Les seuils de ces deux rivières du Puy-de-Dôme livrent peu à peu leur secret
Indissociable de l’industrie coutelière jusqu’au milieu du siècle dernier, la Durolle fut apprivoisée au fil du temps à l’aide de barrages (les seuils) et des canaux (biefs).
Des ouvrages façonnés par l’homme qu’on retrouve également le long de la Credogne, pour d’autres usages encore.
Tombés en désuétude, ces seuils sont aujourd’hui l’objet de toutes les attentions. Depuis avril 2022, une équipe de chercheurs s’intéresse en effet à ce "patrimoine hydraulique contenus dans les rivières". "Des publications indiquent qu’il en existe des milliers dans les cours d’eau (pas seulement sur la Durolle et le Credogne ndlr), mais ce patrimoine avait été peu étudié jusqu’à présent", explique André Dendievel, chercheur à l’École nationale des travaux publics de l’État (ENTPE), participant aux recherches. Des recherches qui se poursuivent cette année encore et doivent remplir différents objectifs : comprendre les différentes fonctions des seuils et donc l’histoire de l’aménagement des cours d’eau. Mais aussi estimer leur état de conservation en vue de restaurations des rivières.
Cartographie, observation et datationPour mener à bien ces recherches, les spécialistes ont utilisé tout d’abord l’approche cartographique. "Nous avons recoupé le cadastre napoléonien du début du XIXe qui référence les seuils et les canaux avec d’autres archives pour identifier les sites qui nous semblaient les plus anciens", détaille le spécialiste. Parmi la quarantaine d’ouvrages identifiés, "un seuil tous les kilomètres en moyenne », une vingtaine a fait l’objet de recherches plus poussées, sur le terrain cette fois-ci. Avec des caractéristiques diverses et variées. Des seuils façonnés à l’aide de pieux, de pierres ou même en béton lorsqu’ils ont été consolidés à partir du siècle dernier. " Jusque dans les années 70 et 80, ce qui correspond à la dernière génération d’émouleurs". Et des topographies là aussi différentes d’un site à l’autre : retenues d’eau qui alimentent des moulins, des rouets ou encore de simples canaux irriguant des champs.
Les pieux, mais aussi les sédiments accumulés au niveau des barrages ont servi de leur côté d’éléments de datation. La dendrochronologie (voir encadré) pour dater les premiers et pour les seconds, la datation au carbone 14 ou au césium 137. Cette dernière technique, moins connue, se base sur la présence ou non de césium 137. Un produit radioactif présent dans l’environnement depuis les essais nucléaires dans les années 50 et la catastrophe de Tchernobyl en 1986 et qui permet de dater "à quatre années près".
L’ensemble des données récoltées à permis d’aboutir à de premiers résultats de recherches :
Les plus anciens seuils datent du XVe siècle. Leur usage est encore difficile à établir car il n’y a pas ou plus de moulins. D’autres de la fin du XVIIe au début XVIIIe pourraient être liés aux rizeraies éphémères à Thiers. Sur le Durolle, certains éléments présents dans les couches de sédiments et notamment le nickel permettent d’établir l’installation des émouleurs après 1910.
Si certains seuils étaient destinés à un usage spécifique, d’autres permettaient de les combiner : un barrage alimente un bief qui produira la force motrice d’un moulin avant d’irriguer des cultures.
L’histoire des retenues d’eau est donc loin de se résumer à celle de l’industrie coutelière. "Les usages étaient encore plus diversifiés sur la Credogne où on retrouve des moulins fariniers ou encore un, à papier », explique André Dendievel.Une diversité que le groupe de chercheurs devrait, cette année, mettre un peu plus en évidence encore en remontant les cours d’eau du côté de Saint-Victor-Montvianex pour la Credogne et Chabreloche ou Noirétable pour la Durolle. Avec pour objet d’étude, cette fois-ci, les moulins à scie, autre patrimoine méconnu. Indissociables de l’exploitation forestière, « ces moulins bénéficiaient souvent d‘un bassin de rétention en amont pour que la force de l’eau soit encore plus importante."
Les rivières n’ont pas fini de livrer leurs secrets.(*) Chercheurs en archéologie du Ministère de la Culture et en environnement du Ministère de la Transition écologique. Ce projet nommé Acis est notamment financé par la Drac.
Yann Terrat
La dendrochronologie ? Autre technique de datation, la dendrochronologie étudie les cernes des arbres et plus précisément celles des pieux qui ont servi à édifier les barrages, dans le cadre des recherches sur les seuils des cours d’eau. Car en observant un arbre coupé et ses cernes annuels de croissance, il est possible de connaître la période exacte à laquelle il a été coupé, correspondant peu ou prou à celle de l’édification du seuil. Pour comprendre, il faut savoir que les espacements entre les cernes d’un même arbre ne sont pas équidistants. Un écart plus resserré entre deux cernes indiquera par exemple que l’arbre a connu une période de sécheresse à un âge précis. La séquence de l’ensemble des cernes forme ainsi une sorte de code-barres qu’il est possible aujourd’hui de comparer avec une base de données, une vraie bibliothèque qui remonte jusqu’à 12.000 ans avant notre ère.