Il y a 80 ans, la rafle de Gerzat dans le Puy-de-Dôme

Le 3 juin 1944, Georges Arnaud souffle son gâteau d’anniversaire dans sa maison de la rue François-Charrier, à Gerzat, la commune qui l’a vu naître 37 ans plus tôt. À ses côtés, sa femme Yvonne et son fils de 12 ans, Raymond. Depuis un an, il fait partie des Francs-tireurs et partisans, sergent et chef de groupe de la compagnie Ferrier. Comme toute la Résistance, il sent le vent tourner pour les forces d’occupation. Sans se douter que, dans trois jours, les Alliés débarqueront en Normandie.

Une rafle menée entre 5 et 6 heures

L’Auvergne sort d’un mois de mai caniculaire et s’apprête à entrer dans un mois de juillet encore plus chaud. Mais cet été 44, Georges Arnaud ne le verra pas. Le jour même du solstice de cette année, le 21 juin, au petit matin, on frappe à sa porte. Des membres de la SD (la Gestapo française) et des Allemands du camp d’Aulnat l’attendent. Dans la rue, Georges n’est pas seul. Avec lui, 29 autres Gerzatois (*), dont trois femmes, sont embarqués.Georges Valton, habitait avenue de la Gare. À 5 heures du matin, il est escorté par deux agents de la Gestapo.

Autour de ma maison, une soixantaine de soldats allemands, armés de mitraillettes et de fusils montaient la garde. 

Tous les résistants arrêtés sont amenés au groupe scolaire de la commune, puis rapidement à la prison militaire du 92e régiment à Clermont.

La prison militaire du 92e Régiment d'infanterie

Au départ, un résistant arrêté pour... vol de ciment

Comment en est-on arrivé à ce qui restera dans l’histoire comme « la rafle de Gerzat » ? Il faut remonter quelques semaines plus tôt. « Courant juin, un ouvrier originaire de Gerzat et travaillant au camp d’Aulnat fut arrêté par la Luftwaffe pour vol de ciment, je crois. Cet homme fut transféré au SD et il fut interrogé par Mathieu, Grunewald et moi. Après qu’il eut été passablement rossé, il dit qu’il connaissait à Gerzat des membres de la Résistance. » Ces mots sont ceux de Jean Vernière, 25 ans, agent français de la Gestapo. Il croisera funestement la route de Georges Arnaud, mais nous y reviendrons.

Voilà le SD en possession d’une poignée de noms. Le dénommé Mathieu se tourne alors vers les Allemands pour demander du soutien en vue d’une opération. Le chef de la Luftwaffe, le commandant Bambach, possède également des noms de résistants à Gerzat, donnés par des miliciens. Trois pour être précis. L’un d’eux, V., continuait de répéter : 

Il faut absolument que j’arrive à faire arrêter et disparaître la crapule de Gerzat qui travaille contre nos intérêts. 

Mais le plus zélé, M., avait donné une liste de 42 noms à la Gestapo. Le SD restant sourd, il « n’a pas manqué de retourner deux fois par semaine à Royat (siège de la Gestapo, NDLR) d’appuyer, de préciser de hâter cette déportation. » Ce milicien M. mènera d’ailleurs les kommandos le 21 juin, affublé d’un uniforme allemand.

La « balançoire » à  la Villa des tortures

Si le traitement des prisonniers au 92 garde l’exemplarité militaire, les interrogatoires menés les 22 et 23 juin au siège de la Gestapo porte le sceau de l’infamie. « Le 22 juin 1944, je fus conduit à la villa des tortures, 2 bis, avenue de Royat, où j’ai subi un interrogatoire par Vernière, Bresson et Sautarel. Avant de commencer à m’interroger, ces trois individus m’ont suspendu aux jambes à l’aide d’une barre en fer» , témoigne Charles Jarry, 41 ans. 

Le siège de la Gestapo, à Chamalières 2 bis avenue Royat.

Et pendant trois quarts d’heure environ, j’ai été frappé à coups de nerf de bœuf, à coups de marteau et ils m’ont marché sur le ventre jusqu’à ce que j’ai eu perdu connaissance.

Cet interrogatoire raffiné était la marque de la villa, qui se nommait « la balançoire ».

Rapidement, les 29 prisonniers sont déportés au camp de Compiègne où ils passent cinq jours avant de rejoindre les camps de Ravensbrück pour les femmes, Neuengamme pour les hommes.

« Ce fut le seul corps que nous enterrâmes ce jour-là »

29 ? Oui, Georges Arnaud sera la première victime de cette rafle. Et c’est son tortionnaire, Vernière, qui le raconte. Froidement. « Au sujet de Arnaud, je dois dire qu’il fut interrogé à deux ou trois reprises par Mathieu, Bresson, Sautarel et moi. Chaque fois il fut frappé à coups de nerf de bœuf et il lui fut appliqué le système qu’avait inventé Mathieu et nous appelions la “balançoire”. Ainsi donc Arnaud comme beaucoup d’autres subit ce supplice, au point qu’il décéda à la prison. Un soir, vers 22 heures, nous allâmes chercher son corps et le transportâmes à Aulnat, où il fut enterré dans un trou de bombe, situé à 100 mètres environ en avant des quatre hangars adossés à la route de Pont-du-Château, un peu avant d’arriver à l’AIA. Ce fut le seul corps que nous enterrâmes ce jour-là. »De cette rafle, selon les rapports de l’époque, seuls cinq résistants rentreront vivants (quatre selon les données actuelles). Louis Fanghoux, Charles Jarry, François Vallet, Georges Valton et Charles Vermeulen. Sur une archive manuscrite d’un discours hommage à leur retour, l’on peut lire : « Gens de Gerzat et d’Auvergne, souvenez-vous ». 

En 21 mois d'activité, la Gestapo de Clermont se fit remarquer par son activité "considérable"-175 fusillés-25 personnes décédées en cellule après interrogatoire -7.500 arrestations-7.000 déportations vers l’Allemagne (dont 6.000 pour le Puy-de-Dôme)-1.000 déportés seront rapatriés« Peu de SD en France occupée, indépendamment de ceux de Paris, Lyon et Vichy ont eu un tel résultat en une aussi courte période. Cela peut s’expliquer par une double considération géographique à savoir la proximité de Vichy siège de la direction des SD de zone sud, et la nature du relief du centre de la France, relief favorable aux nombreux maquis qui se créèrent après le 11 novembre 1942 et surtout au printemps 1944. »

(*) Selon les sources, ce chiffre varie. Nous restons fidèles au rapport de M. Grégoire, délégué régional du service de recherche des crimes de guerre ennemis.

Simon Antony