Se jouer des Jeux
Les musées publics de Paris se sont mis à l’heure olympique : Art et Sport doivent courir ensemble. Échappant à l’hystérie collective, l’artiste Emmanuel Pierre suit cette tendance avec délicatesse et ironie.
Le délire des Jeux olympiques a gagné nos musées. Mues par l’appât du gain, de vénérables institutions se plient au ridicule. Ainsi le Louvre propose-t-il « Les visites sportives de Mehdi Kerkouche ». « Inspiration, transpiration ! » promet le programme, afin de découvrir les collections « à travers une séance de préparation physique à la croisée de la visite guidée, de la danse et du training sportif. » Soit un parcours disco et cardio « en dialogue avec les chefs-d’œuvre ». Les amateurs de zénitude peuvent quant à eux profiter du « Parcours Off/Yoga », « pour un moment de bien-être dans un lieu privilégié » – on peut venir avec son propre tapis, précise le palais des rois. Sur l’autre rive, le musée d’Orsay s’apprête à privatiser sa terrasse lors de la cérémonie d’ouverture, le 26 juillet. Les heureux perchés pourront « sélectionner des ingrédients du mur végétal comestible pour agrémenter l’apéritif dînatoire » au son d’un « set DJ par Kirou, fondateur du collectif artistique et musical parisien 99GINGER, pour profiter d’une atmosphère festive ». Inutile de préciser que tous les musées de la Ville de Paris relaient la propagande avec un thème unique : « Art et Sport ».
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Il est cependant possible, en plein Paris et à l’occasion de ces Jeux, d’échapper à la démence collective. Depuis ce printemps, la galerie Martine Gossieaux expose le travail d’Emmanuel Pierre, un artiste discret et gracieux. Son œuvre se reconnaît au premier coup d’œil. Ce sont des collages de vieux papiers et de gravures anciennes délicatement rehaussés à l’aquarelle. Loin, très loin de l’esthétique puérile et formatée pour annonceurs internationaux qui pare l’éphémère capitale olympique, l’univers d’Emmanuel Pierre est empreint d’une poésie mélancolique, d’un humour ironique, d’une légèreté raffinée. Les feuilles qui composent son « Pique-nique olympique » sont des visions tout droit sorties d’un imaginaire précieux et burlesque : ses personnages sont d’étranges chimères, mi-hommes mi-animaux, dont le vestiaire emprunte à la Renaissance et au XIXe siècle en passant par le monde du cirque ; et leurs silhouettes qui ignorent la gravité terrestre se contorsionnent à l’envi.
Les Jeux olympiques ne sont qu’un prétexte à ouvrir la cage de ce bestiaire loufoque. En liberté sur la page, des poissons-tennismen et des lapins-footballeurs côtoient des singes empanachés et des messieurs à moustache emplumés. Emmanuel Pierre ne se refuse aucune fantaisie baroque et détourne, en virtuose des ciseaux, de vieux almanachs, des catalogues d’architecture et de botanique, des planches de mode… d’où, peut-être, cette curieuse impression de se trouver face à des êtres pour le moins étranges mais terriblement élégants ! Avec son extravagance maîtrisée, l’artiste réussit un petit prodige : procurer un souffle d’une fraîcheur incomparable en s’appuyant sur une iconographie surannée. Un c’était mieux avant dont on aurait respectueusement tordu le cou pour le faire entrer dans le cadre de la modernité.
À voir absolument
« Pique-nique olympique », d’Emmanuel Pierre, à la galerie Martine Gossieaux, 56, rue de l’Université, Paris 7e, jusqu’au 12 octobre. galeriemartinegossieaux.com / emmanuelpierre.fr
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