"Il a parlé mais on n'a pas écouté" : le marché de Riom-ès-Montagnes, difficile exercice de style pour les candidats aux législatives

Sur les terres pompidoliennes de la deuxième circonscription du Cantal, le marché est encore un lieu politique. Les candidats profitent de ces rassemblements pour approcher des électeurs dispersés sur ce vaste territoire. Reportage, hier matin, à Riom-ès-Montagnes.

Les produits sont bien rangés dans les étals. Ici des fromages, là de la charcuterie. Il n’est pas 8 heures et le marché de Riom-ès-Montagnes s’éveille. Plusieurs fois, déjà, le policier municipal est passé. Et il repassera. Agnès, Régis et Christelle vont prendre un café chez Paulette, juste en face, regard en coin vers leur stand.

En cette veille de premier tour des législatives, ils savent qu’ils verront passer les candidats de la deuxième circonscription du Cantal. « Ils viennent, font un tour et s’en vont », décrit Christelle.

À chaque élection, on les voit, note Régis. Après, pendant le mandat, on ne les voit plus…

« On ne les rencontre qu’aux élections, abonde Guy, en train de ranger ses barquettes de fraises et de girolles. Avant, on avait un contact avec notre député. Maintenant, c’est système D. » L’homme écume les marchés de la Corrèze voisine. Il rit : « J’ai passé la semaine avec François Hollande ! »Le café se termine, la foule se fait plus dense. Chacun regagne son étal. « En tout cas, ça ne nous emmène pas du monde, termine Agnès. Depuis quinze ans que je fais les marchés, c’est comme ça. Les gens arrivent sur la place, ils voient les politiques et hop !, ils font demi-tour. Ce n’est pas un spectacle… Moi, je suis là pour bosser ! »

« Business is business », répète Vladimir Tilmant-Tatischeff, à chaque fois qu’il quitte un stand pour laisser la place aux clients. Arrivés vers 9 heures avec son suppléant Jean-Michel Boucart, ils ont pris un café chez Paulette, aussi, avant d’aller à la rencontre des producteurs. Il reprend patiemment les électeurs qui le catalogueraient trop vite Renaissance.

Non, je viens du MoDem

Majorité présidentielle, en tout cas. « Pour moi, rien n’a changé depuis les manifestations des agriculteurs, soupire un producteur de fromages. Il y a eu des promesses mais je n’ai rien vu arriver. Les coûts de l’énergie augmentent. Pour moi, l’électricité, c’est 1.500 € par mois, incompressible, avec les frigos, alors qu’avant c’était 800 €. Il n’y a que les panneaux solaires qui pourraient faire baisser la facture, mais ça voudrait dire réinvestir, encore, alors que j’en ai déjà jusque-là… »

Le candidat n’a pas de tracts, juste un petit carnet avec une couverture en cuir, qu’il sort parfois. Il tente : « Chez les Belges, ça a été bien pire, les prix ont triplé… » Sans succès : « Si ça triple, moi, je m’en vais. » Un client arrive, le candidat s’éloigne : « Business is business ! »L’agriculteur reste : « Mon choix était déjà fait avant. On leur dit ce qu’on ressent, cela ne peut pas faire de mal, mais on ne me convainc pas en me serrant la main. »9 h 30, avec les militants

Au rond-point du Coudert, la candidate du Nouveau front populaire Zoé Pébay n’est visible que sur les tracts distribués par des sympathisants. Inlassables, inusables, ils tentent leurs chances avec tout le monde. Poliment, la plupart prennent le prospectus et le mettent dans le cabas. Certains s’arrêtent, discutent un peu. Une minorité refuse, plus ou moins vertement. À Riom, cela se passe bien.

Touché, un militant soupire :

J’ai 77 ans et j’ai toujours été engagé auprès des ouvriers. La dernière fois, j’ai été traité d’antisémite. Moi, antisémite… Il y a quelque chose qui a lâché, les gens osent dire plus de choses.

