"Le puy Mary magnifie l’exploit des champions" : le patron du Tour de France dans le Cantal face aux lecteurs de La Montagne

Attaché au Cantal, il l’est, Christian Prudhomme. Depuis 2006, depuis ses « premières vacances » dans le département, il ne se passe pas une année sans qu’il en foule le sol et les montagnes. Ce qu’il aime, quand il vient ici, « notamment à Pailherols », c’est le calme. « Parfois, j’ai l’impression qu’ils ne me reconnaissent pas, puis, au bout de cinq jours, quand je m’en vais, j’entends : “Au revoir monsieur Prudhomme”. Ce sont des gens qui respectent. Respectueux et hyper sympas ! Vous êtes des gens merveilleux. »

Au Lioran, « hourra cyclisme »

« C’est une étape où une équipe ne pourra pas contrôler la course. En partant de la Creuse, les routes sont sinueuses, tournent à droite, à gauche, montent et descendent : si vous avez 20 secondes d’avance, on ne vous verra pas pendant quatre heures… Quant aux 4.350 mètres de dénivelé, ils sont essentiellement dans le final, dans les 40 ou 50 derniers kilomètres, avec des pentes très raides, dès le pied de Néronne. Bien sûr, j’y vois une bataille. On dit parfois qu’il y a du “hourra football” : j’espère qu’il y aura du “hourra cyclisme”. Si une mouche pique Evenepoel ou Pogacar ce jour-là, ça sera “sauve-qui-peut” pendant cinq heures… et c’est fait pour ! Que cela sorte par l’avant, qu’il y ait des attaques de tous les côtés, que l’on ait tous le sourire. C’est une étape très importante du prochain Tour. »

« Le rendez-vous des favoris »

Intercalée entre une journée de repos et trois étapes promises aux sprinteurs, l’étape Évaux-les-Bains/Le Lioran « est le rendez-vous des cinq jours pour les favoris du classement général. Ça va partir de tous les côtés ! », annonce le patron du Tour. Un favori ? « Je suis curieux de voir ce qu’Evenepoel va faire sur ce parcours-là. Après, une fois que l’on sera en très haute montagne, les coureurs seront évidemment dominés par Vingegaard. Je pense qu’il sera au départ du Tour et j’espère qu’il sera en forme, malgré sa très grave chute. Mais l’étape est faite pour mettre la panique dans le peloton. Et s’il y a quelques Français qui s’immiscent là-dedans… J’espère que Romain Bardet aura moins de malchance que la dernière fois au puy Mary. »

Le décor du puy Mary

« Il faut avoir des ascensions qui font rêver les gamins. Il y a la pente qui compte, la longueur, mais aussi l’allure, la gueule. Le puy Mary a une gueule exceptionnelle : c’est un décor entre 1.500 et 1.800 mètres qui est normalement à 2.500, voire 3.000 mètres, dans les Pyrénées ou les Alpes. Quand l’hélicoptère de la télévision est là en permanence, cela donne des images formidables. Il n’y a pas une autre discipline où le décor compte autant. Dans le cyclisme sur route, le cadre magnifie l’exploit des champions ! Prenez un stade de foot : les Verts m’ont fait rêver, pas Geoffroy-Guichard en tant que tel. Si on pense à Patrick Revelli qui déborde et adresse un centre en retrait à Dominique Rocheteau, là oui, on a des souvenirs magnifiques. Le pas de Peyrol ou le puy Mary magnifient l’exploit des champions. »

Alaf, l’idole des jeunes

Jeudi 16 mai, « Nicole, en Creuse, m’a montré des photos de ses petits-enfants avec Julian Alaphilippe [qui a remporté la 12e étape du Giro, ce jour-là]. J’ai fait un selfie, je l’ai envoyé à Julian. Il m’a dit : “Je suis super heureux de faire rêver les gamins”. Alors qu’au moment où elle m’a montré les photos, il n’avait pas gagné. Je pense qu’au moment où elle me les a montrées, lui, il s’est dit “Clac ! J’y vais”. Il y a eu une transmission de pensées ! »

Paris, ce n’est pas fini

L’arrivée de l’édition 2024 du Tour de France se fait à Nice et non à Paris en raison des Jeux olympiques. « Ça pourrait donner des idées d’une arrivée délocalisée ? Pas forcément dans le Cantal ! », a plaisanté un lecteur. Christian Prudhomme a répondu : « Ce qui est certain, c’est qu’on sera à Paris en 2025 pour les 50 ans de l’arrivée sur les Champs-Élysées avec la victoire de Bernard Thévenet. Ensuite, on ne remplace pas Paris comme ça. Paris, ses monuments, son prestige, c’est très fort, surtout à l’international. La dernière étape du Tour, ce sont les Champs-Élysées, c’est le sprint le plus couru de l’année et même s’il n’y a pas de suspense, à l’international, c’est le rendez-vous. La procession vers Paris des champions qui se sont battus. »

La fougue et des chutes

« Il existe des comportements de coureurs qui sont fous. Pour moi, deux raisons l’expliquent. Certains sont de plus en plus jeunes. Autrefois on disait : “Le cyclisme est un sport à maturité relativement tardive”. Seuls les génies gagnaient très jeunes. Aujourd’hui, ils sont presque tous très forts très jeunes, mais ils ont beaucoup moins l’habitude du peloton. Ensuite, c’est l’aspect matériel. Tout est fait pour la performance et pas forcément pour la sécurité. Les freins à disque, les capteurs de puissance… Et puis, quand on voit le dos de Wout van Aert, c’est juste impossible, rien n’est fait pour les protéger. Un coureur, s’il n’est pas râpé, il va dormir. C’est incompréhensible qu’aujourd’hui ils ne puissent pas être protégés [par leurs vêtements techniques] pour ne pas être râpés, au moins au niveau des maillots et des cuissards. »

