"Je suis le dernier à avoir vu Antoine Mosnier vivant et surtout agonisant", témoigne Paul Dautraix, 80 ans après les faits
Paul Dautraix prend une grande inspiration, les yeux presque clos. Le moment compte pour lui, face aux 29 délégués du collège de Saint-Georges-de-Mons (Puy-de-Dôme) venus écouter son récit dans la salle des fêtes de la commune, devenue subitement un confessionnal, 80 ans après des faits qu’il évoque avec une extrême précision. "Ce que j’ai vu, je souhaite que vous ne le voyiez pas", prévient-il, d’une voix bien appuyée, sans aucun tremblement.
Et quatre-vingts ans après, sa mémoire refait le chemin inverse pour retrouver Villemorie, commune de Saint-Angel où il a vu le jour un 15 novembre 1935.
Un hameau natal et cette maison qui fait l’angle sur la route de Charbonnières dont il n’a rien oublié. Pour le meilleur et surtout, ce jour-là, pour le pire.
"Je vais vous raconter ce que j’ai malheureusement vu et ce que je n’ai jamais oublié…, débute-t-il. Je suis le dernier à avoir vu Antoine Mosnier vivant et surtout agonisant. Presque mort."
"Beau comme aujourd’hui"Ce jour du 2 juillet 1944, il fait beau, "comme aujourd’hui" et 9 heures viennent de sonner que des camions allemands, "peut-être une quarantaine", font leur entrée dans le bourg paisible. Le petit Paul est dans son lit lorsque les Allemands en descendent. "Je me suis levé et je suis resté derrière les carreaux où je voyais tout ce qui se passait", raconte-t-il, décrivant ces persiennes qui dissimulent alors son regard. A-t-il eu peur ? "Il me semble que non", sourit Paul Dautraix.
L’occupant cherche alors plusieurs résistants, parmi lesquels M. Corner, "un enfant de l’assistance", M. Guignabodet, M. Taconnet "dont on n’a jamais su d’où il venait" et qui parvint à prendre la fuite, malgré les tirs, dans un champ de blé quand il a vu le convoi arriver. Et enfin, Antoine Mosnier qui vivait là avec sa mère, Hortense, veuve de guerre.
Réfractaire au STOTrahi par ses plus proches voisins, indicateurs de la Milice, ce réfractaire au STO, entré dans la Résistance au sein d’un groupe de sédentaires des MUR (Mouvements Unis de la Résistance), maquis de Saint-Gervais, chargé du placement et de l’hébergement des réfractaires, tente de prendre la fuite. Hélas, handicapé par une blessure au genou contractée quelques jours auparavant en tuant un veau, il est vite repris.
Deux Allemands sont venus le chercher, l’ont pris par les bras et l’ont conduit sous ma fenêtre de chambre
« Une horreur »Plaqué au mur, la torture du résistant commence afin d’obtenir des informations sur le maquis de Youx. "Je voyais tout ce qui se passait… Une horreur", lâche pudiquement Paul Dautraix. Les coups de crosse se succèdent sur le malheureux, sans cesse remis debout par ses tortionnaires."Ça a duré… Je ne peux pas vous dire, peut-être 15 ou 20 minutes mais ça a été horrible", avoue Paul Dautraix. Presque mourant, le résistant est finalement chargé dans un camion et emmené dans les bois de Genestines où il est abattu.
La suite, le jeune Paul Dautraix l’a vu, entendu et recueilli auprès des membres de sa famille. Le même jour, vers 13 heures, des résistants arrivent au village pour chercher Madame S., sa fille Solange, et Monsieur P., collaborateurs, suspectés d’avoir vendu Antoine Mosnier. "Ils les ont pris et emmenés à un kilomètre de la maison, à la Boucheratte, dans un ravin", relate Paul Dautraix. Monsieur P. est abattu tandis que Madame S. est laissée pour morte, blessée à l’estomac.
Une agonie à la cime du village"Solange a pu partir mais on n’a jamais su ce qu’elle était devenue", explique Paul Dautraix. Une fois les résistants partis, Madame S. a pu se relever et gagner la maison voisine des Chabrat pour demander un verre d’eau. Anna Chabrat lui aurait répondu "qu’un verre d’eau ne se refuse pas".Grièvement blessée, Madame S. gagne ensuite la cime du village, accompagnée de son petit chien, Kleber, où elle va agoniser dans une meule de paille. "Vers 19 heures, son chien a été retrouvé par les résistants qui les a amenés vers sa maîtresse", ajoute Paul Dautraix. Son agonie est abrégée par les résistants.
