Série d’été « Qu’est-ce que le libéralisme ? » – Entretien avec Elodie Messéant
Cet été, Contrepoints vous propose une série d’entretiens sur le libéralisme avec plusieurs de nos auteurs et des invités spéciaux. Elodie Messéant est journaliste et contributrice régulière pour Contrepoints.
Comment définissez-vous le libéralisme ?
Le libéralisme est une philosophie politique qui fait primer les droits et libertés individuelles sur les pouvoirs de l’État.
Vous considérez-vous libérale, et pourquoi ?
Je suis libérale parce que je considère que le libéralisme est la philosophie la plus respectueuse de la nature humaine et qu’elle permet de saisir au mieux toute la complexité de l’ordre social. Les mécanismes par lesquels ce dernier émerge ont été parfaitement décrits par Friedrich Hayek dans Droit, législation et liberté, un ouvrage extraordinaire par sa profondeur, et qui prouve l’impossibilité de la planification étatique.
À l’inverse des doctrines interventionnistes concurrentes, le libéralisme n’est pas une idéologie : il ne prétend pas changer la nature humaine, construire un ordre nouveau, ni soumettre l’individu à l’arbitraire d’un parti ou d’un souverain au nom d’un idéal à atteindre.
Quels sont vos auteurs libéraux de référence ?
J’ai été influencée par Friedrich Hayek pour sa philosophie du droit et sa théorisation de l’ordre spontané, Ludwig von Mises pour avoir introduit le concept de praxéologie, Milton Friedman pour avoir démontré qu’il n’y a pas de liberté politique sans liberté économique, Alexis de Tocqueville pour sa critique de la démocratie et de l’illusion égalitariste, Frédéric Bastiat pour ses talents de vulgarisateur, et Ayn Rand, ma première introduction au libéralisme.
Pourquoi le libéralisme est-il si mal compris en France ?
Il ne faut pas sous-estimer le poids de l’héritage culturel et politique. En France, nous avons un culte du grand chef de la nation. Cela ne veut pas nécessairement dire que notre pays aurait une essence, mais qu’il est difficile de balayer d’un revers de main une histoire aussi tumultueuse, marquée par la Révolution et une succession de régimes instables, qu’ils soient de nature monarchique, impériale ou républicaine, et de faire comme si cela n’influençait pas notre regard de ce que devrait être la pratique du pouvoir. Le libéralisme politique est certes né de la Révolution, dont on trouve la quintessence dans la DDHC de 1789, il n’empêche que ses grands principes ont été depuis longtemps abandonnés – probablement par corruption de notre classe politique.
Il y a aussi une paresse des intellectuels français qui s’enferment dans un certain nombre de mythes sur le socialisme, le communisme et le capitalisme. Ils rêvent d’une « solution totale des problèmes sociaux », comme l’expliquait si bien Raymond Aron dans L’Opium des intellectuels. Ils ne s’intéressent pas suffisamment à la philosophie libérale, ne lisent pas les auteurs libéraux et lorsqu’ils le font, c’est pour en dresser une vision caricaturale. Or, les intellectuels se reposent sur les travaux des grands penseurs ou philosophes pour répandre leurs propres idées dans les sphères institutionnelles, éducatives, médiatiques, etc. Ce n’est donc pas étonnant que le libéralisme soit si mal compris en France.
Quels seraient les bienfaits de réformes libérales en France ?
Des réformes libérales impliquent un changement profond dans l’organisation de nos institutions. L’abandon de l’hyperprésidentialisme serait un moyen de mettre fin à notre immaturité institutionnelle : il n’y aurait plus cette obsession des élections à l’image d’un grand cirque national, ni cette frustration d’élire un chef d’État qui décide de tout dans les moindres détails, sans que les électeurs n’aient leur mot à dire pendant cinq ans. Avec une vraie décentralisation qui redonne de l’autonomie au plus petit échelon, ainsi qu’une subsidiarité ascendante, il est certain que les gens n’auront plus ce sentiment d’être dépossédés du cours de la vie politique, ou d’une déconnexion entre le peuple et ses élites. C’est crucial si l’on veut renouer avec une vie démocratique saine, même si ce n’est évidemment pas suffisant.
Ensuite, la suppression du statut de fonctionnaire serait un moyen d’attaquer la bureaucratie dans ses fondements, qui mine le fonctionnement de notre démocratie. La bureaucratie, c’est la forme pervertie d’une administration qui n’a plus rien à voir avec une administration efficace, réactive et responsable de ses actes. La fin de l’emploi à vie pour les agents de l’administration favoriserait une culture de la responsabilité et mettrait fin à une certaine forme de clientélisme politique.
On ne peut pas non plus parler sérieusement de réformes libérales sans évoquer l’abolition des ministères inutiles et dispendieux :
- ministère de la Transition écologique et solidaire
- ministère de l’Europe et des Affaires étrangères
- ministère de la Cohésion des territoires
- ministère des Solidarités et de la Santé
- ministère de l’Économie et des Finances
- ministère de la Culture
- ministère du Travail
- ministère de l’Éducation nationale
- ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire
- ministère de l’Action et des Comptes publics
- ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’innovation
- ministère des Outre-mer
- ministère des Sports
- secrétariat d’État chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes
A-t-on l’équivalent dans d’autres pays étrangers ? La France est tellement malade de cette culture centralisatrice que c’en est presque risible. Voilà une première manière de rationaliser les comptes publics.
Deux réformes libérales prioritaires à mettre en place ?
Déprésidentialiser la Cinquième République avec la subsidiarité ascendante.
Supprimer le statut de fonctionnaire.