"J’aime Mickey Mouse plus que toutes les femmes que j’ai connues", déclarait Walt Disney. Au moins, on ne pourra pas lui reprocher des infidélités. A 25 ans, Disney avait pris deux bonnes résolutions : se marier et se laisser pousser la moustache, pour devenir un adulte crédible – tant il est vrai que les célibataires glabres peuvent inspirer la méfiance. Mais ce bon père de famille était-il si exemplaire que cela ? La biographie que lui consacre Olivier Cotte, qui vient de paraître chez Perrin, dresse le portrait d’un homme infantile, lunatique et chauvin, mêlant Peter Pan et Oncle Sam, sur lequel il y a beaucoup à redire.

Né en 1901, le petit Walt grandit dans une ferme du Missouri. Après avoir servi en France, au sein de la Croix-Rouge, pendant la Première Guerre mondiale, il commence de bonne heure dans le dessin et l’animation, d’abord comme publicitaire salarié, puis à son compte comme artiste-entrepreneur. Contrairement à ce que pourrait nous faire croire une légende dorée, les débuts sont très difficiles : se nourrissant uniquement de haricots en boîtes, ce mauvais gestionnaire jongle entre les faillites et les trahisons de ses collaborateurs. En 1928, touché par la grâce, il crée Mortimer Mouse, rebaptisé Mickey. Universal n’en veut pas. Encore un échec en vue ? Non : alors que personne n’y croit, le premier film de la souris fait un triomphe. Pour la petite histoire, rappelons que Mickey choquait – on prêtait à ce macho des gestes inappropriés envers Minnie ! Disney a rapidement civilisé son personnage fétiche.

Les années 1930 sont celles de l’âge d’or pour Disney (avec notamment Blanche-Neige et les Sept Nains), malgré quelques casseroles : en 1938, il fait ainsi visiter son studio à Leni Riefenstahl, à laquelle il veut montrer l’avancement de Fantasia. Si son antisémitisme est une rumeur malveillante, on peut pointer chez Disney une certaine naïveté : s’inscrivant dans la culture populaire, il gardera toute sa vie des velléités avant-gardistes, qui le mettront dans des situations farfelues, comme entre 1944 et 1946 quand il a avec Salvador Dali un projet de film (Destino) qui ne voit finalement pas le jour… De manière moins surréaliste, Disney rejoint en 1944 l’association Motion Picture Alliance for the Preservation of American Ideals, où il siège auprès de la frange la plus conservatrice de Hollywood.

Colérique et imbuvable au bout de cinq scotchs

Volontiers mégalo, ce grand patriote enfoncera le clou en 1955 en ouvrant Disneyland. Ainsi présente-t-il son projet : "Disneyland sera dédié aux idéaux, aux rêves et aux faits concrets qui ont créé l’Amérique." L’inauguration est célébrée par Ronald Reagan, ancien président de la Screen Actors Guild qui se lance alors en politique et doit voir dans le parc un bon soft power. De là à dire que Disneyland est un Puy du Fou du dessin animé et Walt Disney une version pop-corn de Philippe de Villiers…

Sportif (il pratique le golf, le ski et surtout le polo), Disney souffre dès sa quarantaine de problèmes de santé – il faut dire qu’il est soumis à un rude stress professionnel et ne se couche jamais avant 2 heures voire 3 heures du matin. Peut-on se fier à un homme dont le dessert préféré est… le pudding au tapioca ? Les collaborateurs de Disney le présentent comme colérique, friand d’humour scatologique et carrément imbuvable au bout de cinq scotchs. Lui-même, fou de pathos démagogique, assume qu’il n’est "pas un littéraire" et qu’il "aime avoir la larme à l’œil". Il est amusant de se souvenir ici que les films de Disney ont souvent déplu à leur sortie : en 1942, Bambi se fait étriller ; en 1959, l’échec cuisant de La Belle au bois dormant coule les finances du studio. Walt Disney connaît pour la dernière fois la réussite en 1964 avec Mary Poppins. Bien reçue, la comédie musicale aux cinq Oscars rapporte 50 millions de dollars là où elle en avait coûté 5. Là-dessus, Disney caresse quelques derniers fantasmes délirants (s’acheter Ellis Island !) avant de mourir en 1966, à seulement 65 ans.

Notre ère de loisirs et le culte de l’enfant-roi auraient dû favoriser la pérennité de l’empire Disney. Il n’en est rien : en 1984, il enregistre une perte record de 64 millions de dollars. L’entreprise rebondit encore et cette fois pour de bon grâce aux coproductions avec Pixar et aux rachats de Lucasfilm et Marvel, qui font rentrer Star Wars et les super-héros dans son arsenal de films et de produits dérivés. En 2024, nos enfants et petits-enfants vivent plus que jamais dans les rêves du moustachu du Missouri.

Walt Disney, par Olivier Cotte. Perrin, 389 p., 24 €.