Un bruit passe vite dans la foule. « Vous n’avez pas honte !, s’exclame un passant, à côté de Vladimir Tilmant-Tatischeff. Vous venez fanfaronner, comme ça, vous prenez 7.000 € par mois et vous mettez le pays à feu et à sang ! »

Sa compagne le tire par la manche, l’emporte à l’écart du marché. « Je ne suis pas le député sortant. Je travaille, moi ! », essaye le candidat MoDem, sans parvenir à nouer un dialogue qui semble impossible.

Il est rejoint par deux adversaires du premier tour. Louis Toty, divers droite, et Jean-Yves Bony qui s’est détaché du parti Les Républicains quand Éric Ciotti a annoncé une alliance avec le Rassemblement national. Les uns et les autres se saluent, de manière parfaitement républicaine.Le dermatologue dit traverser le marché pour se rendre à son cabinet, mais n’a pas oublié de prendre ses tracts et les distribue en personne. Maire de Trizac, déjà candidat en 2022, il avait terminé en tête dans cette ville où il a implanté une partie de son activité libérale. Le tour du marché est un exercice de style, aux résultats incertains, même pour le local de l’étape. « C’est mon maire, mais je ne voterai pas pour lui, lâche un Trizacois, impitoyable. On vote au niveau national, on votera utile. »

Un autre, au sortir d’une discussion avec Vladmir Tilmant-Tatischeff, a le même discours. « Ce n’est pas ici qu’on fait la loi. Il y a des gens qui confondent le national et le local. » Il a apprécié apprendre que le candidat MoDem n’était pas parachuté : il est installé au Vigean depuis de nombreuses années. Mais si la discussion a été agréable, il n’est pas convaincu :

Il a parlé, on a dit oui mais on n’a pas écouté. On est polis. Mais c’est déjà décidé…

Les militants NFP sont partis et le soleil commence à cogner fort. Jean-Yves Bony, lui, répète sa différence, en bras de chemise, inlassablement. Ni Le Pen ni Macron, « j’étais partisan de faire une motion de censure », rappelle-t-il. Il est venu avec Valérie Cabecas. Maire de Valette, présidente du Pays gentiane et conseillère départementale à ses côtés, elle était également son assistante parlementaire jusqu’à la dissolution.Le duo est efficace : à eux deux, ils tutoient tout le marché et freinent ceux qui le voient déjà vainqueur dimanche. Il se méfie, note que l’ambiance a changé. « Aujourd’hui, on ne s’est pas fait attraper, dit-il à une Riomoise. Hier, en ville basse à Saint-Flour, c’était parfois tendu. »

S’il a été égratigné, c’est plutôt par Louis Toty. Les deux se revendiquent d’une droite républicaine, indépendante. Dans une vidéo sortie le matin même, le médecin est acide : « Être notre représentant, c’est travailler, s’investir pour le territoire. Il ne s’agit pas de participer uniquement à des fêtes du dimanche ou à des kermesses. Il faut s’investir à l’Assemblée nationale et travailler. »

Touché. Jean-Yves Bony l’a pris pour lui. Les deux s’expliquent. « Je lui ai dit que les inaugurations et les fêtes de village, c’était l’endroit où l’on prenait le pouls du pays. Je lui ai aussi dit qu’à l’Assemblée nationale, je n’avais raté que deux semaines pour raisons médicales et que j’étais rapporteur d’une mission d’information sur le rôle du pastoralisme dans l’aménagement du territoire. »Les exposants qui, le matin même, disaient qu’ils ne voyaient les candidats qu’aux élections ? « Je l’entends aussi… La circonscription est grande. Quand on est à Saint-Urcize, on n’est pas à Pleaux en même temps. »

En attendant, d’ici dimanche, il occupera le terrain. Le pouls du marché de Riom est régulier, presque sans éclats de voix, loin du tumulte. À chaque fois, les passants ont écouté, contrits. Tous ont regretté « la pagaille » qui entoure ces élections, en craignant le lendemain car « ça ne se terminera pas sans que ça tourne au tragique », sent l’un.

« Il faut être tolérant avec les idées de tout le monde, sermonne une dame qui s’appuie sur son cabas à roulette. Mais bon, les extrêmes, quand même… Il y aura bien des manifestations après les élections, le 7 juillet. Mais moi, je n’irai pas, j’ai passé l’âge ! »

Pierre Chambaud