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Май
2024

Frantz Fanon, l’homme pressé

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Frantz Fanon (1925-1961) mène plusieurs vies en une. Né dans une famille aisée de la Martinique, entre un père sévère et absent et une mère aimante, bon élève mais rebelle, il lit abondamment et a très tôt conscience du racisme colonial qui règne à Fort-de-France. Dès la capitulation, il décide de rejoindre la « France libre » et se rend en 1943 à la Dominique où il reçoit une formation militaire. En mars 1944, il embarque pour l’Afrique du Nord et découvre la hiérarchie raciale dans l’armée – les tirailleurs sénégalais étant au bas de l’échelle – et la face cachée de la colonisation, avec des enfants affamés dans les rues d’Alger. Il combat hardiment en France, est blessé et décoré de la Croix de guerre par le général Salan, celui qui s’opposera au général De Gaulle lors de l’indépendance de l’Algérie. Rentré en Martinique, il prépare les oraux de philosophie du baccalauréat avec son professeur, Joseph-Henri, qui lui dit : « Quand vous entendrez dire du mal des Juifs, dressez l’oreille, on parle de vous. » Aimé Césaire (1913-2008) milite alors pour que les « quatre vieilles colonies » – Martinique, Guadeloupe, Guyane et Réunion – deviennent des départements français, ce qui est acquis en 1946. Le jeune Frantz adhère à l’idée de « négritude », qu’il contestera par la suite, et admire l’auteur du Cahier d’un retour au pays natal , tout comme son compatriote Édouard Glissant. L’étudiant martiniquais en métropole N’appréciant guère Paris et sa diaspora antillaise, Fanon s’inscrit à la faculté de médecine de Lyon, où certains étudiants le nomment « Blanchette ». D’autres sont tant sidérés qu’il s’exprime si bien en français qu’ils ne le considèrent pas comme un noir ! Il écrit à une amie : « Je pris l’habitude de me détacher, de tout détester, de tout haïr. » Il s’ennuie dans cette ville peu hospitalière, écrit des pièces de théâtre maladroites et intempestives. En 1948, il rencontre une étudiante en psychiatrie, comme lui ; ils s’aiment et un enfant, Mireille, naît de leur union. Frantz propose d’épouser Michèle, mais les parents s’y opposent et les amants se séparent. Un an plus tard, dans un cinéma, il rencontre Marie-Josèphe Dublé, 19 ans. Ils se fréquentent, avant de se marier en 1953 avec, cette fois, l’assentiment des parents. Il fait aussi la connaissance du psychiatre Paul Balvet, responsable du l’asile de Saint-Alban en Lozère et auteur de « La valeur humaine de la folie » paru dans Esprit , où la notion d’ Erlebnis , « l’expérience vécue », s’avère centrale et sera reprise par Fanon. Il s’inspirera aussi de Maurice Merleau-Ponty, Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir, qu’il rencontrera, plus tard, à plusieurs reprises. Fanon apprécie l’œuvre de Jean-Paul Sartre, L’Être et le néant , Réflexions sur la question juive et « Orphée noir », préface que le philosophe rédige pour l’ Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de langue française , où on peut lire : « Qu’est-ce que vous espériez quand vous ôtiez le bâillon qui fermait ces bouches noires ? Qu’elles allaient entonner vos louanges ? [...] Voici des hommes noirs debout qui nous regardent et je vous souhaite de ressentir comme moi le saisissement d’être vus. Car le blanc a joui trois mille ans du privilège de voir sans qu’on le voie. [...] Aujourd’hui, ces hommes noirs nous regardent et notre regard rentre dans nos yeux : des torches noires, à leur tour, éclairent le monde et nos têtes blanches ne sont plus que des petits lampions balancés par le vent. » On retrouve les idées de Sartre et son écriture dans « La plainte du Noir : l’expérience vécue du noir », article publié par Fanon en 1951 dans Esprit . Cet article deviendra le chapitre cinq de Peau noire, masques blancs , texte qu’il dicte à sa femme et que Jean-Marie Domenach, directeur d’ Esprit , confie à un jeune éditeur du Seuil, Francis Jeanson, futur « porteur de valises » durant la guerre d’Algérie. L'éditeur sort l’ouvrage en 1952, en en changeant le titre d’origine, La Désaliénation de l’homme noir . Ouvrage