" Il ne faudrait pas que ça recommence. C’est pour cela que les commémorations sont nécessaires. J’ai un peu le regret qu’on ne voit pas plus d’enfants aux monuments aux Morts. Il faut leur dire que si nous sommes là, c’est grâce à ceux qui sont morts pour nous. Antoine avait 24 ans… "
Trois semaines plus tard, des miliciens investissent Villemorie et fouillent chaque maison dont celle du jeune Paul. "J’avais une tirelire en plâtre représentant un forgeron. Ils l’ont cassé au milieu de la cuisine avant de remuer la maison de fond en comble". Ils ne trouvent rien et surtout pas la capote de résistant dissimulée dans un lit par M. Taconnet qui venait de temps à autre coucher à la maison.
Une jeunesse à l'ombre des martyrs du 9 juin 1944 à Tulle
À la prison de RiomDeux maisons de résistants sont incendiées tandis que plusieurs habitants du village, dont le père et le grand-père de Paul, sont réunis dans une cour avant qu’un tri ne soit fait. Certains sont relâchés, d’autres emmenés vers Saint-Angel puis à la prison de Riom pour y être interrogés et relâchés ou envoyés à Clermont. "Mon père est resté à la prison où il a été délivré par les Américains", conclut Paul Dautraix.
Antoine Mosnier, mort à 24 ansNé le 6 septembre 1920 à Saint-Angel, Antoine Mosnier avait 24 ans lorsqu’il fut torturé puis exécuté par les Allemands, le 2 juillet 1944, à Saint-Angel. Terrassier aux Ponts-et-Chaussées, il a habité route de Châtel-Guyon à Riom avant de gagner Villemorie à Saint-Angel avec sa mère, veuve de guerre, son père ayant été tué durant les combats de la Première Guerre mondiale. Réfractaire au STO, il est entré dans la résistance au sein d’un groupe de sédentaires des Mouvements Unis de la Résistance, maquis de Saint-Gervais. Il était en charge du placement et de l’hébergement des réfractaires. Antoine Mosnier a été reconnu « Mort pour la France », homologué FFI pour la période du 10 novembre 1943 au 2 juillet 1944. Le 6 mai 1955, il a reçu à titre posthume la carte de Combattant volontaire de la Résistance. Son nom a été inscrit sur une stèle commémorative à Châteauneuf-les-Bains ainsi qu’au monument aux Morts de Saint-Angel.Sources : https://maitron.fr/spip.php?article199335, notice Mosnier François, Antoine par Eric Panthou.
Ses yeux se ferment à nouveau. Comme recueilli et apaisé d’avoir livré son témoignage dont jamais l’occasion ne lui avait été donnée de le faire publiquement, avant l’invitation du maire de Saint-Georges-de-Mons, Julien Perrin, présent à ses côtés. "Il ne faudrait pas que ça recommence, reprend-il, plus grave et d’une voix à l’énergie singulière. C’est pour cela que les commémorations sont nécessaires. J’ai un peu le regret qu’on ne voit pas plus d’enfants aux monuments aux Morts. Il faut leur dire que si nous sommes là, c’est grâce à ceux qui sont morts pour nous. Antoine avait 24 ans…"
Une stèle dédiée à Antoine MosnierUne vie figée dans l’éternité du sacrifice, par la torture que Paul n’a jamais oublié en 80 ans, proposant l’installation d’une stèle dédiée à la mémoire d’Antoine Mosnier, en 1989. Et s’il n’habite plus la maison aux persiennes, l’octogénaire la revoit exactement, jusqu’à ces gouttes de sang qui avaient marqué l’ancien crépi. "Il ne faudrait pas que ça recommence…", réitère-t-il. Aucun enfant de 9 ans ne devrait avoir à le vivre à nouveau.
Allemands. La colonne allemande était une section renforcée de la 7e Compagnie du SR 192, commandé par le lieutenant Viebahn, un groupe de mitrailleuse lourdes (13e 192) ainsi que 15 hommes de la milice de Saint-Amand.
François Jaulhac