Dans ce petit hameau de Creuse, ils viennent de toute l'Europe retrouver leur nature perdue

Rozan n’avait jamais vu de grenouille ou de serpent « en vrai ». À 21 ans, cette future professeure de biologie a les yeux qui brillent devant cette prairie de scabieuses et cette mare qui coasse de bon cœur. Chez elle, aux Pays-Bas, cela n’existe plus depuis longtemps. L’agriculture productiviste et l’urbanisation ont balayé le moindre brin d’herbe résiduel.

« Il ne reste presque plus de trace de la nature chez nous, alors qu’ici, partout où vous regardez, il y a du vert, des animaux, de la vie… »

Une vingtaine d'étudiants néerlandais ont été accueillis pendant une semaine au Centre nature Tigouleix, à Saint-Agnant-près-Crocq pour une immersion au coeur de la nature creusoise @Julie Ho HoaDeuxième pays exportateur de produits alimentaires au monde (derrière les États-Unis), les Pays-Bas ont plié la nature au service de la production dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, traumatisés par la famine provoquée par les Nazis de 1944 à 1945.

Engrais, pesticides, herbicides, mécanisation, automatisation, serres et cheptels gigantesques, tout est bon pour assurer un rendement parmi les plus élevés au monde, sur ce petit pourcent de la surface agricole utile de l’Europe. Mais aujourd’hui, le sol est vide et la biodiversité, disparue. Claire Veen entraîne ses invités dans le vaste labyrinthe végétal qui entour le Centre nature Tigouleix @Julie Ho Hoa

« Vous savez qu’on ne trouve même plus de grillon en Hollande, juste sur quelques tourbières », situe Rob Veen. « En manque de nature », cet ancien professeur de biologie a claqué la porte du plat pays il y a plus de douze ans et s’est installé avec Claire, sa femme, qui travaillait dans le domaine de l’environnement, à Saint-Agnant-près-Crocq.Chantre de l'herpétofaune en Creuse, Rob Veen distille toutes ses connaissances en matière d'amphibiens et de reptiles aux futurs professeurs qui séjournent chez lui @Julie Ho Hoa

Non sans une mission. « Pendant quarante ans, on a vu le déclin des paysages et de la biodiversité dans notre pays, la pollution, la destruction », en créant le Centre Nature Tigouleix, du nom du petit hameau où il est niché, « on souhaite sensibiliser le public ». Et plus particulièrement la jeunesse, notamment néerlandaise.

Chaque année, les élèves de près d’une dizaine de grandes écoles des Pays-Bas sont ainsi accueillis par le couple dans le cadre de leur cursus universitaire. Mais aussi des naturalistes, des scientifiques, des photographes, des passionnés de nature de tous pays. @Julie Ho Hoa

Pour cette vingtaine de futurs professeurs de biologie de Rotterdam comme Rozan, en séjour pour une semaine ce mois-ci, l’expérience est inédite.

« On a fait une excursion avec Claire, on est simplement allés en forêt, on a fermé les yeux, on a écouté les sons, le chant des oiseaux. C’est quelque chose que je n’avais jamais fait avant. C’est si apaisant, si ressourçant »

Les beautés naturelles aussi rares que méconnues des vallées creusoises de la Tardes et du Cher

 @Julie Ho HoaOn aurait envie de dire si banal et pourtant si extraordinaire pour ces jeunes qui ne connaissent que les centres urbains et l’artificialisation des sols.

« J’ai découvert plein de choses. Je n’avais jamais vu de serpent dans la nature. Aux Pays-Bas, la seule chance d’en voir, c’est d’acheter un ticket au zoo. Des salamandres ? On n’en voit pas, pas même dans un zoo. C’est triste. Vraiment triste. »

La végétation exhubérante de Tigouleix a de quoi impressionner ces jeunes Néerlandais qui ne connaissent que l'agriculture intensive et les serres @Julie Ho HoaLe petit bus garé devant le Centre nature connaît les routes par cœur, des pacages autour d’Évaux-les-Bains qui grouillent de sonneurs à ventre jaune aux coins à vipères péliades dans le Massif du Sancy. Mais nul besoin d’aller si loin, vagabonder dans les recoins de Saint-Agnant-près-Crocq suffit à se confronter à une jungle de sensations et de rencontres en pleine nature.