concis, vif, mêlant les notions spécialisées de l’analyse psychiatrique à des références littéraires et cinématographiques, ce livre complète les essais de Michel Leiris ( Race et Civilisation ), Claude Lévi-Strauss ( Race et Histoire ), Simone de Beauvoir ( Le Deuxième Sexe et Pour une morale de l’ambiguïté ) et bien sûr d’Aimé Césaire ( Discours sur le colonialisme ). Il ne reçoit pas l’accueil espéré et ne se vend qu’à quelques milliers d’exemplaires. Dorénavant, il appartient aux « classiques » de l’antiracisme et s’impose comme une des meilleures études sur la condition noire en France. Les premiers pas du psychiatre Avant la parution de son livre, Fanon va en Martinique et ouvre une clinique au Vauclin. Surnommé le « sorcier », il constate les violences domestique, fait arrêter quelques meurtriers de leur épouse et s’en retourne en métropole où il s’installe à l’hôpital psychiatrique de Saint-Alban où, durant la guerre, Tzara, Éluard ou Canguilhem se sont cachés. François Tosquelles y officie. Catalan anarchiste, condamné à mort par Franco, interné au camp de Judes, près de Montauban, il est libéré par l’intervention de Balvet qui le recrute dans son équipe. Ce psychiatre atypique pense que les soignants – du médecin-chef aux membres du personnel – participent au même « réseau de transfert » que le patient, qui bénéficie ainsi d’une « socialthérapie ». Fanon quitte finalement cet hôpital pour celui de Pontorson dans la Manche mais, face à l’hostilité de la direction envers ses méthodes – il voulait aller au marché avec ses patients –, il candidate au poste de directeur de l’hôpital psychiatrique de Blida-Joinville en Algérie, où il est nommé fin 1953. Il y créé le Journal de bord , qui expose la vie de l’hôpital et les réflexions de son directeur : ne pas concevoir l’hospitalisation comme un emprisonnement, maintenir tous les liens avec l’extérieur… Il introduit des activités (vannerie, théâtre, ciné-club, jeux de balle, etc.), ouvre un « café maure » pour les hommes musulmans et un « salon oriental » pour les femmes, incite les internés à jardiner en leur distribuant des bêches et des pioches, ce qu’un administrateur dénonce comme une distribution d’armes, faisant clôturer le potager par des barbelés. Partisan des électrochocs et de l’insulinothérapie, sa pratique n’est pas révolutionnaire ; pourtant elle déplaît au corps médical, en même temps qu'elle trouve un réel soutien auprès des soignants de son hôpital. L'intérêt de Fanon pour le peuple algérien s’accroît de jour en jour. Il le trouve dans l’impossibilité à devenir français, dans le fait que la colonisation que subit ce peuple ne détruit pas ses particularités et que ceci annonce une libération par la violence. Le 1 er novembre 1954, jour de la Toussaint, soixante-dix attaques ébranlent le pays. Le Front de libération nationale (FLN) exprime des revendications autres que celle de Messali Hadj, qui fonde alors le Mouvement national algérien (MNA). Le FLN s’autoproclame le seul mouvement de libération et n’hésite pas à éliminer les membres du MNA. Fanon opte pour le FLN, soigne des blessés, cache ses partisans dans son hôpital, fréquente des Français partisans de l’Algérie algérienne comme André Mandouze, Pierre Chaulet, Alice Cherki… En 1955, Olivier, son fils, naît à Lyon, mais la petite famille retourne en Algérie. Le FLN multiplie les attentats dont certains visent des responsables du Parti national libéral (PNL) de Ferhat Abbas et d’autres les Français. La « bataille d’Alger » fait rage sous l’autorité des généraux Salan et Massu qui n’excluent pas la torture. Tandis que la direction de l’intérieur du FNL s’exile à Tunis, Fanon, qui a épousé la cause algérienne, y arrive en janvier 1957 et y consacre toute son énergie. Ses articles, comme ses nombreux déplacements en Afrique, concernent son combat de porte-parole du FNL, qu’il mène conjointement à son métier de médecin-psychiatre, d’abord à La Manouba, puis à l’hôpital Charles-Nicolle, où ses anciens collaborateurs de Blida l’ont rejoint. Ils créent le premier Centre neuropsychiatrique de jour du continent africain. Sa femme, qui s’occupe des tâches ménagères, ne tape plus ses