Toujours plus vite

« On a fait plusieurs étapes en Haute-Savoie l’année dernière où 40 % des routes avaient été refaites à l’occasion du Tour pour tous les utilisateurs. Mais ce n’est pas un élément positif pour la sécurité : comme les routes sont hyper sûres, ils vont encore plus vite. À un moment, je ne vais pas dire à Bruno Faure : “S’il te plaît, laisse des trous dans la route”. Mais plus c’est le billard, plus ils se disent que c’est tranquille : les chutes les plus graves, aujourd’hui, se produisent sur les lignes droites. Et les chutes n’ont plus lieu là où c’est dangereux, elles ont lieu avant, parce qu’ils veulent être devant. »

Le champion avant le vélo

« Le plus important, c’est le champion, pas le vélo. On admire les champions pour leur courage. Aujourd’hui, on ne peut plus gagner une grande course si on n’a pas le bon vélo. L’évolution du matériel est importante, mais c’est le gars sur le vélo qui doit rester le plus important. L’âge d’or du cyclisme français, c’est quand les champions sortaient des fermes. Parce qu’ils allaient à l’école à vélo, qu’ils faisaient 5 kilomètres, 10 kilomètres, à midi, le soir. Aujourd’hui, tout est question d’équilibre. Le vélo qui plaît aux chefs d’entreprise, c’est très bien, mais il faut un vélo qui soit encore accessible aux gens en bas. »

Un Français sur le podium ?

« Il faudrait un concours de circonstances phénoménal pour qu’un Français soit sur le podium, parce que le vélo est de plus en plus international. Mais on a de très bons coureurs. Même si on n’a pas gagné le Tour depuis Bernard Hinault, Romain [Bardet] a fait 2e et 3e, Julian a porté quatorze jours le maillot jaune, en 2017. Quand Romain attaque la côte du Puy-en-Velay, on rêve un peu quand même. Ils sont là, pas pour gagner le Tour, pas pour faire des podiums, mais pour gagner des étapes. »

Son amour pour le Cantal

« On ne peut pas être directeur du Tour à mi-temps. On ne peut pas être directeur du Tour si on ne se réjouit pas des choux farcis […], des tripoux et de la tête de veau à 8 heures du matin […]. Ce que j’aime quand je viens ici, notamment à Pailherols, c’est que parfois j’ai l’impression qu’ils ne me reconnaissent pas, puis, au bout de cinq jours, quand je m’en vais, ils me disent : “Au revoir M. Prudhomme”. Ce sont des gens respectueux et hyper sympas ! Ce sont des gens merveilleux. »

Le retour au puy de Dôme

Fabien, lecteur de Riom-ès-Montagnes, demande un petit « résumé de l’étape régionale de l’an passé », avec le grand retour de l’arrivée au sommet du puy de Dôme. « J’étais très impressionné par la ferveur à Clermont, retrace Christian Prudhomme. À un moment donné, je me suis même dit : On ne va pas passer ! Et je ne me suis pas souvent dit ça en vingt ans d’organisation de Tour. Le regret, c’est que c’est le seul jour où le peloton laisse partir une échappée. C’est le seul jour où il n’y a pas une baston terrible dans la première heure. Si l’élastique entre Pogacar et Vingegaard avait existé pour la première place, ou pour la troisième et la quatrième (on n’aurait pas fait la fine bouche), ça aurait fait comme Anquetil-Poulidor en 1964. En revanche, il y a ce contraste qui a plu à certains et déplu à d’autres : entre la folie de la traversée et, tout d’un coup, le silence derrière. J’ai plutôt le sentiment qu’ici, en Auvergne, il y a une vraie fierté que le Tour soit revenu. On a respecté notre parole et cela me paraît essentiel. »

Marcolès, le cri du cœur

Organisateur du critérium de Marcolès, Francis Cantournet s’est excusé d’avoir fait poireauter Christian Prudhomme lors de l’édition 2007, dont le départ avait pris une heure et demie de retard à cause du maillot à pois (le Colombien Mauricio Soler), bien arrivé dans le Cantal… mais sans vélo. « À la famille Cantournet, Yves et Francis, tout vous est pardonné ! », absout Christian Prudhomme, un grand sourire aux lèvres. « Je sais que vous vous battez magnifiquement pour faire vivre le vélo. Moi, j’ai la chance d’être payé pour assouvir ma passion, alors que vous êtes bénévoles. Vous donnez dans un monde qui donne de moins en moins, donc c’est moi qui vous tire mon chapeau. »

Popularité et glacière

« C’est d’abord populaire. Le Tour, sans l’aspect populaire… Le public, ça dit tout du Tour de France. Cet équilibre est à conserver dans les années à venir. Certains nous disent qu’on devrait faire payer ne serait-ce que un euro aux gens… Mais les courses professionnelles doivent rester gratuites pour les gens […]. Ça me fait penser à ce que disait Jean-François Pescheux (son ancien directeur de course adjoint, NDLR) quand je partais en reco. Tout d’un coup, il s’arrêtait : « La glacière, c’est là, regarde, il y a trois lacets, on voit parfaitement. » C’est ça le vélo, on y va avec des copains, des voisins, des cousins, on fait la connaissance avec des Français, des étrangers, des jeunes, des anciens… L’endroit où on pose la glacière gratuitement, c’est important. » 

Texte : Romain Blanc et Anna Modolo Photos : Jérémie Fulleringer