"Peur" d'une victoire RN: une cité toulousaine retient son souffle
Garant son vélo pendant sa pause déjeuner, Coraline, Réunionnaise de 32 ans, a voté pour la première fois dimanche et y retournera le 7 juillet.
"Si on leur laisse la porte ouverte, ça va péter", dit la jeune femme, caissière dans un supermarché.
"Il y aura une guerre civile", poursuit-elle. Une perspective qu'elle ne craint pas et qu'elle "espère" même, pour "qu'on puisse défendre nos droits même si c'est dans la violence", dit-elle avec fougue, gilet de travail rouge sur les épaules.
"Toutes les personnes de mon travail ont aussi voté pour la première fois. On se mobilise!", explique-t-elle.
A quelques centaines de mètres, au pied de l'immeuble où il a grandi avec sa mère, Ryan Lachaïni, 23 ans, d'origine marocaine et réunionnaise, raconte avoir pris aussi dimanche un chemin qu'il ne connaissait pas: celui de son bureau de vote. "Pour faire barrage au RN".
"J'ai peur, ça va être pire", dit cet ouvrier dans un collège, quand il évoque l'hypothèse d'une majorité absolue pour Jordan Bardella. Dimanche prochain, il ira donc voter NFP, en espérant "que les gens se mobiliseront".
Quitter la France ?
Près d'une sortie de métro, Nabil, 30 ans, avale un sandwich avec un collègue. Ce coiffeur algérien installé en France depuis neuf ans ne peut pas voter mais il espère que les Français "feront le bon choix".
"Si je pouvais voter, ce serait pour le parti de Mélenchon", confie-t-il ajoutant: "si le RN passe, je partirais avant qu'on m'oblige à le faire".
Une extrémité qu'évoque aussi sur la place centrale du quartier Safia Abelkerim, vêtue d'un hijab ou encore Leïla, 22 ans, venue d'Espagne il y a quatre ans, et qui y retournera "si ça devient trop compliqué".
"Mal vue, car je porte le hijab", Safia se dit désabusée, n'a pas voté le 30 juin et n'ira pas plus le 7: "on dit que la France c'est Liberté, Egalité et Fraternité, mais c'est faux".
Un point de vue partagé par Patrice, Guadeloupéen de 37 ans pour qui "ce qui se passe est dégueulasse".
"Si ma carte d'identité ne m'était pas utile, je l'aurais déjà brûlée", déclare-t-il, confiant sa "peur" car, dit ce demandeur d'emploi arrivé en métropole il y a douze ans, "je suis un homme ébène".
Beaucoup craignent la libération d'un racisme qu'ils ont déjà dû subir.
"Je suis française, réunionnaise, je n'ai rien à craindre en soi mais je suis quand même couleur très mate, je me suis déjà fait traiter de sale arabe", dit-elle.
"Mauvais regards"
"Ma mère s'est déjà fait tabasser à coups de battes de baseball parce qu'elle est noire, il y a une dizaine d'années. Ces gens-là existent", insiste-elle tandis que Ryan Lachaïni, peau mate et yeux sombres, affirme recevoir depuis quelques jours "beaucoup plus de mauvais regards dans la rue".
"Beaucoup de racistes ne se cachent plus", estime-t-il, racontant qu'un de ses amis "qui travaille dans la fibre s'est fait insulter de +bougnoule+ par un client". "Il a refusé qu'il rentre chez lui".
Sur son banc de la place, Ali, 89 ans, une canne à la main, a lui "toujours voté" et "espéré toute sa vie que les racistes ne passent pas".
Avec un prospectus du NFP qu'il garde en poche, ce Tunisien qui a fait la guerre d'Indochine rappelle: "j'ai combattu pour le pays, mes deux frères sont morts à la guerre. Je me suis pris deux balles", affirme-t-il, pointant son bras droit et sa cuisse gauche.
Dans les bureaux de vote des Izards, quartier jeune (38% de moins de 25 ans) comptant plus de 26% d'étrangers et un taux de pauvreté de 41,8% (selon l'Insee), la députée LFI sortante Anne Stambach a réuni 53,65% des voix.
Sur l'ensemble de cette 2e circonscription de Haute-Garonne qui englobe également des faubourgs plus cossus au nord-est de la 4e ville de France, elle est en tête avec 40,53% des suffrages, dans une triangulaire réunissant également Jean-Luc Lagleyze (majorité présidentielle, 27,91) et Frank Khalifa (RN, 26,41).