écrits : c’est désormais la tache de sa secrétaire, Marie-Jeanne Manuellan (1928-2019). Adam Shatz raconte l’histoire de la guerre d’Algérie sans idéaliser le combat du FNL et insiste sur les contradictions qui se manifestent dans chaque camp, sur la place des femmes, celle des juifs, des Français pro-algériens. Le porte-parole du FNL Longuement questionnée par le biographe, le témoignage de Marie-Jeanne est crucial et apporte de précieuses informations, non seulement sur le caractère de Frantz Fanon, ses infidélités, sa vie de famille, ses engagements, ses lectures (« Son rapport aux livres , explique-t-elle, était celui d’un médecin. Il les utilisait mais n’avait aucun lien privilégié avec eux »), mais aussi sur sa pratique psychiatrique, ses expérimentations, ses doutes… Le matin, il dicte à Marie-Jeanne son futur livre, qu’elle retape le soir sur une petite machine à écrire. Cette proximité accentue leur attraction sans provoquer une liaison. Un jeune éditeur parisien, François Maspero, lui commande un ouvrage sur la lutte pour l’indépendance de l’Algérie, qu’il met au point en trois semaines : L’An V de la révolution algérienne , publié en octobre 1959. Pour lui, la révolution algérienne n’est pas qu’un mouvement anticolonial : c’est aussi un combat contre les inégalités sociales et les traditions religieuses. En bon sartrien, il veut faire de tout Algérien un individu qui choisit sa liberté. Un des chapitres traite du voile. Pour lui, celui-ci « est repris mais définitivement dépouillé de sa dimension exclusivement traditionnelle », car il « aide l’Algérienne à répondre aux questions nouvelles posées par la lutte ». Adam Schatz précise : « Là où les Français perçoivent une femme couverte et subjuguée par le patriarcat islamique, Fanon voit une guerrière anticoloniale déterminée, arborant son haïk comme lui-même avait jadis arboré sa peau noire – mais en y dissimulant aussi un message ou une arme destinée à ses frères. » Fanon ne voyait pas qu’au sein du FLN, la plupart des hommes défendait le patriarcat et la famille traditionnelle, au nom de l’islam. En cette période de décolonisation de l’Afrique, Fanon tente, en rencontrant de nombreux leaders africains, d’algérianiser les luttes africaines, de les conduire à la lutte armée. C’est à Accra que, très fatigué, il consulte un médecin qui lui trouve un taux anormalement élevé de leucocytes. De retour à Tunis, d’autres examens révèlent qu’il est atteint de leucémie. Il sait que le temps presse, aussi travaille-t-il avec acharnement à un prochain livre, se nourrissant de la Critique de la raison dialectique qui vient de paraître. Alger-Le Cap devient Les Damnés de la terre , formule empruntée à un poème, « Sales nègres », de Jacques Roumain, un marxiste haïtien mort à 37 ans en 1944 : « Et nous voici debout tous les damnés de la terre tous les justiciers marchant à l’assaut de vos casernes et de vos banques comme une forêt de torches funèbres pour en finir une      fois           pour                 toutes avec ce monde de nègres de niggers de sales nègres . » L’essai de Frantz Fanon sacre la violence comme seul moyen pour la décolonisation, mais aussi pour la libération du colonisé, qui peut ainsi se débarrasser de son complexe d’infériorité. Ses premiers lecteurs, pourtant favorables à l’Algérie algérienne, comme François Mauriac, Jean Daniel, Jean-François Lyotard, rejettent la violence révolutionnaire, qui ne peut être, à leurs yeux, le terreau d’une nouvelle société. Dans son essai sur la violence, Hannah Arendt, rappelle le biographe, ne croit pas que la violence puisse réaliser une fraternité pérenne entre les combattants. Le 3 octobre 1961, François Maspero écrit à Frantz Fanon que Jean-Paul Sartre a envoyé la préface prévue pour le livre. Un texte d’une rare puissance, axé principalement sur la légitimation de la violence : « La folie meurtrière est l’inconscient collectif des colonisés. [...] Abattre un Européen, c’est faire d’une pierre deux coups, supprimer en même temps un oppresseur et un opprimé : restent un homme mort et un homme libre ; le survivant, pour la première fois, sent son sol national sous la plante de ses pieds. [...] Nous