« Les médecins ne me donnaient plus que quinze jours à vivre » : des Corréziens racontent la greffe qui les a sauvés
Ils ont un point commun invisible à l’œil nu. Comme plus de 60.000 Français, Ludivine et Bernard vivent avec le(s) organe(s) d’un autre. Une personne dont ils ne savent rien, comme l’impose la loi, qui leur a fait ce don ultime après avoir été déclarée en état de mort cérébrale.
Ce cadeau, né d’un drame, l’un comme l’autre en savent toute la force, alors que plus de 21.000 personnes sont à ce jour sur la liste nationale d’attente pour une greffe ; et que 823 personnes sont décédées en France, en 2023, faute d’avoir reçu le don qui aurait pu les sauver.
Alors que le taux d’opposition au prélèvement a atteint 36,1 % à l’échelle nationale, en 2023, ils témoignent pour mieux faire connaître le don d’organes et inciter les gens à en parler avec leurs proches, de leur vivant.
En France, le don d’organes repose sur le principe du consentement présumé. En clair, toute personne est donneuse à moins d’avoir exprimé son refus de son vivant, soit en informant ses proches, soit en s’inscrivant sur le registre national des refus. Ses proches peuvent toutefois s’opposer à ce prélèvement sous conditions.
Une double greffe du cœur et des poumonsC’est impossible à deviner en la voyant, mais Ludivine est une miraculée. Il y a dix ans, à l’âge de 39 ans, elle a frôlé la mort après quatorze mois, dans l’attente d’une opération réalisée moins d’une dizaine de fois par an, en France.
La faute à une hypertension artérielle pulmonaire, une maladie rare et incurable, que seule une double greffe du cœur et des poumons pouvait guérir. « Quand j’ai été opérée, j’étais en insuffisance cardiaque et pulmonaire terminale. Les médecins ne me donnaient plus que quinze jours à vivre », raconte-t-elle.
Il lui a fallu, ensuite, de longs mois de convalescence pour se remettre de l’intervention, extrêmement lourde (« Je pesais 37 kg à ma sortie de l’hôpital »). Du temps, aussi, pour accepter « de vivre avec les organes d’une autre personne ». « La première fois que les médecins m’en ont parlé, je leur ai dit : “Donc, je vais recevoir les organes de quelqu’un de mort ?” C’était tellement idiot comme réflexion », glisse-t-elle.
Car malgré les traitements anti-rejets et l’attention qu’elle doit porter à sa santé (« pour les greffés, la période Covid a été un enfer »), Ludivine mesure le « cadeau indescriptible » qui lui a été fait.
Cette renaissance, ce grand bonheur de voir grandir mon fils qui avait 9 ans à l’époque et qui en a 18 aujourd’hui, je les dois à un donneur, mais aussi à sa famille qui a eu le courage de dire “oui” dans un moment de grande détresse.
Alors, dès qu’elle le peut, Ludivine participe à des actions de sensibilisation pour faire prendre conscience de l’importance de se prononcer sur le don d’organes. « Il faut en parler. Ne laissez pas cette lourde tâche à ceux qui vous aiment, enjoint-elle. Moi, ça m’a sauvée. »
« Servez-vous, c’est open bar ! »Ce message, Bernard aussi le partage dès qu’il peut. « Je comprends que ce soit un sujet difficile à aborder avec ses proches, mais ça ne fait pas mourir d’en parler », souligne ce Briviste de 67 ans, qui a reçu un nouveau foie, il y a trois ans. « Comme je dis souvent, à ma mort, si mes organes peuvent servir, ce sera open bar ! »
Contrairement à Ludivine, sa stéatohépatite non-alcoolique, communément appelée “maladie du foie gras”, ne l’a « jamais fait souffrir ». Elle n’en menaçait pas moins sa vie, au point d’être placé sur liste prioritaire en janvier 2021. « Comme disait mon médecin, “quand vous souffrirez, c’est que ça sera trop tard” », sourit-il avec le recul.
Dans son cas, l’attente aura duré quatre mois. « C’était dans la nuit du 21 mai. On dormait avec ma compagne quand le téléphone a sonné, autour de minuit et quelques… Aussitôt, on a appelé l’ambulance et à 3 h 25, j’arrivais à Pessac, en Gironde. »
À cet instant, Bernard n’avait pourtant aucune certitude qu’il serait bien greffé. « J’avoue qu’à ce moment-là, même si je suis d’un naturel optimiste, j’ai eu la trouille, mais les planètes se sont vraiment alignées. Mis à part, de petites complications, tout s’est parfaitement bien passé », explique-t-il.
Trois ans plus tard, au-delà de la gratitude qu’il a pour son donneur, le retraité retient surtout la « formidable chaîne de solidarité » qui s’est mise en branle pour lui offrir une nouvelle vie.
C’est une chance qu’on a d’avoir des médecins et des soignants aussi dévoués et que tout soit pris en charge. Quand je vois que ça a coûté plus de 100.000 euros en tout, je me dis que si j’avais été Américain, aujourd’hui, je serais mort.
Les organes de Jacky Rey ont sauvé cinq vies
Mireille Rey (à droite) lors de l'inauguration du lieu commémoratif créé en hommage aux donneurs d’organes et de tissus, à l'hôpital de Brive.Mireille Rey parle encore avec émotion, près de 13 ans plus tard, de ce jour d’août 2011 où le don d’organes est devenu concret pour elle, à la suite de l’accident qui a coûté la vie à son mari Jacky. À Objat, beaucoup se souviennent du décès tragique de l’ancien rugbyman et conseiller municipal, pendant la bodega. « Il était bénévole sur la fête et quand il a fait une pause pour manger, il s’est étouffé en mangeant de la viande », rappelle sa femme.
À son arrivée à l’hôpital, le médecin annonce très vite à Mireille que son mari est condamné. « J’ai tout de suite accepté le prélèvement. J’avais assisté à une réunion de France Adot et j’avais pris ma carte de donneuse peu de temps avant. On en avait parlé et il avait décidé de faire pareil, donc je n’ai pas eu à me poser la question. »
Le cœur, les reins et le foie (partagé en deux) de son mari ont permis de sauver cinq vies. « Comme c’est anonyme, j'ai juste su que c’étaient des jeunes. Ça met du baume au cœur de savoir qu’il a aidé ces personnes. Si ça m’était arrivé, j’aurais été contente, moi aussi, d’avoir un donneur. »
Michaël Nicolas