Le monde économique dans la crainte d'un chaos généralisé en France
La Bourse qui s’affole, les organisations patronales qui montent au créneau : le monde économique tangue dans l'Hexagone depuis l’annonce de la dissolution et la perspective de l’arrivée au pouvoir de l’une ou l’autre des « extrêmes ».
Le CAC 40, indice vedette de la place financière parisienne, avait chuté, ce vendredi 14 juin, de 6,4 % depuis le début de la semaine, dont un repli de 2,8 % pour cette seule journée de vendredi. Et du côté du patronat, les messages alarmistes se succèdent, tant du côté du Medef que de la CPME, alors que celui de l’U2P (Union des entreprises de proximité) est plus attentiste.
Le tout sur fond d’interpellation du ministre de l’Économie lui-même, Bruno Le Maire, qui a évoqué « la facture du programme marxiste de Marine Le Pen ».
Une dissolution "pas du tout anticipée"Mathieu Plane, directeur adjoint à l’Observatoire français des conjonctures économiques, n'est pas surpris des réactions enregistrées depuis dimanche, en raison de l’incertitude qu’elle génère : « Les investisseurs, les marchés et les entreprises détestent l’incertitude. Quand des agences de notation ont dégradé la note de la France il y a quelques semaines, ça n’a pas eu un grand effet, car c’était largement anticipé, il n’y avait pas de remise en cause des fondamentaux du pays, pas d’instabilité. Depuis dimanche, et cette dissolution pas du tout anticipée, il y a beaucoup plus d’inconnues. Les élections qui ont placé le Rassemblement national en tête ouvrent une nouvelle période politique dont on ne connaît pas l’issue, ni sur l’évolution économique de la France ni sur son insertion dans l’Europe. Cela engendre des spéculations, d’autant plus en sortie de crise importante et de situation budgétaire délicate. »
Quant aux programmes économiques de l’extrême droite et du nouveau Front populaire, que le président Macron a renvoyé dos à dos d’une même voix, se mêlant aux cris d’orfraies poussés çà et là depuis dimanche, l’économiste les juge à l’instant T sans être convaincu que les annonces seraient bien appliquées en cas de victoire de l’un ou l’autre camp.
Principe de réalité ?« La crainte de voir mis en œuvre des programmes irresponsables est compréhensible et il y a en outre de forts enjeux sociétaux. Mais qu’est-ce qui sera fait vraiment ? Après l’effet de surprise, il faudra voir comment les choses vont évoluer en fonction du principe de réalité et du besoin de rassurer. »
Pour Mathieu Plane, le programme du RN et celui du Front populaire posent le problème de leur financement, mais il y voit des schémas différents. « Côté RN, on est sur des mesures assez symboliques, comme avec les retraites dont on ne connaît pas les détails, sans vue d’ensemble. C’est peut-être ce qui inquiète et pose la question de la crédibilité des mesures. Celles du Front populaire sont plus axées sur la redistribution, la réduction des inégalités et le soutien aux services publics. Mais tout cela signifiera un choc fiscal pour le financer. Comment se répartira ce choc ? A priori davantage sur les grandes entreprises et les gros patrimoines. Beaucoup de questions de mises en pratique restent en suspens, mais ça va beaucoup secouer. »
Des différences, donc, et pourtant une inquiétude similaire des acteurs économiques, quelle que soit l’hypothèse retenue. Là encore, Mathieu Plane apporte une autre lecture.
Instabilité inédite« D’un point de vue strictement économique, on constate la même inquiétude, oui, mais le problème posé va bien au-delà. Le RN a tendance à normaliser son discours mais les interrogations restent fortes sur ses compétences et sa capacité à gouverner, d’autant qu’il reste fortement antieuropéen. S’il parvient au pouvoir, il faudra mesurer comment la France est perçue à travers cette bascule politique, comme les États-Unis avec Trump ou l’Italie avec Meloni. Au Front populaire, le problème, ce sont les alliances, mais il y a l’expérience gouvernementale, la connaissance des sujets et de l’administration. Emmanuel Macron insiste sur la frange extrême du Front populaire mais il y a aussi des gens raisonnables dans ses rangs. Difficile de mettre tout le monde dans le même sac. Nous vivons un instant plus politique qu’économique où on aurait le choix entre “le chaos ou le renouvellement de la confiance au gouvernement actuel”. Or, de fait, c’est la dissolution qui a créé le chaos et une instabilité inédite. »
Patrice Campo