étions hommes à ses dépens, il se fait homme aux nôtres. Un autre homme : de meilleure qualité. [...] La violence, comme la lance d’Achille, peut cicatriser les blessures qu’elle a faites. » Adam Shatz pense que Sartre n’a pas lu l’intégralité des Damnés de la terre. Il trouve dans le journal de Jean Daniel cette appréciation critique : « Quelle masturbation verbale ! Quelle mortelle frivolité ! » Quant à Fanon, il ne réagit pas, n’étant pas vraiment convaincu par l’interprétation de son livre par le célèbre philosophe. Son état de santé se dégrade au point d’exiger une hospitalisation aux États-Unis, avec une courte escale à Rome, au cours de laquelle Sartre vient le saluer. Aux États-Unis, il faut trouver un État qui accepte les mariages mixtes ; c’est le Maryland, ainsi Olivier peut être scolarisé. Fanon, « diplomate arabe », reçoit des visites de diplomates africains et de militants noirs américains et aussi d’amis algériens. En rémission, il évoque ses futures livres, l’un sur la jalousie, un autre sur l’histoire de l’ALN, un autre encore sur sa maladie, dont il a le titre, Le Leucémique et son double . Elaine Klein, qui assiste Fanon à l’hôpital, raconte qu’un jour, son fils Olivier lui demande d’écrire son nom sur la vitre givrée, et Fanon, en bon clinicien, de dire : « Il fait son transfert. » Le 3 décembre 1961, un ami algérien lui apporte une exemplaire des Damnés de la terre : « C’est pas ça qui me rendra ma moelle », murmure-t-il. Trois jours plus tard, il meurt à 36 ans. Il sera, à sa demande, enterré en Algérie, qui devient indépendante huit mois après. Fanon après Fanon Étiqueté « militant tiers-mondiste » et « théoricien de la lutte armée », son aura ne cesse de grandir au fur et à mesure que de nouveaux foyers révolutionnaires embrasent le tiers-monde. « Quelques années après sa première édition en français , note Adam Shatz, Les Damnés de la terre était lu en espagnol par les guérilleros latino-américains dans une traduction cubaine commandée par Che Guevara ; en anglais par les rebelles de l’ANC en Afrique du Sud ; en portugais par les insurgés anticolonialistes en Angola, en Guinée-Bissau et au Mozambique ; en farsi par les révolutionnaires marxistes ou islamistes iraniens ; et surtout, en arabe, par les fedayin palestiniens dans leurs camps de Jordanie, du Liban et de Syrie. » Yoweri Museveni, futur dictateur de l’Ouganda, soutient une thèse sur « La théorie de la violence de Fanon : sa vérification dans le Mozambique libéré ». De nombreux intellectuels s’en revendiquent, comme le romancier kényan Ngûgî wa Thiong’o, le cinéaste sénégalais Ousmane Sembène, Angela Davis, pour qui Fanon est « le théoricien le plus convaincant du racisme et du colonialisme », et bien d’autres. La Bataille d’Alger de Gillo Pontecorvo, tourné en 1965, s’inspire de Fanon pour relater les événements de 1956 et 1957. Josie Fanon, sa veuve, travailla comme journaliste à Alger où elle éleva son fils. Dépressive, elle demande à être internée, puis revient chez elle et saute par la fenêtre depuis le quatrième étage, le 13 juillet 1989. L’Algérie connaît alors des violences sans précédents durant toute la « décennie noire » où furent assassinées au moins 100 000 Algériens. Un jeune psychiatre de l’hôpital de Blida-Joinville transforme, en 2018, le logement de fonction de Fanon en musée. A Turin est créé le centre Frantz-Fanon, qui s’inspire des pratiques thérapeutiques de Fanon. A Bordeaux, en 2018, le conseil municipal examine la proposition de nommer deux rues en hommage à Rosa Parks et à Frantz Fanon (seule la première a été votée). On lit encore Fanon, mais la configuration géopolitique du monde, suite à la globalisation du capitalisme financiarisé, ne correspond plus du tout au sien, sans parler des enjeux environnementaux, des revendications écoféministes et LGBTQIA+, qu’il ne soupçonnait pas. La colonisation des imaginaires et des esprits, à l’œuvre à présent à l’échelle mondiale, exigent certainement d’autres modalités que celles préconisées par Frantz Fanon pour l’indépendance et la décolonisation. L’émancipation repose certainement sur de nouvelles pratiques, expérimentations et théories.

