Territoires zéro chômeur de longue durée dans le Puy-de-Dôme : " Je me sens utile au sein de la société"
Mère célibataire, problèmes de santé, licenciement économique à un âge avancé, atteint d’un handicap, déscolarisation… Autant de situations qui peuvent éloigner les individus de l’emploi. Afin de pallier ces situations, l’État a mis en place l’expérimentation « Territoire zéro chômeur longue durée » (voir ci-dessous). En novembre 2022, le quartier des Vergnes à Clermont-Ferrand et Gerzat se lançaient dans cette expérimentation via trois entreprises à but d’emploi (EBE).
Parmi elles, les Jardins solidaires à Gerzat, qui avaient alors commencé leur activité avec du maraîchage en agriculture biologique et de la logistique à l’aide alimentaire. C’est d’ailleurs cette structure qui avait été présentée en grande pompe lors de l’inauguration du dispositif expérimental il y a presque deux ans.
À cette occasion, nous avions rencontré Maturafi Halifa, surnommé « Matu », Mahorais d’origine et qui avait jonglé auparavant entre formation, petits boulots et chômage, depuis son arrivée en France, il y a plus de vingt ans. Aujourd’hui, il est toujours salarié aux Jardins solidaires et il a vu les lieux qui n’ont eu de cesse d’évoluer.
« Au départ, nous travaillions sur une surface d’un hectare. Elle est de deux aujourd’hui et nous devrions bientôt acquérir encore un hectare supplémentaire. Quant à la récolte, elle est passée de 15 à 20 tonnes en un an. »
Plus d'activités et de salariés au fil des moisAutre chiffre significatif, les Jardins solidaires sont passés de 8 à 18 salariés et l’activité s’est aussi diversifiée. « Nous sommes en capacité d’intervenir sur des chantiers agricoles. Nous faisons de la prestation de services ponctuelle auprès d’agriculteurs en désherbant, en récoltant… Nous opérons également en logistique pour Auvabio et 63 Saveurs, des associations de producteurs. »
De quoi donner le sourire à Matu, qui a toujours aimé travailler avec la terre et qui avait même reçu les honneurs de Jacques Chirac, alors Premier ministre, en visite à Mayotte. « Quand j’étais paysagiste là-bas, j’avais planté de belles fleurs à l’aéroport et à la préfecture. Elles y sont toujours », raconte-t-il en souriant.
Aux Jardins solidaires, on voit souvent Matu avec une débroussailleuse ou une tondeuse en main. Sa spécialité : gérer les abords des serres. Et avec autant d’années d’expérience, il est ravi de transmettre son savoir-faire à des jeunes salariés, à l’instar de Tanguy.
Ce jeune homme, âgé de 21 ans, est arrivé depuis peu au sein de l’entreprise : « J’étais en apprentissage boucherie et j’ai arrêté, je ne m’y retrouvais pas. Ici, je me plais. Je travaille dehors, je plante, je récolte, je monte les serres… J’apprends de nouvelles choses et j’ai envie de continuer. Et puis, il y a une bonne ambiance avec les collègues. »
Parmi eux, Rémy, qui a été déscolarisé et qui souhaite monter sa propre exploitation agricole, ou encore Martin, ancien salarié dans la logistique et le transport, victime d’un AVC et qui, après sa rééducation et une reconversion, faisait des remplacements « à droite à gauche » dans le domaine agricole. « Aujourd’hui, j’ai un travail fixe. C’est un soulagement. »
Toujours dans la commune de Gerzat, mais de l’autre côté de la ville, Isabelle prend en photo des vêtements et des objets que ses collègues de Job’Ebe ont trié en amont ou ont eux-mêmes fabriqué.
Utiliser les idées des salariésCette mère célibataire de trois enfants a accumulé les petits boulots et les compétences avant d’être embauchée dans cette EBE « où elle s’épanouit pleinement ». « Elle a apporté un vrai vent de fraîcheur ainsi que des idées, et grâce à elle, nous avons pu développer la partie vente en ligne », explique Antoine Marguerie, responsable des chantiers d’insertion et des EBE de Job’Agglo.
Car à la base, Job’Ebe a pour activité principale de trier des encombrants et de les rediriger vers une filière de recyclage adaptée afin d’être valorisés. Elle possède également une branche espace vert.
« Mais grâce à l’engagement et aux savoir-faire des salariés, l’entreprise a pu varier ses activités, nous avons donc cette partie vente en ligne et des salariés qui fabriquent des objets avec des pièces recyclées. Il y a des repose-verres, des arbres à chats, des lampes… »
Et celui qui a la main bricoleuse et la tête remplie d’idées pour ça, c’est Pascal, pour qui il a toujours été important « de s’investir dans son travail ». Malheureusement, l’entreprise pour laquelle il a travaillé durant des années a dû fermer ses portes. Un coup dur pour cet homme, à qui il a été par la suite compliqué de retrouver un emploi, et sa confiance. « Ici, sa situation s’est donc améliorée. Nous avons différents profils. Il y a des personnes qui vivent un isolement social et par le travail, ils reprennent confiance et ils se sentent valorisés, reconnus. Mais il faut justement savoir combiner tous ces talents en fonction de leur culture, de leurs problèmes personnels, leur milieu familial ou de l’humeur du jour », indique Antoine Marguerie.
