Haute-Loire : la Maison Thévenon mise sur le savoir-faire français
En matière de textile d’ameublement, la Maison Thévenon mise sur sa double activité, comme éditeur de tissus et de confectionneur dont une partie a été relocalisée à Saint-Germain-Laprade. Un premier atelier de confection est opérationnel. Il vise la rentabilité d’ici deux ans. C’est l’une des entreprises, défendant le savoir-faire construit au sein de la filière textile locale et cherchant à s’imposer sur un marché souvent haut de gamme, que L’Éveil de la Haute-Loire vous propose de découvrir au fil d’une série de plusieurs épisodes à lire dans nos colonnes.
Ces derniers mois ont été chargés et humainement très riches pour l’éditeur de tissus d’ameublement avec la mise en route des Ateliers Thévenon qui viennent de prendre le virage de la confection. L’équipe renforcée par une vingtaine de recrues a investi la nouvelle usine de Saint-Germain-Laprade. L’industrie textile altiligérienne retrouve des couleurs après des années en demi-teinte.
Le dirigeant Vincent Thévenon entend bien surfer sur « le savoir-faire à la française », le « Made in France », pour récupérer de la valeur ajoutée. Mais sans renier le passé.
Une image frappe le visiteur sur le nouveau site de la zone industrielle de Bombes. Dans une cour intérieure de l’entreprise, un olivier dresse ses rameaux en direction d’un puits de lumière. Il faut y voir le signe de la fidélité à l’esprit des bâtisseurs de la société, en particulier l’hommage rendu à Olivier Thévenon, le père de Vincent qui a confié à celui-ci les rênes de l’entreprise en 2006.
Le choix entre 2.500 références de tissusLa mémoire de l’entreprise se concentre dans un petit bureau, l’espace réservé à l’échantillonnage, où les clients et prospects ont le choix entre 2.500 références de tissus. Les modèles restent en général trois ans dans les collections, avec quelques exceptions comme cette toile de Jouy représentant des scènes de vie du XVIIIe siècle et qui a longtemps habillé fenêtres et canapés de châteaux. « Quand je suis arrivée, il y a 31 ans dans l’entreprise, on proposait déjà ce modèle », confie Martine, une des plus anciennes salariées de la Maison Thévenon.La société, qui a récemment déménagé, est appelée encore à grandir.
Les mêmes tissus sont employés sur place dans la confection de rideaux, stores ou têtes de lit. Chaque année deux collections, automne/hiver printemps/été, sont proposées aux clients dans des styles et matières différents : tissus jacquard, brodés, imprimés… Dans le nouvel atelier de confection, une dizaine de personnes a été formée en prévision de l’ouverture de l’usine l’an dernier. Une deuxième vague de recrutement a eu lieu il y a quelques semaines : une dizaine de femmes venues de tous horizons sont en ce moment en formation durant six mois.Les embauches se sont accompagnées de l’acquisition de nouvelles machines (pour 600.000 euros). Les Ateliers Thévenon sont appelés à faire travailler une quarantaine de personnes.
Carine fait partie de la première vague de recrutement, après être passée par La Maroquinerie du Puy. « Je suis très manuelle, j’avais envie de travailler un produit noble », assure la jeune femme qui a commencé comme paysagiste avant de multiplier les contrats, comme ambulancière ou dans la grande distribution. La voici donc aujourd’hui couturière pour la Maison Thévenon. Elle en est fière.
Sa formation lui assure une grande polyvalence sur les différentes machines de l’atelier que dirige Lorenzo qui est d’origine italienne. Depuis juin 2023 où elle a terminé sa formation, la jeune femme assure avoir gagné en assurance. Elle parle de son travail avec passion : « On reçoit les tissus sur des rouleaux. S’ensuit un travail de coupe puis de métrage en fonction des commandes qui sont réalisées sur mesure. Des matières se travaillent plus facilement que d’autres comme le velours qui réclame davantage de technicité quand on coud deux morceaux ensemble. » Beaucoup ici, comme Carine, n’avaient jamais auparavant touché à une machine à coudre industrielle.
« Il fallait en passer par la formation pour répondre à nos besoins de fabrication », commente Vincent Thévenon qui estime que son nouvel atelier de confection ne gagnera pas d’argent avant deux ans. Les clients sont des décorateurs, tapissiers, architectes d’intérieurs, industriels du luxe, uniquement des professionnels.
L’éditeur, « un chef d’orchestre »À peine quitte-t-on l’atelier qu’on se retrouve dans la partie réservée à l’activité historique de la société, l’édition de tissus. Cette dernière, plutôt florissante, permet d’assurer le financement de la confection. Vincent Thévenon : « Un éditeur est un chef d’orchestre, un créateur, mais qui ne produit pas le tissu. Chez nous, il y a mille métiers en un : on peut imprimer, broder, tisser. » Disposer de l’outil de production ne permettrait de répondre qu’à un faible pourcentage de la demande. Si bien que pour tel ou tel tissu, l’entreprise achète les fils, et fait appel à un tisseur, à un imprimeur. Les cylindres pour imprimer sont gravés à Tarare dans le Rhône, le tissage des écrus se fait dans l’est de la France. Les pièces sont expédiées en Italie chez un « blanchisseur ». Les intervenants sont multiples. Au fil des ans, Thévenon a su se démarquer par ses collaborations, en donnant carte blanche à des créateurs. En ce moment, l’entreprise altiligérienne fait appel à Cordelia de Castellane, directrice artistique de Dior Maison et de Baby Dior. « Récemment, explique Vincent Thévenon, nous avons édité les motifs qu’elle avait dessinés pour l’Abbaye de Vaux de Cernay et pour les restaurants Laurent et Maxim’s à Paris. »Carine est satisfaite de sa reconversion, fière d’avoir intégré il y a un an les nouveaux Ateliers Thévenon.