Frantz Fanon (1925-1961) mène plusieurs vies en une. Né dans une famille aisée de la Martinique, entre un père sévère et absent et une mère aimante, bon élève mais rebelle, il lit abondamment et a très tôt conscience du racisme colonial qui règne à Fort-de-France. Dès la capitulation, il décide de rejoindre la « France libre » et se rend en 1943 à la Dominique où il reçoit une formation militaire. En mars 1944, il embarque pour l’Afrique du Nord et découvre la hiérarchie raciale dans l’armée – les tirailleurs sénégalais étant au bas de l’échelle – et la face cachée de la colonisation, avec des enfants affamés dans les rues d’Alger. Il combat hardiment en France, est blessé et décoré de la Croix de guerre par le général Salan, celui qui s’opposera au général De Gaulle lors de l’indépendance de l’Algérie.

Rentré en Martinique, il prépare les oraux de philosophie du baccalauréat avec son professeur, Joseph-Henri, qui lui dit : « Quand vous entendrez dire du mal des Juifs, dressez l’oreille, on parle de vous. » Aimé Césaire (1913-2008) milite alors pour que les « quatre vieilles colonies » – Martinique, Guadeloupe, Guyane et Réunion – deviennent des départements français, ce qui est acquis en 1946. Le jeune Frantz adhère à l’idée de « négritude », qu’il contestera par la suite, et admire l’auteur du Cahier d’un retour au pays natal, tout comme son compatriote Édouard Glissant.

L’étudiant martiniquais en métropole

N’appréciant guère Paris et sa diaspora antillaise, Fanon s’inscrit à la faculté de médecine de Lyon, où certains étudiants le nomment « Blanchette ». D’autres sont tant sidérés qu’il s’exprime si bien en français qu’ils ne le considèrent pas comme un noir ! Il écrit à une amie : « Je pris l’habitude de me détacher, de tout détester, de tout haïr. » Il s’ennuie dans cette ville peu hospitalière, écrit des pièces de théâtre maladroites et intempestives. En 1948, il rencontre une étudiante en psychiatrie, comme lui ; ils s’aiment et un enfant, Mireille, naît de leur union. Frantz propose d’épouser Michèle, mais les parents s’y opposent et les amants se séparent. Un an plus tard, dans un cinéma, il rencontre Marie-Josèphe Dublé, 19 ans. Ils se fréquentent, avant de se marier en 1953 avec, cette fois, l’assentiment des parents. Il fait aussi la connaissance du psychiatre Paul Balvet, responsable du l’asile de Saint-Alban en Lozère et auteur de « La valeur humaine de la folie » paru dans Esprit, où la notion d’Erlebnis, « l’expérience vécue », s’avère centrale et sera reprise par Fanon. Il s’inspirera aussi de Maurice Merleau-Ponty, Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir, qu’il rencontrera, plus tard, à plusieurs reprises.

Fanon apprécie l’œuvre de Jean-Paul Sartre, L’Être et le néant, Réflexions sur la question juive et « Orphée noir », préface que le philosophe rédige pour l’Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de langue française, où on peut lire : « Qu’est-ce que vous espériez quand vous ôtiez le bâillon qui fermait ces bouches noires ? Qu’elles allaient entonner vos louanges ? [...] Voici des hommes noirs debout qui nous regardent et je vous souhaite de ressentir comme moi le saisissement d’être vus. Car le blanc a joui trois mille ans du privilège de voir sans qu’on le voie. [...] Aujourd’hui, ces hommes noirs nous regardent et notre regard rentre dans nos yeux : des torches noires, à leur tour, éclairent le monde et nos têtes blanches ne sont plus que des petits lampions balancés par le vent. »

On retrouve les idées de Sartre et son écriture dans « La plainte du Noir : l’expérience vécue du noir », article publié par Fanon en 1951 dans Esprit. Cet article deviendra le chapitre cinq de Peau noire, masques blancs, texte qu’il dicte à sa femme et que Jean-Marie Domenach, directeur d’Esprit, confie à un jeune éditeur du Seuil, Francis Jeanson, futur « porteur de valises » durant la guerre d’Algérie. L'éditeur sort l’ouvrage en 1952, en en changeant le titre d’origine, La Désaliénation de l’homme noir. Ouvrage concis, vif, mêlant les notions spécialisées de l’analyse psychiatrique à des références littéraires et cinématographiques, ce livre complète les essais de Michel Leiris (Race et Civilisation), Claude Lévi-Strauss (Race et Histoire), Simone de Beauvoir (Le Deuxième Sexe et Pour une morale de l’ambiguïté) et bien sûr d’Aimé Césaire (Discours sur le colonialisme). Il ne reçoit pas l’accueil espéré et ne se vend qu’à quelques milliers d’exemplaires. Dorénavant, il appartient aux « classiques » de l’antiracisme et s’impose comme une des meilleures études sur la condition noire en France.

