Après Bolides, Samson veut redessiner les contours de la variété française
La musique a souvent à voir avec l’amitié. Samson, lui, connaît Joseph depuis un paquet d’années. Les deux artistes ont commencé à jouer ensemble 15 ans auparavant, et “ça se voit sur scène, apparemment”, glisse le premier, lorsque l’on rencontre le duo une matinée de juin. Difficile de parler de l’un sans faire référence à l’autre, tant le parcours musical des deux copains se suit, s’enchevêtre et se répond.
Si Samson performe désormais en son nom, il a d’abord fait ses armes en groupe – aux côtés de son compère de toujours et de trois autres musiciens – au sein de Ruby Cube, quintet toulousain porté par l’effervescence rock des années 2010. “C’était de la pop-rock assez codée”, analyse son ancien leader, citant Foals et Metronomy dans leurs influences d’alors. Puis, à l’orée de 2020, guidés par une soif de changement, les deux inséparables ont opéré leur mue.
De Bolides à Samson
“On a créé Bolides, quitté notre label, arrêté de chanter en anglais, et on a mis des curseurs très forts à ce moment-là, justement pour se différencier de ce qu’on faisait avant”, retrace Samson. Bolides, un blason qui leur a permis de se dégager de l’ornière guitare-basse-batterie et d’aller explorer d’autres espaces.
“On s’est dit qu’on allait en avoir rien à foutre des codes”, lâche Samson. Auto-Tune, beats empruntés au rap et textes de lovers : les deux musiciens ne se refusent rien, suivent leur instinct et choisissent l’amusement comme devise. “C’est ce qui fait qu’il y a des choses très différentes dans la discographie de Bolides, on composait un truc et on le sortait un mois après […], ça rendait le projet charmant, ce n’était pas réfléchi”, poursuit Samson.
Et Joseph d’abonder : “C’était plus expérimental aussi, ce qu’on faisait à l’époque […]. Je pense que c’est plus rangé, maintenant.” Car aujourd’hui, Bolides a laissé place à Samson. Les sensibilités musicales du duo ont changé au fil des cinq dernières années, il lui fallait donc une nouvelle mutation.
Réhabiliter la chanson française
Refermant une discographie riche de deux albums et trois EP, les deux compères viennent tout juste d’ouvrir celle de Samson avec L’Oiseau bleu – premier single de ce nouveau chapitre musical, régi par le désir de “simplifier”. “On a essayé d’épurer au maximum, de mettre la voix au centre et construire autour d’elle”, explique le chanteur. Et ce, dans l’objectif “d’avoir des chansons qui peuvent marcher si on enlève l’arrangement, ou même s’il ne reste que les accords et le texte”, complète Joseph, qui revêt la casquette de producteur dans ce projet.
“Je veux vraiment écrire des chansons, de belles chansons un peu sérieuses”
Le texte, justement, Samson a désormais envie de lui laisser “toute la place” : “Peut-être que c’est un fantasme, mais je veux vraiment écrire des chansons, de belles chansons un peu sérieuses… Même si on fait beaucoup de blagues dans la vie !” Alors, sa plume, le musicien la nourrit de celle de ses prédécesseur·ses interprètes, de Barbara à Dalida, en passant par Jacques Brel ou Michel Legrand. Tout en s’efforçant de redessiner les contours de la variété française, et de dissiper son côté “un peu ringard”.
L’Oiseau bleu en est un parfait exemple, morceau dont les paroles sont empruntées à l’Américain Charles Bukowski, auteur du poème éponyme. Il y est question de vulnérabilité. De pudeur, aussi. “Il y a dans mon cœur un oiseau bleu qui veut sortir / Mais je suis trop coriace pour lui / Je lui dis, reste là, je ne veux pas qu’on te voie.” Une métaphore qui a tout de suite parlé à Samson, en dépit du style “un peu brut de décoffrage” du poète.
“Ce qui m’a touché, c’est que peut-être qu’il parle de sa masculinité, mais peut-être qu’il parle d’un truc plus large, de ne pas réussir à accéder à une partie de soi, alors il fait le mec super dur, super fier…”, s’épanche-t-il ensuite. “Le fait d’être des hommes, dans une société qui change par rapport à ça, tout en ayant reçu une éducation de garçon… Ce sont des sujets qui nous intéressent”, poursuit le musicien, “on s’interroge beaucoup, aussi parce qu’on est dans des milieux qui remettent plein de choses en question”.
