Ils ont édifié des ponts partout dans le monde : à Brive, une exposition retrace l'épopée d'une famille d'ingénieurs corréziens
Ils ont été visionnaires et inventeurs, ambassadeurs du progrès et de la révolution industrielle. Ils ont laissé dans leur sillage des colosses en métal, dont le pont transbordeur de Bilbao, inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco, mais aussi le viaduc des rochers noirs en Corrèze (lire plus bas).
Jusqu’au 15 novembre, les Archives municipales de Brive consacrent une exposition à l’épopée de l’usine des Établissements métallurgiques de Larche. Celle-ci a été fondée en 1921 par un polytechnicien et mathématicien, Gaston Leinekugel Le Cocq dans la continuité de l’entreprise Arnodin, créée en 1872 à Châteauneuf-sur-Loire par son beau-père et « maître spirituel », ingénieur des ponts Fernand Arnodin.
Des ponts, des histoiresEn 2020, les héritiers de l’entreprise corrézienne ont fait un don de plusieurs milliers de documents, dont énormément de photos, aux Archives municipales. Photo : Fabrice CombeEn 2020, les héritiers de l’entreprise corrézienne ont fait un don de plusieurs milliers de documents, dont énormément de photos, aux Archives municipales, concernant les entreprises Leinekugel Le Cocq et Arnodin.
« Ce fonds a une valeur patrimoniale qui dépasse le département, parce qu’il concerne des ouvrages construits dans le monde entier », explique Thierry Pradel, directeur des Archives. Il s’agit d'entrepreneurs importants, connus dans l’évolution des ponts, surtout pour les ponts transbordeurs, devenus avec le temps des jalons patrimoniaux et des attractions touristiques. »
Justement, les entreprises Arnodin et Leinekugel Le Cocq ont réalisé, entre autres, des ponts transbordeurs à Newport, Nantes ou Rochefort, mais aussi des ponts suspendus au Venezuela, en Argentine, au Maroc, au Congo, à Madagascar, en Syrie ou en Chine.
Le plus haut, le plus romanesqueL’entreprise a construit, entre 1908 et 1912, le pont suspendu de Sidi M’Cid en Algérie, 175 mètres de hauteur et 168 mètres de longueur. À l’époque, il était le plus haut pont du monde.
Un pont transbordeur est édifié entre 1896 et 1898 à Bizerte en Tunisie, au sein d’une importante base militaire marine française. L’ouvrage a été démonté en 1907 pour être remonté à l’arsenal de Brest.
Un autre ouvrage sert de toile de fond à la célèbre trilogie de Marcel-Pagnol. Un pont transbordeur, surplombant le Vieux Port, a été construit à Marseille entre 1903 et 1905. Il était équipé d’un ascenseur permettant d’accéder au tablier pour contempler le magnifique panorama sur la mer et la ville. Il abritait même un restaurant. Son pylône nord a été détruit en août 1944 par l’armée allemande. Le reste du pont a été démoli en septembre 1945.
Drames. Deux terribles drames ont touché la famille Leinekugel Le Cocq. En 1931, l’un des fils de Gaston Leinekugel Le Cocq, Jehan, alors jeune directeur d’usine, trouve la mort dans l’effondrement du pont de Saint-Denis-de-Pile en Gironde, à l’âge de 25 ans. Un autre effondrement, celui du pont de Montjean-sur-Loire (Maine-et-Loire) met à son tour à mal l’équilibre financier de l’entreprise de Larche. En 1936, naît la Société de constructions métalliques de la Corrèze à Larche (SCMCL).
Une figure de la RésistanceAux Archives municipales, une exposition raconte une épopée corrézienne. Photo : Fabrice CombePendant la guerre, l’un de ses administrateurs, le troisième fils de Gaston, Xavier Leinekugel le Cocq, deviendra une figure de la Résistance. C’est lui qui prendra la direction de l’entreprise familiale en 1945. Il développera une stratégie offensive de conquête des marchés dans le monde entier, tout en prônant l’usage d’un nouveau matériau, l’aluminium.
En 1948, il perd la vie avec son épouse et un collaborateur proche dans un accident d’avion. Âgé de 81 ans, son père Gaston est de nouveau élu PDG de la société. Il continue ses recherches pour améliorer les ponts suspendus. En 1965, c’est l’un des fils de Xavier, Didier Leinekugel Le Cocq qui prend la direction des Établissements Arnodin. Il développera de nouvelles activités, tout en continuant à exploiter les propriétés de l’aluminium.
En 2002, suite à son départ, l’usine corrézienne a été achetée par l’entreprise Baudin Châteauneuf. C’est la fin d’une saga familiale qui avait marqué la construction des ponts et l’économie corrézienne.
L'extraordinaire chantier de rénovation du viaduc des Rochers noirs en Corrèze
L'exposition "Ingénieurs des ponts, une aventure corrézienne" est visible jusqu'au 15 novembre aux Archives municipales, du lundi au vendredi de 8 h 30 à midi et de 13 h 30 à 17 heures. Entrée libre.
Dragan Perovic