"Le RN n’a plus aucune zone de faiblesse" : retour sur quarante ans de progression du Rassemblement national dans le Puy-de-Dôme
Il y a quelques années, on pointait encore sur la carte du Puy-de-Dôme - comme des exceptions en terres politiquement roses, rouges, bleues ou vertes - les communes qui avaient placé le FN (puis RN) en tête de leurs suffrages dans tel ou tel scrutin.
Les analystes cherchaient à expliquer ces « anomalies » par des particularismes géographiques et sociologiques : la ruralité délaissée et le sentiment de déclassement, les bassins industriels en déclin, des quartiers urbains où la délinquance serait préoccupante, un vote ouvrier et protestataire avec la question de l’immigration pour socle…
Les élections européennes de ce mois de juin ont fait voler en éclats ces conjectures : les Puydômois aussi ont voté comme un seul homme pour le RN de Jordan Bardella, dans les campagnes et dans les villes, du nord au sud, de l’est à l’ouest. Ils n’ont pas boudé ce scrutin supposé « éloigné de leurs préoccupations concrètes » (55,98 % de participation, 29,95 % pour le RN), et les jeunes ont semblé plus mobilisés que lors d’échéances précédentes.
D'Abel Poitrineau à Louis de CondéLes résultats confirment les sondages qui n’ont jamais varié ces dernières semaines, et une progression quasiment constante depuis l’apparition du parti sur l’échiquier politique français, il y a une quarantaine d’années.
Mathias Bernard, président de l’Université Clermont Auvergne (UCA), rappelle :
Les premières candidatures Front national ont fait leur apparition dans les années 80 dans le Puy-de-Dôme, dans la foulée de la création du parti autour de Jean-Marie Le Pen, en 1972. Les candidats étaient alors plutôt des personnalités du compagnonnage de Jean-Marie Le Pen, portant le combat idéologique de l’extrême droite, celui de “l’Algérie française”, une nostalgie du Régime de Vichy
L’une de ces premières figures a été l’universitaire clermontois Abel Poitrineau, professeur d’histoire, « nationaliste, très porté sur l’univers militaire, la grandeur de la France », candidat à de multiples reprises et élu conseiller régional d’Auvergne en 1986.
Mathias Bernard, qui cite aussi sous ce profil le Vichyssois Louis de Condé, définit ensuite deux étapes clés dans la montée du FN dans le Puy-de-Dôme : « À partir des années 90, c’est un tournant, on trouve plutôt des hommes d’appareil, comme Claude Jaffrès, qui élargissent l’assise électorale du parti ; il devient plus populiste ». Jusqu’au début des années 2010, ce vote reste limité, très en dessous de la moyenne du pays : « Il faut même parfois diviser par deux le score national ».
2022, tournant majeurDepuis quinze ans, c’est une progression constante, une dynamique continue, avec des zones de force (dont la troisième couronne clermontoise, plutôt au nord et à l’est). Pour le spécialiste d’histoire politique, l’élection présidentielle de 2022 (Marine Le Pen à 41,45 % au second tour) a été l’autre tournant majeur de l’enracinement frontiste au plan national et local :
On a vu alors émerger une sociologie nouvelle ; aujourd’hui, le RN n’a plus aucune zone de faiblesse, même dans les très grosses communes, y compris Clermont et sa Métropole, avec des scores à plus de 20 % partout ».
Un peu plus lentement qu’ailleurs, sans élu véritablement implanté dans le département - le RN n’est plus présent au conseil municipal de Clermont-Ferrand - et un turn over important de ses responsables depuis une dizaine d’années, le parti d’extrême-droite a tout de même pris racine dans l’électorat puydômois.
Si « la greffe électorale a pris » et dans ces proportions de tsunami, Mathias Bernard l’explique par « le rôle de leader pleinement joué par Jordan Bardella, avantagé de ne pas être un Le Pen, et qui a su incarner le renouvellement ».
"Le programme est secondaire"Convaincu que « le programme est secondaire dans le mobile du vote RN », l’universitaire explique aussi le résultat de dimanche dans le Puy-de-Dôme par « la capacité qu’a eu le RN de fédérer largement, alors que les camps traditionnels, particulièrement à gauche, se sont divisés au fil du temps, présentant des candidatures multiples ; cela a creusé cet écart inédit : une quinzaine de points sur le deuxième ».
Louis Clément délégué départemental. Depuis janvier 2023, le RN est représenté par le Royadère Louis Clément, retraité du ministère des Armées âgé de 65 ans, qui a été candidat à de multiples scrutins, notamment aux sénatoriales en 2023, et aux départementales de Clermont 1, en mai dernier, où il a été battu au second tour. Il était 77e sur la liste de Jordan Bardella.
Laurence Couperier