Les premiers pas du psychiatre

Avant la parution de son livre, Fanon va en Martinique et ouvre une clinique au Vauclin. Surnommé le « sorcier », il constate les violences domestique, fait arrêter quelques meurtriers de leur épouse et s’en retourne en métropole où il s’installe à l’hôpital psychiatrique de Saint-Alban où, durant la guerre, Tzara, Éluard ou Canguilhem se sont cachés. François Tosquelles y officie. Catalan anarchiste, condamné à mort par Franco, interné au camp de Judes, près de Montauban, il est libéré par l’intervention de Balvet qui le recrute dans son équipe. Ce psychiatre atypique pense que les soignants – du médecin-chef aux membres du personnel – participent au même « réseau de transfert » que le patient, qui bénéficie ainsi d’une « socialthérapie ».

Fanon quitte finalement cet hôpital pour celui de Pontorson dans la Manche mais, face à l’hostilité de la direction envers ses méthodes – il voulait aller au marché avec ses patients –, il candidate au poste de directeur de l’hôpital psychiatrique de Blida-Joinville en Algérie, où il est nommé fin 1953. Il y créé le Journal de bord, qui expose la vie de l’hôpital et les réflexions de son directeur : ne pas concevoir l’hospitalisation comme un emprisonnement, maintenir tous les liens avec l’extérieur… Il introduit des activités (vannerie, théâtre, ciné-club, jeux de balle, etc.), ouvre un « café maure » pour les hommes musulmans et un « salon oriental » pour les femmes, incite les internés à jardiner en leur distribuant des bêches et des pioches, ce qu’un administrateur dénonce comme une distribution d’armes, faisant clôturer le potager par des barbelés. Partisan des électrochocs et de l’insulinothérapie, sa pratique n’est pas révolutionnaire ; pourtant elle déplaît au corps médical, en même temps qu'elle trouve un réel soutien auprès des soignants de son hôpital.

L'intérêt de Fanon pour le peuple algérien s’accroît de jour en jour. Il le trouve dans l’impossibilité à devenir français, dans le fait que la colonisation que subit ce peuple ne détruit pas ses particularités et que ceci annonce une libération par la violence. Le 1er novembre 1954, jour de la Toussaint, soixante-dix attaques ébranlent le pays. Le Front de libération nationale (FLN) exprime des revendications autres que celle de Messali Hadj, qui fonde alors le Mouvement national algérien (MNA). Le FLN s’autoproclame le seul mouvement de libération et n’hésite pas à éliminer les membres du MNA. Fanon opte pour le FLN, soigne des blessés, cache ses partisans dans son hôpital, fréquente des Français partisans de l’Algérie algérienne comme André Mandouze, Pierre Chaulet, Alice Cherki…

En 1955, Olivier, son fils, naît à Lyon, mais la petite famille retourne en Algérie. Le FLN multiplie les attentats dont certains visent des responsables du Parti national libéral (PNL) de Ferhat Abbas et d’autres les Français. La « bataille d’Alger » fait rage sous l’autorité des généraux Salan et Massu qui n’excluent pas la torture. Tandis que la direction de l’intérieur du FNL s’exile à Tunis, Fanon, qui a épousé la cause algérienne, y arrive en janvier 1957 et y consacre toute son énergie. Ses articles, comme ses nombreux déplacements en Afrique, concernent son combat de porte-parole du FNL, qu’il mène conjointement à son métier de médecin-psychiatre, d’abord à La Manouba, puis à l’hôpital Charles-Nicolle, où ses anciens collaborateurs de Blida l’ont rejoint. Ils créent le premier Centre neuropsychiatrique de jour du continent africain. Sa femme, qui s’occupe des tâches ménagères, ne tape plus ses écrits : c’est désormais la tache de sa secrétaire, Marie-Jeanne Manuellan (1928-2019). Adam Shatz raconte l’histoire de la guerre d’Algérie sans idéaliser le combat du FNL et insiste sur les contradictions qui se manifestent dans chaque camp, sur la place des femmes, celle des juifs, des Français pro-algériens.

