80 ans après l'Opération Cadillac, à Monceaux-sur-Dordogne : "J'ai cru que le ciel nous tombait sur la tête"
Des drapeaux français, anglais et américains bordent la petite route qui mène à l’Espace de loisirs aériens de Chansèves en ce dimanche de fête nationale. Sur son fauteuil, à l’ombre de la tente où l’on vend livres, mugs et polos à l’effigie de l’événement du jour, la commémoration de l’Opération Cadillac, Germaine Lucot observe l’agitation alentour : des jeeps d’époque, des parachutes qui tombent du ciel.
Il y a 80 ans, c’est à un autre parachutage qu’elle a assisté, le 14 juillet 1944. Celui, en plein jour, de centaines de tonnes de containers d’armes et de munitions largués par les Alliés aux résistants corréziens. Elle avait 16 ans et les sensations qu’elle a éprouvées ce jour-là, elle les ressent encore.
« Ce matin-là, on moissonnait avec des vaches, j’étais avec maman et mes deux frères. Arrivés au champ, il y avait quelque chose de bizarre, des hommes dans les bruyères prévenaient tout le monde que quelque chose qu’on n’avait encore jamais vu allait se produire. »
Un bruit assourdissantCe sera l’Opération Cadillac. « J’ai commencé par voir un petit avion qui voltigeait et qui faisait des zigzags comme pour repérer le terrain. Et quand les gros avions sont arrivés, j’ai cru que le ciel nous tombait sur la tête, revit la nonagénaire. On a eu peur, on était abasourdi par le bruit. Très vite, les maquisards ont plié les tissus, puis ils ont chargé les containers, de la même couleur que la bruyère. »
« Le lendemain, raconte-t-elle encore, par ceux qui avaient la TSF chez eux ou dans le journal, on a su que la Compagnie Cadillac avait fait un bon parachutage et qu’ils étaient contents. Il n’y avait pas eu de dégâts et ils étaient sains et saufs. Mais il n’en restait plus rien. »
« On a su le lendemain par la TSF qu'ils avaient fait un bon parachutage et qu'ils étaient contents ».
Elle reprend : « C’est quelque chose que j’ai toujours gardé en mémoire. Après on a attendu la fin de la guerre... On a vécu des moments historiques, mais il ne faut pas souhaiter vivre ce qu’on a vu à la guerre, des choses horribles. »Un parachutage de container réussi, comme en 1944, par un Nord-Atlas.
Sa cousine Denise Conte avait 7 ans le jour de l’Opération Cadillac. Depuis la fenêtre de la maison familiale, au Claux, elle a tout vu. « Tous ces parachutes éparpillés, on aurait dit que toutes les femmes du village avaient fait la lessive, se souvient-elle. Il y en avait de toutes les couleurs. Et on entendait beaucoup de bruit, ça grondait. »
Des chemisiers en soie de parachute« Je me souviens du bruit des avions, poursuit Paulette Brice, 5 ans à l’époque. J’étais dans les bras de ma grand-mère et elle tremblait ; on ne les avait avertis de rien. Après, avec le tissu des parachutes, ma mère m’a fait un chemisier. Une dame de Saint-Chamant, dont le père était ami avec Malraux, a procuré du parachute à toute la famille. »
Revenir aux Chansèves, en cette journée de reconstitutions commémoratives, « ce sont des souvenirs matérialisés », glisse Denise Conte. « Ça me touche énormément, je peux dire "je l'ai vu" », sourit Paulette Brice.
Raymond, lui, avait 6 ans ce jour J. « On était parti moudre au moulin de Chassagne dans une charrette. En arrivant, le meunier nous a prévenu qu’un parachutage était en cours dans le bas de Neuville. J’ai vu des parachutes étalés, la Forteresse qui pliait les sapins... On n’avait pas peur, on ne se rendait pas compte. Après, ç’a été une autre histoire... »
Blandine Hutin-Mercier
Photos Agnès Gaudin