émission ne le mettait pas à son avantage". "Ce qu'il y avait de blessant dans 'blaireau', c'était la façon de dire. Une méchanceté se dégageait", notera pour sa part Béart.
Pivot, dictateur du marché des livresEn 1982, Régis Debray accuse, devant l'Union des écrivains à Montréal, Bernard Pivot d'exercer "une dictature sur le marché des livres". Celui-ci répond du tac au tac : "Je n'admets pas que ce mot épouvantable de dictature qualifie ce qui n'est que le libre choix des téléspectateurs et des amateurs de lecture. Il n'est pas bon qu'un philosophe, intellectuel de gauche et conseiller de l'Élysée, croie que les publics sont des choses molles et facilement influençables".
À cette époque, en proie à la lassitude, Bernard Pivot songe à arrêter son émission. Mais Pierre Desgraupes, le patron d'Antenne 2, lui dit que s'il arrête, on dira qu'il a cédé au pouvoir, Régis Debray conseillant le président François Mitterrand sur les affaires culturelles. Pivot continue donc de présenter l'émission pendant encore huit ans avant de se tourner vers “Bouillon de culture”, de 1991 à 2001.
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Avec AFP