Toutefois, “ce n’est pas une ‘chanson de la déconstruction’, je pense qu’il y a autant d’hommes que de femmes qui peuvent avoir l’impression qu’ils ou elles n’accèdent pas à une partie de leur fragilité”, nuance-t-il, visiblement inquiet des étiquettes facilement accolées.
Emprunter des chemins bizarres
Eux, justement, semblent embrasser pleinement leurs aspérités. Et s’en remettent toujours à leurs premières impressions, souvent les bonnes. “Ce qui nous guide, c’est l’instinct et les émotions”, lance Samson, “quand on est touchés par un truc, on sait que c’est bien”. Une philosophie qu’ils jugent plus importante encore que la théorie : “Faut savoir qu’on n’a aucune formation de musicien !”, s’esclaffe le même, “j’ai fait un peu de piano et un peu de chant, et Jo est 100 % autodidacte.” “Oui, c’est par là qu’il faut commencer, on est nuls !”, surenchérit Joseph l’air mutin, avant d’admettre tout de même que prendre des cours de musique lui “aurait fait gagner du temps”.
Samson objecte : “Ça nous aurait peut-être enfermés, parce que nous, on prend des chemins qui sont parfois bizarres pour arriver au résultat qu’on recherche. Peut-être que ça nous prend quatre fois plus de temps, mais peut-être qu’on n’a rien qui nous empêche d’aller dans certains endroits, parce qu’on n’a pas cette théorie…” réfléchit-il à voix haute. Et de se marrer : “Bon, ça c’est la théorie des gens qui n’ont pas fait le conservatoire et qui disent ‘Oui, mais nous, au moins, on est totalement libres !’”
Une liberté qui se vérifie toutefois lorsque les deux se rassemblent pour composer : Joseph tâtonne, pendant que Samson est assis sur le lit, à noircir son carnet. “Les idées viennent en construisant : on va poser des accords, puis des bases rythmiques pour qu’il ait des appuis pour écrire… On essaie de poser des voix assez vite, on échoue souvent”, raconte Joseph. “On essaie d’avancer en parallèle”, complète Samson, “on est souvent d’accord, mais il y a des allers-retours”. Une manière de travailler que le chanteur trouve “rassurante”, lui qui se greffe souvent aux propositions de son acolyte.
“On aime tellement le process d’écriture, on ne pensait pas trop à l’après”
“Dans le prochain morceau qui va sortir, il a carrément fait une petite descente à la Beethoven pour le drop du morceau”, glisse Samson, tout en nous offrant la primeur de l’écoute du titre en question. “Des descentes d’accord un peu gothiques, très européennes, mélangées à des rythmiques disco, par exemple, c’est le genre de trucs qui peuvent me faire pas mal marrer”, commente Joseph.
Après avoir passé un an à composer, vient donc pour eux le moment de “proposer à un public [leur] travail” : “On aime tellement le process d’écriture, on ne pensait pas trop à l’après”, admet Samson. Si tous deux appréhendent un peu cette nouvelle étape, les concerts semblent être un bon remède pour prendre confiance. Dernier exemple en date : La Maroquinerie, le 27 mai dernier, où ils ont assuré la première partie de leur ami, James Baker. “Il y avait littéralement 500 personnes qui n’avaient jamais entendu nos chansons […], notre but c’était de les embarquer, et quand on a eu leur attention, c’était trop bien”, se félicite Samson.
Avant de reconnaître que “La Boule Noire, ça va être déjà plus stressant” – salle de concert qu’il investira avec Joseph à l’occasion des Inrocks Super Club, le 26 juin prochain. Un lieu où, pour son premier passage avec Bolides, “[il avait] fait une crise d’appendicite deux jours avant”, s’amuse-t-il. Une approche de la musique viscérale, décidément.
En concert le mercredi 26 juin, à la Boule Noire (Paris XVIII), dans le cadre des Inrocks Super Club.