Le porte-parole du FNL

Longuement questionnée par le biographe, le témoignage de Marie-Jeanne est crucial et apporte de précieuses informations, non seulement sur le caractère de Frantz Fanon, ses infidélités, sa vie de famille, ses engagements, ses lectures (« Son rapport aux livres, explique-t-elle, était celui d’un médecin. Il les utilisait mais n’avait aucun lien privilégié avec eux »), mais aussi sur sa pratique psychiatrique, ses expérimentations, ses doutes… Le matin, il dicte à Marie-Jeanne son futur livre, qu’elle retape le soir sur une petite machine à écrire. Cette proximité accentue leur attraction sans provoquer une liaison. Un jeune éditeur parisien, François Maspero, lui commande un ouvrage sur la lutte pour l’indépendance de l’Algérie, qu’il met au point en trois semaines : L’An V de la révolution algérienne, publié en octobre 1959. Pour lui, la révolution algérienne n’est pas qu’un mouvement anticolonial : c’est aussi un combat contre les inégalités sociales et les traditions religieuses. En bon sartrien, il veut faire de tout Algérien un individu qui choisit sa liberté.

Un des chapitres traite du voile. Pour lui, celui-ci « est repris mais définitivement dépouillé de sa dimension exclusivement traditionnelle », car il « aide l’Algérienne à répondre aux questions nouvelles posées par la lutte ». Adam Schatz précise : « Là où les Français perçoivent une femme couverte et subjuguée par le patriarcat islamique, Fanon voit une guerrière anticoloniale déterminée, arborant son haïk comme lui-même avait jadis arboré sa peau noire – mais en y dissimulant aussi un message ou une arme destinée à ses frères. » Fanon ne voyait pas qu’au sein du FLN, la plupart des hommes défendait le patriarcat et la famille traditionnelle, au nom de l’islam.

En cette période de décolonisation de l’Afrique, Fanon tente, en rencontrant de nombreux leaders africains, d’algérianiser les luttes africaines, de les conduire à la lutte armée. C’est à Accra que, très fatigué, il consulte un médecin qui lui trouve un taux anormalement élevé de leucocytes. De retour à Tunis, d’autres examens révèlent qu’il est atteint de leucémie. Il sait que le temps presse, aussi travaille-t-il avec acharnement à un prochain livre, se nourrissant de la Critique de la raison dialectique qui vient de paraître. Alger-Le Cap devient Les Damnés de la terre, formule empruntée à un poème, « Sales nègres », de Jacques Roumain, un marxiste haïtien mort à 37 ans en 1944 :

« Et nous voici debout
tous les damnés de la terre
tous les justiciers
marchant à l’assaut de vos casernes
et de vos banques
comme une forêt de torches funèbres
pour en finir
une
     fois
          pour
                toutes
avec ce monde
de nègres
de niggers
de sales nègres
. »

L’essai de Frantz Fanon sacre la violence comme seul moyen pour la décolonisation, mais aussi pour la libération du colonisé, qui peut ainsi se débarrasser de son complexe d’infériorité. Ses premiers lecteurs, pourtant favorables à l’Algérie algérienne, comme François Mauriac, Jean Daniel, Jean-François Lyotard, rejettent la violence révolutionnaire, qui ne peut être, à leurs yeux, le terreau d’une nouvelle société. Dans son essai sur la violence, Hannah Arendt, rappelle le biographe, ne croit pas que la violence puisse réaliser une fraternité pérenne entre les combattants.

Le 3 octobre 1961, François Maspero écrit à Frantz Fanon que Jean-Paul Sartre a envoyé la préface prévue pour le livre. Un texte d’une rare puissance, axé principalement sur la légitimation de la violence : « La folie meurtrière est l’inconscient collectif des colonisés. [...] Abattre un Européen, c’est faire d’une pierre deux coups, supprimer en même temps un oppresseur et un opprimé : restent un homme mort et un homme libre ; le survivant, pour la première fois, sent son sol national sous la plante de ses pieds. [...] Nous étions hommes à ses dépens, il se fait homme aux nôtres. Un autre homme : de meilleure qualité. [...] La violence, comme la lance d’Achille, peut cicatriser les blessures qu’elle a faites. » Adam Shatz pense que Sartre n’a pas lu l’intégralité des Damnés de la terre. Il trouve dans le journal de Jean Daniel cette appréciation critique : « Quelle masturbation verbale ! Quelle mortelle frivolité ! » Quant à Fanon, il ne réagit pas, n’étant pas vraiment convaincu par l’interprétation de son livre par le célèbre philosophe.