Malgré tout, l’alchimie de ces personnalités, parfois extrêmement différentes, arrive à fonctionner. Depuis peu, cette EBE propose aussi de recycler les pneus jantés abandonnés pour Clermont Auvergne Métropole. « Nous avons investi dans un démonte-pneu hydraulique et fait monter en compétence les salariés », détaille Jean-Baptiste Arroquy, encadrant technique de la structure.
La vocation de donner un emploiÀ quelques kilomètres de là, toujours dans le nord de la métropole clermontoise, le quartier des Vergnes où est installé Insercoop, une autre des EBE du « Territoire zéro chômeur de longue durée ». Le ciel est gris et la pluie bat son plein. Mais la joie de Laaziza est un véritable rayon de soleil. Cette femme, mère célibataire avec deux enfants à charge, est là depuis le début de l’aventure. « Auparavant, j’ai été préparatrice de commande de 5 heures à 11 heures et j’enchaînais ma journée en tant qu'animatrice dans les écoles jusqu’au soir. J’ai aussi travaillé dans un cabinet d’expert-comptable. Mais tout ça, ce n’était pas évident avec ma vie de famille. Là, j’ai un emploi stable près de chez moi, avec des horaires qui sont compatibles avec l’aspect personnel. Et puis ce qui me plaît aussi, c’est la polyvalence du poste. »
En effet, ici, on protège des livres, on les pilonne, on met en vente ceux qui peuvent avoir encore une deuxième vie et on anime des ateliers pour donner le goût de la lecture. « Nous avons un bilan très positif depuis la création de l’EBE il y a presque deux ans avec des salariés engagés et des clients comme la médiathèque départementale et celles de Clermont Auvergne Métropole. Nous avons développé des activités et créé de nouveaux emplois au fil des mois », se réjouissent Caroline Guittard, directrice opérationnelle, et Joëlle Chelle, directrice d’Inserfac.
Alhem fait justement partie des derniers embauchés après deux ans de chômage. Arrivée de Tunisie il y a dix ans, « il était important pour elle de travailler, étape incontournable pour son intégration en France, mais aussi d’assouvir le besoin de se sentir utile au sein de notre société et de montrer l’exemple à ses enfants. »
« Il faut un équilibre économique, certes, mais le but est avant tout de faire travailler les gens, c’est notre vocation. », affirme Christophe Bonaldi, co-directeur du Groupe Job’agglo. L'objectif est atteint.
1. Le principe par la loi L’objectif de cette expérimentation qui résulte tout d’abord de la loi du 29 février 2016 puis de celle du 14 décembre 2020, est de démontrer qu’il est possible, à l’échelle d’un territoire, de mobiliser l’ensemble des acteurs au service du droit à l’emploi et de créer des postes supplémentaires dans des entreprises à but d’emploi (EBE), sans concurrencer les professionnels existants. Ces embauches donnent lieu à des contrats à durée indéterminée, à temps choisi et adaptés aux compétences des personnes privées d’emploi. Ces emplois en EBE sont subventionnés par l’État ainsi que les Départements en partant du principe qu’il est moins coûteux financièrement et socialement de soutenir l’emploi que de verser des allocations-chômage, puisque cela ne génère pas de dépenses liées à l’inactivité et que le salarié gagne en pouvoir d’achat pour consommer sur le territoire.
2. Le fonctionnement Les comités locaux pour l’emploi accueillent les personnes volontaires pour se lancer dans cette expérimentation et définissent avec elles, via des entretiens et des ateliers, le poste idéal pour eux.
3. La situation En France, ce sont 68 territoires qui se sont lancés dans cette expérimentation avec 75 entreprises à but d’emploi rassemblant 3.000 personnes en CDI. Sur le territoire de Clermont-Les Vergnes/Gerzat, ce sont 45 salariés en CDI intégrés dans trois entreprises à but d’emploi. À Thiers, ce sont 190 salariés dans quatre EBE.
4. Le constat « Il y a des personnes qui sont sorties de la précarité, qui ont retrouvé une dignité, qui ont pu s’émanciper », insiste Nadia De Sousa Khamallah, adjointe à la ville de Gerzat. « On sent que pour chacun d’entre eux il y a cette volonté du travail bien fait », assure Sondès El Hafidhi, adjointe chargée de l’économie sociale et solidaire à Clermont-Ferrand.
5. L’avenir D’après la loi, cette expérimentation prendra fin en 2026. « Il peut y avoir des évolutions notables, mais il est nécessaire que cette expérimentation aboutisse à une nouvelle loi pour la transformer en un dispositif pérenne », insiste Sondès El Hafidhi.
Renseignements pour être volontaire « TZCLD » Tiago Koch - Tél. : 04.73.25.00.14.
Stéphanie Merzet