La tragédie de Jean sur scène

Trente ans après sa création, la pièce À propos de Jean a conservé toute sa force et sa charge émotionnelle. Avec une machinerie théâtrale mise au point par Daniel Rondepierre et des comédiens d’une remarquable efficacité qui ont enchanté le public jeudi soir.

Jeudi soir, dans un théâtre plein à craquer, les comédiens d’ATSF Atéobol ont assuré le succès de la reprise de  À propos de Jean , qui, trente ans après sa création, a conservé toute sa force et sa charge émotionnelle.

Autour de la belle figure de Jean Zay, la pièce évoque l’atmosphère des années d’occupation, dans un pays divisé, travaillé par la peur, la lâcheté, la haine, la colère sourde et bientôt ouverte. Le dispositif scénique adopté fait défiler comme autant de vignettes situations et figures emblématiques : collabos et résistants, notables du régime fantoche, exécutants et victimes. Nul didactisme pourtant, parce que tout est suggéré, illustré par petites touches et incarné dans les personnages.

Mais le spectacle raconte aussi la tragédie d’un homme dont le sort est inexorablement lié à l’enchaînement des événements et à l’exaspération de la haine qui conduit à son assassinat.

La machinerie théâtrale mise au point par Daniel Rondepierre est d’une remarquable efficacité, servie par les comédiens dont il faut saluer l’énergie. La grande réussite de ce travail tient à sa chorégraphie et à son rythme, à cette alternance des tons qui passent du grave au grinçant, du tragique à la farce. La mort rôde sur la scène, même si cela passe, par instants, à un air plus léger avec les chansons de l’époque sur lesquels l’on dansait dans ces bals clandestins interdits par les autorités.

Daniel Rondepierre pratique un théâtre émi- nemment civique, qui se nourrit de notre culture commune. On retiendra ce moment où, sur la scène plongée dans la pénombre, les comédiens se dépouillent de leurs vêtements, qu’ils déposent sur un plateau, ne conservant que des tenues en blanc et, dans une sorte de ralenti, poussent en dehors de la scène ce chariot improvisé. Ces formes blanches qui s’agitent en silence avec pour seul accompagnement un air de Bach joué au piano par la jeune Marie-Christine, 9 ans, passent comme les fantômes qui ne cessent de hanter nos mémoires depuis 80 ans.