Son état de santé se dégrade au point d’exiger une hospitalisation aux États-Unis, avec une courte escale à Rome, au cours de laquelle Sartre vient le saluer. Aux États-Unis, il faut trouver un État qui accepte les mariages mixtes ; c’est le Maryland, ainsi Olivier peut être scolarisé. Fanon, « diplomate arabe », reçoit des visites de diplomates africains et de militants noirs américains et aussi d’amis algériens. En rémission, il évoque ses futures livres, l’un sur la jalousie, un autre sur l’histoire de l’ALN, un autre encore sur sa maladie, dont il a le titre, Le Leucémique et son double. Elaine Klein, qui assiste Fanon à l’hôpital, raconte qu’un jour, son fils Olivier lui demande d’écrire son nom sur la vitre givrée, et Fanon, en bon clinicien, de dire : « Il fait son transfert. » Le 3 décembre 1961, un ami algérien lui apporte une exemplaire des Damnés de la terre : « C’est pas ça qui me rendra ma moelle », murmure-t-il. Trois jours plus tard, il meurt à 36 ans. Il sera, à sa demande, enterré en Algérie, qui devient indépendante huit mois après.

Fanon après Fanon

Étiqueté « militant tiers-mondiste » et « théoricien de la lutte armée », son aura ne cesse de grandir au fur et à mesure que de nouveaux foyers révolutionnaires embrasent le tiers-monde. « Quelques années après sa première édition en français, note Adam Shatz, Les Damnés de la terre était lu en espagnol par les guérilleros latino-américains dans une traduction cubaine commandée par Che Guevara ; en anglais par les rebelles de l’ANC en Afrique du Sud ; en portugais par les insurgés anticolonialistes en Angola, en Guinée-Bissau et au Mozambique ; en farsi par les révolutionnaires marxistes ou islamistes iraniens ; et surtout, en arabe, par les fedayin palestiniens dans leurs camps de Jordanie, du Liban et de Syrie. »

Yoweri Museveni, futur dictateur de l’Ouganda, soutient une thèse sur « La théorie de la violence de Fanon : sa vérification dans le Mozambique libéré ». De nombreux intellectuels s’en revendiquent, comme le romancier kényan Ngûgî wa Thiong’o, le cinéaste sénégalais Ousmane Sembène, Angela Davis, pour qui Fanon est « le théoricien le plus convaincant du racisme et du colonialisme », et bien d’autres. La Bataille d’Alger de Gillo Pontecorvo, tourné en 1965, s’inspire de Fanon pour relater les événements de 1956 et 1957. Josie Fanon, sa veuve, travailla comme journaliste à Alger où elle éleva son fils. Dépressive, elle demande à être internée, puis revient chez elle et saute par la fenêtre depuis le quatrième étage, le 13 juillet 1989. L’Algérie connaît alors des violences sans précédents durant toute la « décennie noire » où furent assassinées au moins 100 000 Algériens.

Un jeune psychiatre de l’hôpital de Blida-Joinville transforme, en 2018, le logement de fonction de Fanon en musée. A Turin est créé le centre Frantz-Fanon, qui s’inspire des pratiques thérapeutiques de Fanon. A Bordeaux, en 2018, le conseil municipal examine la proposition de nommer deux rues en hommage à Rosa Parks et à Frantz Fanon (seule la première a été votée). On lit encore Fanon, mais la configuration géopolitique du monde, suite à la globalisation du capitalisme financiarisé, ne correspond plus du tout au sien, sans parler des enjeux environnementaux, des revendications écoféministes et LGBTQIA+, qu’il ne soupçonnait pas. La colonisation des imaginaires et des esprits, à l’œuvre à présent à l’échelle mondiale, exigent certainement d’autres modalités que celles préconisées par Frantz Fanon pour l’indépendance et la décolonisation. L’émancipation repose certainement sur de nouvelles pratiques, expérimentations et théories.




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