Le quotidien d'un chauffeur routier parmi d'autres, sur la route cinq jours sur sept
Olivier Daran, 57 ans, fait partie de la génération d’avant. Celle qui a connu le métier de routier où « on pouvait faire La Rochelle- Bilbao (Espagne) d’une traite. » Alors aujourd’hui, quand ce salarié du Groupe Combronde à Thiers regarde dans le rétroviseur, la nostalgie gagne parfois : "on travaillait plus mais on était plus libre, maintenant on est géolocalisé. Et il y avait une vraie solidarité entre les routiers".Jour et nuit.44 tonnes et 16 tonnes à vide.
Pas de quoi faire lâcher le volant à ce père de famille marié, originaire des Charente-Maritime, et installé aujourd’hui à Augerolles. Après une interruption de carrière de plusieurs années, ce fils de routier, a rempilé, voilà dix ans. "C’est Monsieur Combronde qui m’a débauché. » Une décennie donc que tous les lundis matin, Olivier prend place dans son "44 tonnes et 16 tonnes à vide" qu’il surnomme avec affection "Bijou". Direction, la France entière jusqu’au vendredi soir, sans repasser par la case Augerolles.
Je suis salarié chez Combronde et je travaille aujourd’hui en “location” pour une entreprise d’aluminium à Gannat. Mes missions me sont transmises au jour le jour et je prends connaissance de ma prochaine destination la veille pour le lendemain.
Sur la route cinq jours sur sept, Olivier vit ainsi une grande partie du temps, jour et nuit, dans ces quelque cinq mètres carrés de surface, ceux de la cabine de pilotage. Une cabine qui constitue tour à tour son poste de travail, de détente, sa cuisine et sa couchette. "Je considère cette cabine comme mon appartement et je me déchausse en arrivant." Méticuleux sur la propreté, "ce n’est pas le cas dans tous les autres camions", Olivier a fait le choix de la sobriété quand "certains dépensent jusqu’à 15.000 euros pour les customs".
Derrière le poste de pilotage, les quelques effets personnels, de toilettes essentiellement, sont rangés là aussi méthodiquement au-dessus de la couchette basse, "celle du haut est plus spacieuse mais moins pratique ".
Avec des cartes en papierChaque lundi, c’est muni de son ordre de mission, de changes pour la semaine, d’une trousse de toilettes et d’un sac de nourriture, « on ne sait jamais ce qui peut se passer », qu’Olivier rejoint « son outil de travail. De l’immense zone de stationnement de l’entreprise Combronde qui emploie 1.200 salariés dont 650 chauffeurs (pour 650 camions), le 44 tonnes s’élance pour un long voyage. Il aura parcouru 3.200 km en moyenne en fin de semaine, soit 120.000 km en une année.
Dans l’habitacle, le chauffeur ne boude pas son plaisir, "je ne me lasse toujours pas de regarder le paysage, et puis conduire c’est une forme de liberté, et on a personne sur le dos". Un œil sur la route, « le plus gros danger ce sont les autres conducteurs », un autre parfois sur les cartes routières, "je préfère travailler avec celles en papier, c’est plus fiable et pratique et la hauteur des ponts est indiquée", le conducteur gère aussi son temps à la minute. Pas question de dépasser la durée de conduite journalière (limitée à 9 ou 10 heures). Le chronotachygraphe veille.
Avec la circulation, on ne sait jamais précisément où on va se trouver au moment où il faudra arrêter, alors on ne prévoit pas pour dormir. Ce qui fait notre point de chute, ce sont les heures de conduite. On peut s’organiser une heure avant.
Vient le moment du repos salvateur. Mais sur la route, tout ne roule pas forcément comme on l’avait prévu. "Au niveau de la sécurité, il ne faut pas dormir sur l’autoroute, notamment sur l’A7 où il y a beaucoup plus de brigands depuis 10, 15 ans. Le problème, c’est que sur les réseaux secondaires, ils mettent des cailloux partout pour qu’on ne se gare plus."
Reste les parkings des restaurants routiers, mais beaucoup ont fermé et puis ce n’est plus la même ambiance qu’avant " et Olivier a ses adresses : "Ce qui est sur c’est qu’on mange bien partout en Bretagne ! "
Il faut ensuite à tuer le temps, « parfois je vais marcher un peu » et dans la cabine principalement : "On prépare les papiers, et puis il y a la tablette avec partage de connexion." Quelques heures de sommeil, une toilette sommaire, « au moment du Covid je me lavais dans une bassine », et le voilà reparti. Chauffeur n’est pas un métier, c’est une vie : "Il faut avoir la passion".
Yann Terrat