Le PDG poursuit : « Notre ADN est d’amener une grande créativité, une belle image, très française, des collections éclectiques allant de l’art déco au traditionnel en passant par le contemporain. » Des collections souvent très colorées, aux motifs ciselés. La couleur fait partie de la marque de fabrique de la Maison Thévenon. Les pièces sont commandées au mètre par la clientèle professionnelle. « On crée aussi des tissus sur mesure, aux besoins de nos clients », précise Vincent Thévenon.
« Nos objectifs, une montée en gamme, de créer un pôle textile de luxe »On compte une centaine d’éditeurs à travers le monde, une dizaine en France. Des marques comme Pierre Frey, Casa ou Lelièvre sont les concurrents directs de la société altiligérienne. La Maison Thévenon fait appel à des acteurs en France, Italie, Belgique ou Espagne. Elle a eu la bonne idée d’avoir mis en place chez ses clients, il y a une dizaine d’années, un logiciel qui leur permet en quelques clics de choisir le produit, d’en connaître la disponibilité et de produire un devis incluant leur marge. Thévenon est un mélange d’artisanat et d’ingénierie moderne.La confection qui se faisait jusqu’ici essentiellement en Tunisie et Roumanie est pour partie relocalisée à Saint-Germain-Laprade au sein des tout nouveaux Ateliers Thévenon. Le dirigeant confie : « Nos objectifs sont une montée en gamme, de créer un pôle textile de luxe. » D’autres entreprises locales comme la société D’Ennery (distante de quelques centaines de mètres) ont leur place dans cet « écosystème ».
À la confection s’ajoutent le service, la pose, l’emballage, la livraison. Vincent Thévenon poursuit : « Nous voulons d’ici quelques années pouvoir répondre à tous les besoins du marché dans cette partie confection. » Le dirigeant a fait le choix « de ne pas pousser les commandes » et « d’être d’abord au niveau ». Il s’est donné deux ans pour disposer d’un atelier performant capable de confectionner des produits haut de gamme, voire de luxe. L’entreprise s’est concentrée dans un premier temps sur le rideau, mais envisage de travailler d’autres produits, pourquoi pas demain de proposer un service de tapissier par exemple pour de grands hôtels, lesquels utilisent du reste déjà les produits Thévenon.
Le bâtiment aux lignes épurées de la nouvelle usine opérationnelle depuis l’été dernier, avec entrepôt de stockage, bureaux, showroom, magasin d’usine (ouvert au public désormais tous les jours) occupe tout au plus 3.000 m² sur un hectare de terrain au total. L’entreprise ne s’interdit pas encore de grandir. Avec les derniers recrutements, l’effectif frise les 50 salariés, pour atteindre une centaine de personnes d’ici quelques années.
Philippe Suc
« Le haut de gamme n’a pas de limites, on est dans la passion »
Vincent Thévenon a pris la suite d’Olivier, son père. Il représente la quatrième génération dans le textile. Vincent Thévenon, seul depuis quinze ans à la tête de l’entreprise familiale aime à dire qu’il est « tombé dans le métier » quand il était « petit ». Le PDG de l’usine Thévenon, laquelle a déménagé d’Espaly (montée de l’Ermitage) l’an dernier pour s’installer à Saint-Germain-Laprade, vise à renforcer son développement à l’export.
« On est entré dans le métier en 1908 avec mon arrière-grand-père dentellier. L’activité s’est poursuivie dans le voilage et l’ameublement avec mon grand-père rue de la Gazelle au Puy. À ce moment-là, on produisait la matière », rappelle Vincent Thévenon qui représente la quatrième génération. Le PDG se partage entre la Haute-Loire et Paris (une partie de l’activité commerciale se traite dans la capitale). En 1978, Olivier Thévenon, père de Vincent est devenu éditeur de tissus.
« Quand j’ai repris l’entreprise il y a quinze ans j’ai décidé une forte montée en gamme. On a perdu une partie des anciens clients sans avoir encore les nouveaux. Notre chance est d’être resté une entreprise familiale. Des actionnaires n’auraient pas accepté de perdre du chiffre », raconte Vincent Thévenon. Aujourd’hui, l’entreprise poursuit sa croissance. Le PDG est convaincu d’avoir fait le bon choix : « Le haut de gamme n’a pas de limites. On n’est plus dans la raison, mais dans la passion. Il n’y a jamais eu autant de palaces. Déjà quand vous êtes Français ça fait rêver. Si derrière vous assurez en création, en service, en qualité, vous avez tout gagné. »
Pour se développer, la Maison Thévenon doit compter sur l’export à travers une vingtaine de pays pour le moment (25 % du chiffre d’affaires actuellement), les États-Unis en particulier. Elle est sur le point de conclure un accord avec un partenaire américain propriétaire de nombreux showrooms. Voilà six ans que Thévenon convoite le marché outre-Atlantique qui pourrait contribuer à porter la part du chiffre d’affaires à 60 %, l’objectif que s’est fixé le dirigeant de l’entreprise.