Guéret brûle-t-il ? Le 7 juin 1944, la préfecture de Creuse libérée une première fois par la Résistance
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Il y a 80 ans jour pour jour, Guéret était la première préfecture de l’Hexagone à voir reflotter le drapeau tricolore. Une première Libération éphémère mais inoubliable.
Un scénario de cinéma. Durant trois jours, du 7 au 9 juin 1944, les Guérétois passent par toutes les émotions. Et les Creusois devancent l’Histoire. Car si les occupants ne quittèrent définitivement la ville qu’en août (le même jour que Paris), ils furent déjà délogés une première fois en juin. Même brièvement, Guéret peut s’enorgueillir d’avoir été la première préfecture libérée dans l’Hexagone. Peut-être encore plus, d’avoir su éviter un drame comme Oradour.
Cet incroyable scénario a été relaté par des sources de toute première main, et certains de ces épisodes ont été décortiqués a posteriori par les historiens locaux. En voici un résumé.
Du ralliement de la Garde à l’incendie du St-FrançoisC’est aux premières lueurs du jour, le 7 juin, que les maquisards convergent vers Guéret, portés par la nouvelle du Débarquement allié de la veille. Depuis l’Hôtel Saint-François et l’Hôtel Auclair où ils cantonnent, les occupants comprennent que quelque chose se trame. Ils se barricadent. Tandis que l’École de la Garde, un corps militaire créé par Vichy, se rallie aux Résistants… Peu avant 7 heures, les premiers coups de feu éclatent sur la place Bonnyaud. Sous les tilleuls, le capitaine Armand, chef du maquis de la Souterraine, est l’un des premiers à tomber.
Jacques Bloch, "libérateur de Guéret", est mort (01/2023)
S’ensuit le double siège de l’Hôtel Auclair et de l’Hôtel Saint-François. Ce dernier est même mis en joue par un bazooka depuis l’autre côté de la place. Mais la situation s’enlise toute la matinée. Vers 13 heures, les assaillants décident donc d’employer une manière encore plus forte : en passant par les combles du Grand Café attenant, un résistant dépose une bombe incendiaire sous le toit du Saint-François, causant le sinistre qui deviendra emblématique de la première Libération guérétoise.
L'incendie de l'Hôtel St-François, causé par les Résistants pour déloger les Allemands, est devenu emblématique de la Libération de la préfecture creusoise. Photo J.Poudensan/Archives départementales 23
Les retranchés allemands se rendent avec un drapeau blanc : « Nous sommes fiers d’avoir combattu contre vous. Les soldats du Maquis sont de vrais soldats », déclarent-ils à Albert Fossey (alias François) et Roger Cerclier (Jean-Pierre), les deux cadres de la Résistance creusoise. Malgré l’antagonisme, de l’estime entre militaires et les règles de la guerre qui sont respectées : ce sera déterminant pour la suite. Dans le reste de l’après-midi, l’Hôtel Auclair, puis le QG de la Milice, dans une maison sur les pentes de Grancher, se rendent à leur tour. On compte morts et blessés. Tandis que la population refait surface et envahit la place Bonnyaud pour une scène de liesse sans doute jamais vue (et revue) en Creuse. Le drapeau tricolore est même hissé en haut du clocher. Mais juste au-dessus, dans le ciel, passe un avion à croix gammée qui douche l’enthousiasme. Il lâche même une salve qui blesse une jeune femme.
La réédition de notre hors-série de référence "Juin 1944 en Limousin"
Le jeudi 8 est encore marqué par deux fusillades, un nouvel incendie sur la place Bonnyaud, des représailles allemandes en périphérie de la ville. Un début d’épuration aussi, avec l’exécution de quatre collaborateurs dont le chef départemental de la Milice, exécutés à Pommeil. Et une tentative de restauration du cadre républicain par le Comité de Libération qui s’est installé en préfecture avec le soutien de Clément Vasserot, le préfet résistant, auteur d’une adresse “Aux habitants de la Creuse” placardée en ville.
Le retour des Allemands, représailles et tractationsEfforts qui se heurtent sur les événements du vendredi 9, journée suspendue à l’Histoire. Les maquisards évacuent la ville très tôt, à la stupéfaction des habitants qui sont invités à se rendre aux abris. Car des Allemands reviennent, des SS cette fois, et avec une dizaine d’avions, qui lâchent plusieurs bombes et mitraillent copieusement la ville.
À défaut de trouver des combattants, ils rassemblent les civils sur la place Bonnyaud. Oradour ne s’est pas encore produit, et a posteriori, beaucoup penseront que cela aurait pu être ici. Les pourparlers permettent finalement d’éviter le pire : les Allemands admettant que les maquisards ont traité convenablement ceux qu'ils avaient fait prisonniers la veille... Au terme des discussion, un militaire fait cependant cette révélation glaçante : l’ordre initial était de brûler la ville.
Témoignage uniqueJacques Poudensan, pharmacien guérétois qui disposait d’un appareil photographique, a documenté la ville sous l’occupation et à la Libération. Ses images d’une valeur inestimable, témoignage unique en Creuse, ont été exhumées en 2015 par le journaliste de France Bleu Creuse, Philippe Béquia, qui a aussi retrouvé les petits-fils de l’auteur. Ils en ont fait don aux Archives départementales où le « Fonds Poudensan », 127 photos, est aujourd’hui accessible à tous. Une sélection est présentée dans le hors-série La Montagne/Le Populaire disponible en kiosque : Juin 1944 en Limousin.
Floris Bressy