Les scientifiques échouent à percer les mystères du lac d'Issarlès

Les chercheurs devront patienter encore un peu afin de connaître les secrets du lac d’Issarlès, en Haute-Loire. L’opération scientifique qui avait débuté le 1er juin dernier devait permettre de prélever les sédiments accumulés au fond du lac. Des problèmes techniques avec les carottiers ont mis en échec le projet de sondage au grand dam de l’équipe du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) qui est repartie bredouille.

Une vraie prouesse technique allait se produire au large de l’étendue d’eau aux eaux miroitantes : un carottage scientifique par 108 mètres de profondeur (Issarlès est le troisième lac le plus profond de France derrière le lac Léman et le lac du Bourget) pour sonder 30 mètres d’archives sédimentaires racontant 50.000 ans d’histoire géologique.

Le pari paraissait risqué mais tellement alléchant pour les scientifiques qui recherchent depuis plusieurs années les origines du lac. Tout avait été mis en place pour son succès : le montage d’une barge flottante pendant deux jours avant sa mise en eau sur des points précis que les études préalables avaient identifiés. EDF avait même garanti que le niveau de l’eau, condition essentielle, n’allait pas bouger pendant l’expérimentation. Patatras. Un premier incident s’est produit au cours de la première semaine (le projet s’étalait sur deux semaines) : Le tube creux contenu dans le carottier ne remontait pas les colonnes de dépôts en raison d’une panne du piston. Un deuxième carottier était dépêché sur les lieux la deuxième semaine. Deuxième incident : une pièce s’est cassée.

« Nous avons été trahis par le matériel à deux reprises. C’est vraiment la faute à pas de chance », s’exclamait Jean-Paul Raynal, archéologue et chercheur au CNRS qui fondait beaucoup d’espoirs dans cette opération aux côtés d’Emmanuelle Defive, maître de conférences à l’université de Clermont-Ferrand, et d’une équipe composée d’une petite dizaine de chercheurs. Un mauvais coup porté à la recherche d’autant plus que l’on était sur la bonne voie de l’objectif recherché. Jean-Paul Raynal, archéologue et chercheur au CNRS (à droite) aux côtés d’Emmanuelle Defive, géologue, et de la maire de la commune Laurence Prévost.  

Pour la commune du Lac d’Issarlès et sa maire Laurence Prévost, la déception est grande. L’histoire du lac enfin mise au grand jour allait faire rayonner encore davantage son attrait. En guise de consolation et d’encouragement, la municipalité avait offert la dernière semaine un lunch à tous les membres de l’équipe. Il a fallu se rendre à l’évidence. Le lac n’allait pas livrer ses secrets, du moins pas cette fois. Car les chercheurs ne comptent pas en rester là et reprendront l’exploration l’an prochain : « ce n’est que partie remise. Même si le coût est important, de l’ordre de 42.000 euros, nous avons une obligation de résultat et donc de revenir avec du matériel plus performant », indiquait Jean-Paul Raynal.

Pourquoi une telle persévérance des chercheurs?? Le cratère formé il y a 55.000 ans exactement a été rapidement occupé par un lac dans lequel des dépôts s’accumulent depuis en couches empilées de la plus ancienne à la base à la plus récente au sommet. Les pollens, charbons, débris végétaux, débris de l’érosion, cendres volcaniques, présents dans ces dépôts permettent de raconter l’histoire des milieux et des paysages, du climat, de la végétation, du volcanisme local et régional, et des activités humaines à l’échelle des 50 à 60 derniers milliers d’années.

Après une expérience concluante de carottage en 2020, les chercheurs ont fait appel l’an dernier à la robotique d’exploration. Plusieurs sortes de drones (aérien, sous-marin et de surface) avaient été utilisées pour réaliser une topographie sous-marine.Le carottage est réalisé à bord de la barge.  

En 2020, des chercheurs de Clermont-Ferrand, Bordeaux et Toulouse avaient déjà réalisé un carottage à 108 mètres. Il avait fallu déployer les grands moyens pour effectuer un prélèvement de sédiments sur 7 mètres de profondeur. Jamais aucun carottage n’avait été entrepris à une telle profondeur.

« Les premiers sonars de profondeur montraient qu’on dispose de trente mètres de sédiments au fond du lac bien stratifiés », expliquait Jean-Paul Raynal.

D’où l’intérêt d’aller encore plus loin dans les recherches d’autant plus que le premier carottage sur 7 mètres avait soulevé de nouvelles questions. « Le projet visait à carotter la totalité des trente mètres en deux endroits en quinconce afin d’évaluer la totalité des dépôts », explique M. Raynal.

« La carotte de 2020 s’arrête à 8.000 ans. La carotte à 30 mètres permettra de valider la datation de 55.000 ans », expliquait pour sa part Emmanuelle Defive. Les premiers sept mètres de sédiments prélevés en 2020 avaient permis d’observer une grande quantité de sable dans la séquence. Des arrivées exceptionnelles de charbon et de pollen ont provoqué l’inversion des dates. D’où la conclusion que seuls des séismes ont pu produire de tels tressaillements en bouleversant la stratigraphie. Cela serait à peine surprenant quand on sait que nous sommes situés dans une zone sismique importante. Le séisme du Teil du 11 novembre 2019, à moins de 50 km à vol d’oiseau du lac, en est la preuve. Au XVIIe siècle, un événement de la sorte avait déjà été observé.

« La carotte à 30 mètres permettra de valider la datation de 55.000 ans » Des jeunes volcans d’Ardèche comme la Vestide du Pal, non loin, sont peut-être enregistrés dans ces sédiments. L’une des interrogations vient du fait que nous sommes en plein dans la période de l’homme de Néandertal qui parcourt depuis belle lurette le Massif Central. Aurait-il été témoin de ces éruptions?? Cela est fort probable.Les sédiments à l’intérieur de la carotte.  

Cette opération de 2024, même avortée, n’aura pas été complètement inutile : « nous avons pu effectuer des petits carottages sur 4 mètres de profondeur, dans les niveaux supérieurs du fond qui confirment les premiers relevés de 2020. Le bilan n’est pas encore complètement exploité. Une thèse est en cours d’élaboration », poursuivait M. Raynal.

Les scientifiques ont également relevé la présence de césium 137 qui provient des nombreuses explosions atomiques dans le monde en 1963 mais aussi de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl.

Le lac a joué un mauvais tour aux chercheurs qui sont loin encore d’avoir exploré les abysses du site naturel :  « Nous reviendrons », ont lancé les scientifiques en quittant les bords de l’étendue qui continue de baigner dans une aura de mystères.

Jérôme Bay