« Il y a beaucoup de faune mais aussi beaucoup de plantes vasculaires et de plantes rares, comme des orchidées, partout autour d’ici », explique Rob Veen, des espèces préservées notamment par une agriculture extensive respectueuse de la biodiversité qui fait la part belle au bocage. @Julie Ho Hoa

Le maire, Jean-Paul Welzer, venu souhaité la bienvenue au groupe, n'est pas peu fier de savoir sa commune citée en exemple par nos voisins européens. Outre le fait qu'il soit ravi de voir débouler régulièrement des cars d'étudiants - « ça rajeunit la commune » - l'élu applaudit le projet mené par Rob et Claire Veen. « C'est une initiative qui n'est pas banale, en tout cas dans notre département, sur une thématique qui fait beaucoup parler d'elle à l'heure actuelle. »Rob Veen a quitté les Pays-Bas pour la Creuse il y aune douzaine d'années @Julie Ho Hoa

Plutôt fier aussi que ce coin de Creuse ait réussi à se préserver des erreurs faites ailleurs. « Ici, grosso modo, c'est encore la forêt primaire, telle qu'on la trouve dans les Carpathes, en Pologne. C'est quelque chose que l'on ne retrouve qu'en très, très peu d'endroits, même en Creuse », sourit-il. Ne manquent que le loup, l'ours et le lynx pour que le tableau soit complet. 

« Quand on a ça chez soi, on ne s'aperçoit même plus de la chance qu'on a. C'est quand on ne l'a plus, effectivement, qu'on se dit qu'on aurait pu le conserver et qu'on n'a pas fait ce qu'il fallait...»

Le maire de Saint-Agnant, Jean-Paul Welzer, s'est adressé aux jeunes étudiants @Julie Ho Hoa

« En étant ici, on réalise ce qu’on a perdu chez nous et combien c’est précieux. Combien il faut qu’on préserve le peu de nature qu’il nous reste parce qu’elle fait partie de nous », rebondit Rozan.

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Pour le professeur qui les encadre, Tom Ansen, c’est un moment essentiel dans leur cursus. Chaque année depuis douze ans, il emmène ses étudiants rotterdamois dans cet éden creusois. C’est pour l’immense majorité, leur première rencontre avec la faune et la flore qu’ils étudient en cours. La première fois aussi qu’ils se promènent tout simplement « dans » la nature. @Julie Ho Hoa

Une expérience sensible, des émotions nouvelles, un rapport charnel à l’environnement qu’il nous envie : « Je pense que pour la plupart des gens en Hollande, une fois qu’on a expérimenté ça, vivre ici devient un rêve ! », sourit-il, heureux aussi de voir ses étudiants « savourer » ce moment. « Je les vois se balader, ils sont beaucoup moins stressés au contact de la nature, ils profitent, et en même temps ils apprennent beaucoup juste en se baladant. » @Julie Ho Hoa

Ils étaient venus pour apprendre mais finalement, c’est peut-être eux qui nous laissent quelque chose à éditer.

« Préservez ce que vous avez. Préservez-le. Appréciez-le. C’est si important. En Hollande, il ne nous reste que des miettes. Et quand c’est détruit, c’est détruit… »

Leçon reçue cinq sur cinq par ses élèves, peu pressés de repasser du vert au vide. « On réalise combien la nature est fragile mais aussi combien elle peut être forte. Quand on regarde autour de nous ici, toutes ces fleurs, cette végétation, cette biodiversité. On se sent humble face à ça », confie Stacey.@Julie Ho Hoa

Elle et Rachel ont découvert un autre possible : « On pourra dire à nos futurs élèves combien les choses peuvent être différentes de chez nous, combien l’homme peut avoir un impact sur ce qui l’entoure, les ravages qu’il peut faire. C’est un excellent exemple de ce qu’il peut se passer selon ce que l’on décide de faire sur notre planète. »

Texte & photos : Julie Ho Hoajulie.hohoa@centrefrance.com